Nous continuons à partager la série documentaire de lavaca sur le monde de l’autogestion en Argentine. Ce nouveau chapitre présente une autre expérience récente de différentes coopératives argentines qui ont réussi à récupérer des entreprises abandonnées ou mises en faillite par les patrons. Voir ici tous les chapitres.

Chapitre 6

L’hôtel BAUEN, emblème de l’autogestion ouvrière en Argentine, a fermé ses portes en 2020. L’un de ses dirigeants, Federico Tonarelli, pose un diagnostic : dettes, macrismo, pandémie, autant de raisons qui ont poussé la coopérative à abandonner l’immeuble de l’Avenida Callao. Des années sans loi, à l’expropriation avec veto, en passant par l’incompréhension du gouvernement actuel face à l’approche autogestionnaire. Les leçons de cette histoire, et les voies qu’une coopérative explore pour se réinventer.

Pour voir la vidéo ( 10′ 30′′ ) avec les sous-titres en français sur un ordinateur : 1. Cliquez sur l’icône Sous-titres (rectangle blanc en bas à droite de la fenêtre du lecteur vidéo).   2. Cliquez sur l’icône Paramètres (roue dentée en bas à droite), puis cliquez successivement sur Sous-titres, puis sur Traduire automatiquement.    3. Dans la fenêtre qui s’ouvre, faites défiler la liste des langues et cliquez sur Français.

Transcription

Sous-titre : les choses qu’il faut faire pour travailler

Chapitre 6

Nous sommes à la porte de l’ancien Hôtel Bauen. Quels sont les souvenirs que vous gardez d’ici, que faisiez-vous ici ?

Sous-titre : Frederico Tonarelli, vice-président de la coopérative Hotel Bauen

Nous tous avons été là pendant 18 ans, dont au moins 15 ou 16 ans pour moi. J’ai été président à un moment, membre à un autre. Différentes responsabilités au sein du Conseil. Et en ce qui concerne la tâche spécifique dans l’hôtel. Oui, surtout dans le domaine commercial, dans le bureau de vente.

Sous-titre : Le 28 décembre 2001, les propriétaires de l’Hôtel Bauen ont décidé de fermer ses portes et de licencier tous ses employés. Le 21 mars 2003, les anciens employés de l’hôtel décident, lors d’une assemblée, d’occuper le bâtiment et de former une coopérative.

Nous avons des photos de quelques moments des 18 ans d’histoire de l’hôtel ; et là, nous sommes à un festival ?

– Cette photo. Ce sont les gars d’Attaque (N.d.T. : un groupe rock punk d’Argentine), qui sont devenus presque des frères de la coopérative, parce que dès le début ils ont soutenu l’idée de la récupération des entreprises, chaque fois qu’il y avait un événement, un méga-événement avec un festival, quand il y avait un risque d’expulsion, qui était, je dirais, presque permanent au cours des 18 années ils étaient là.

Les FestiBauen ont été réalisés en même temps que les ordres d’expulsion, mais ils sont devenus un classique pour nous. Et surtout ici, dans le quartier, parce qu’ils n’ont jamais compté moins de 3 000 ou 4 000 personnes. C’étaient des spectacles magnifiques.

Images d’un des spectacles

Images de pancartes : Lutte, travail, culture à cause de l’expropriation / Si le congrès a approuvé l’expropriation. De quoi discutons-nous ? / Non à l’expropriation / Mille ans peuvent passer, tu verras beaucoup tomber mais si nous nous réunissons ils ne nous arrêteront pas / Bauen Buenos Aires une entreprise nationale.

En fait, l’hôtel dispose d’un théâtre pour 300 personnes et d’un pub que nous appelons Piano bar. Il y avait donc des activités culturelles de toutes sortes : cinéma, théâtre, spectacles musicaux et dans le reste des chambres, les activités typiques d’un hôtel où l’on vend des événements, également de toutes sortes, des fêtes d’anniversaire du 15e anniversaire, par exemple, aux présentations de livres ou aux conférences, aux congrès, aux activités de nature plus politique, aux assemblées de toutes sortes d’institutions liées à ce que nous faisions. Syndicats, coopératives, mutuelles, partis politiques qui soutenaient la lutte, non seulement pour le Bauen, mais aussi pour toutes les entreprises récupérées. Tout cela se passait ici.

Sous-titre : Enfilez le T-shirt Bauen

Vous nous avez probablement vus dans le bâtiment du Callao 360. C’est nous qui vous avons accueillis lorsque vous êtes venus assister à un festival de cinéma. Nous avons ouvert nos portes lorsque vous êtes venus assister à une représentation théâtrale ; lorsque vous êtes venus prendre un café au bar ; lorsque vous êtes venus de l’intérieur de la ville et que vous avez eu besoin d’un logement gratuit pour que votre enfant puisse suivre un traitement dans un hôpital de la ville. Nous sommes ceux que vous avez croisés dans la rue des centaines de fois en défendant l’hôtel.

EL BAUEN nous appartient à TOUS

Voici la photo collective.

Cette photo est magnifique. Même plus tard, nous l’avons adoptée comme un classique. Et chaque fois que nous devions prendre une photo de groupe, nous la prenions tous dans le hall. Nous prenions le modèle. Et la photo était prise depuis le petit balcon du premier étage. Oui, c’est magnifique.

Nous regardons une photo collective avec les travailleurs à l’intérieur de l’hôtel et nous sommes maintenant à l’extérieur, avec les portes et l’hôtel fermé. Quels sont les sentiments qui vous viennent à l’esprit ?

Et les sentiments sont… le premier, le plus précis, le premier que l’on peut décrire est celui de la tristesse. En réalité, même sans résoudre le conflit, nous étions convaincus que nous pourrions rester dans cette situation pendant encore de nombreuses années.

Vous avez dit sans résoudre le conflit, et vous faites référence à l’expropriation ?

Oui, c’est juste que nous avons vraiment…

Oui, et c’est mal exprimé, parce que nous avons résolu le conflit. Nous avons réussi à faire passer une loi au Congrès national, qui est la loi d’expropriation. C’est la loi d’expropriation. Voici cette photo. C’est la célébration le lendemain, parce que nous avons voté pour la loi à minuit moins 5 du soir en novembre 2016.

Sous-titre : Après de nombreuses années de lutte, le 27 novembre 2015, la Chambre des députés a adopté le projet de loi sur l’expropriation de l’hôtel.

Et le lendemain, nous avons tenu une conférence de presse où nous avons annoncé ce que beaucoup ne savaient pas encore parce que le projet de loi avait été adopté la veille au soir.

Sous-titre : L’approbation du Sénat est intervenue un an plus tard, le 31 novembre 2016. Cependant, le 27 décembre de la même année, le président Mauricio Macri a opposé son veto.

Images des employés : Maintenant, un président a décidé d’opposer son veto à la loi qui détermine l’expropriation. Ils disent que la loi favorise quelques personnes. Mais ils ne disent pas que nous sommes 130 familles, celles qui seraient laissées à la rue. Quatorze années de travail ne peuvent pas faire l’objet d’un veto. Mettez le t-shirt Bauen !

La loi a été approuvée par la Chambre des députés en 2015, avant la fin du gouvernement kirchneriste. L’autre moitié de la sanction est arrivée avec Macri dans l’exécutif. Étaient-ils en retard ? Que s’est-il passé au cours des 12 années précédentes ?

Oui. Je pense que oui. Je pense que oui. Il est évident que le conflit a pris de l’ampleur et que l’idée de déclarer l’hôtel d’utilité publique et de l’exproprier avec la visibilité du Bauen, avec le revenu du Bauen, avec l’emplacement stratégique de l’immeuble, a fait hésiter, hésiter, hésiter l’exécutif et le législatif. Et les conflits doivent être résolus au bon moment, car sinon, tout ce que vous accumulez, comme nous en parlions tout à l’heure, finit par se retourner contre vous. Moralité : les conflits doivent être résolus au moment où ils doivent l’être. Retarder la résolution peut être absolument risqué et dans notre cas, regardez ce qui s’est passé.

Extraits news : Depuis 2003 jusqu’à aujourd’hui (2020). Dix-sept ans se sont écoulés et aujourd’hui, à cause de la pandémie, ils l’ont signalé ces dernières heures dans une lettre ouverte adressée à toute la société, [et] au Président de la République lui-même, Alberto Fernández, lui faisant part de cette situation, de cette situation économique, de cette situation sociale et de cette situation sanitaire, qui fait qu’aujourd’hui, ils doivent fermer les portes du Callao 360. Et ils espèrent qu’ils pourront bientôt les ouvrir ailleurs.

Sous-titre : Après 17 ans de fonctionnement en tant que coopérative, le Bauen Hotel ferme ses portes.

Dans la ville de Buenos Aires, 250 hôtels ont été fermés, et nous traînions non seulement les problèmes liés au tourisme et aux événements et la question de l’hébergement, activités qui ont été très durement touchées par la pandémie, mais nous traînions aussi tout le conflit, l’instabilité concernant la propriété, les questions juridiques qui nous bloquaient. Et nous n’avons pas eu un seul malade atteint de Covid légère.

Quelle aurait été en réalité la possibilité que la coopérative ne soit pas entrée dans ce glissement vers une accumulation de dettes impossible à soutenir.

Cela ne s’est pas produit avec la nation et avec la ville ?

Non, avec la ville, nous n’avions aucune attente. En fait, la ville avait fait tout ce qu’elle pouvait pour que l’hôtel ferme, ou plutôt pour que la coopérative ferme. Avec la nation, nous avons eu un contact pour proposer les installations. Ils ont dit oui. Eh bien, cela ne s’est pas fait et cela nous a mis dans une situation extrêmement grave.

Et les travailleurs de Bauen ont-ils reçu l’ATP ?

– Non, aucune coopérative de travail n’a reçu d’ATP (aide de l’état pour payer les salaires). Dans l’activité gastronomique, ils ont reçu l’ATP, ou plutôt, l’employeur a reçu l’ATP et pas nous, ce qui était clairement discriminatoire pour le travailleur autogéré qui est associé à des coopératives. Cela a également rendu beaucoup plus difficile la survie pendant la pandémie ; dans notre cas, cela a été mortel. Il semble que, naturellement, le travail ne puisse être que salarié ou indépendant et que la troisième possibilité, qui est le travail autogéré associé à des coopératives, soit laissée de côté.

Et toute l’assistance, toute l’architecture politique et juridique, est conçue pour aider les employeurs qui ont des travailleurs salariés ou des travailleurs indépendants, et de manière très limitée, en ce qui concerne cette assistance, pour le travailleur autogéré qui est associé dans des coopératives. Il s’agit là d’une très grave erreur.

Quelles leçons le Bauen nous a-t-il apprises ?

Toutes. En ce qui concerne la dernière chose que j’ai dite, beaucoup d’entre nous ne seraient pas encore dans le mouvement coopératif si nous n’avions pas participé à l’expérience de Bauen. Et le grand triomphe de cette expérience, même si nous parlons de l’extérieur, c’est qu’aujourd’hui, lorsqu’une entreprise ferme, les travailleurs envisagent au moins la possibilité de créer une coopérative, ce qui, il y a 20 ans, avant Bauen, IMPA, Chilavert, Zanon, Gráfica Patricios, l’entreprise textile Pigüé, et toutes les expériences les plus emblématiques du mouvement, n’avait aucun sens.

Sous-titre : Les travailleuses et travailleurs de l’hôtel Bauen organisent de nouvelles unités de production pour poursuivre le travail coopératif dans le secteur gastronomique et culturel.

 

Les 8 chapitres de la série « Les choses qu’il faut faire pour travailler » :

Chapitre 1 : Présentation

Chapitre 2 : La visite d’un président

Chapitre 3 : re-présentation du projet de loi pour la récupération des unités productives

Chapitre 4 : l’Expérience de la récupération de l’imprimerie Gráfica Patricios

Chapitre 5 : La récupération du journal Tiempo Argentino

Chapitre 6 : l’Expérience de la récupération de l’hôtel Bauen

Chapitre 7/8 : La récupération d’une usine des vis

Chapitre 8/8 : Une autre économie est possible, la création d’une monnaie alternative

 

Traduction de l’espagnol, Evelyn Tischer.

L’article original est accessible ici