Pressenza traduit et publie cette série de 13 articles réalisés par Verdadabierta.com après cinq ans de la signature de l’Accord de Paix en Colombie. Le premier article traduit a été : « L’objectif final est la réconciliation, et elle est obtenue grâce à une vérité incontestable », car – malgré les difficultés – nous pensons et sentons que toutes les tentatives de réconciliation valent la peine d’être racontées.

La matérialisation de l’Accord entre l’État colombien et l’ancienne guérilla des Farc emprunte un chemin sinueux, cahoteux et inégal, qui limite les avancées. Ces difficultés préoccupent les victimes du conflit armé, qui réclament une plus grande rapidité. Le bilan, cinq ans après, est aigre-doux. C’est ce que révèle cette série journalistique de 13 articles :

1– Le silence des fusils a été de courte durée.
2– La Juridiction Spéciale pour la paix (JEP) avance, malgré l’opposition.
3– La Colombie face au miroir de la vérité.
4– L’Unité de Recherche des Personnes portées Disparues (UBPD) n’a pas encore comblé le vide des disparitions.
5– « L’objectif final est la réconciliation, et elle est obtenue grâce à une vérité incontestable ».
6– Le solde en attente pour les femmes et la communauté LGBTI.
7– Le Chapitre Ethnique se limite au papier.
8– La mise en œuvre de l’Accord de Paix s’est avérée fatale pour les dirigeants sociaux.
9– Sécurité des ex-combattants : une dette qui a coûté la vie à 290 personnes.
10– Réintégration de l’ancienne guérilla : Le retour difficile à la vie légale, un bilan doux-amer.
11– Le Programme National Intégral de Substitution des Cultures Illicites (PNIS), un programme mis en œuvre au compte-gouttes.
12– Les Programmes de Développement axés sur le Territoire (PDET) n’ont pas réussi à étancher la soif de bien-être rural.
13– Cinq années de recherche de la paix au milieu des fractures.

 

Cinq ans d’Accord de paix en Colombie. Réintégration de l’ancienne guérilla : Le retour difficile à la vie légale, un bilan doux-amer

L’une des réalisations de l’Accord de Paix a été le désarmement et la démobilisation d’au moins 14 000 combattants des anciennes Forces armées révolutionnaires de Colombie Farc (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia). Cependant, les promesses d’une vie beaucoup plus calme et plus productive dans la légalité se heurtent à de multiples obstacles pour devenir réalité. Cinq ans plus tard, les versions de leurs progrès s’entrechoquent.

« Tout n’a pas été négatif », déclare Yulieth Villa, une ancienne combattante de la guérilla des Farc aujourd’hui disparues, en parlant de ce que le processus de réincorporation dans la vie légale a signifié pour elle, une femme qui a participé à la lutte armée pendant plus de 10 ans. « En tant que personnes, nous avons eu des opportunités : fonder un foyer, avoir une nouvelle vie, être proche de nos enfants. D’une certaine manière, cela a été positif pour nous », ajoute-t-elle.

Mais sa vision de la transition de la vie dans les armes à la légalité devient critique quand elle se plonge dans ses réflexions et contraste son passé dans la guerre à sa vie présente qui se déroule à El Oso, un Espace territorial de formation et de réintégration ETCR (Espacio Territorial de Capacitación y Reincorporación) situé dans la municipalité de Planadas dans le département de Tolima, l’un des 24 espaces qui existent dans le pays pour renforcer le processus de réintégration complète dans la vie civile d’au moins 3000 anciens guérilleros qui sont encore dans ces espaces.

« Parfois, nous nous demandons si nous avons ou non perdu notre temps dans l’organisation (des Farc) », dit l’ex-combattante. « Il y a eu beaucoup de jours au cours desquels des vies ont été perdues, beaucoup de sang a été versé, et en regardant où nous sommes maintenant, nous ne trouvons pas de réponses. Nous étions en train de risquer notre vie pour un changement, et ils viennent et inventent un Accord de Paix pour un changement, et, au lieu d’avancer, nous avons reculé. »

Pour justifier son opinion, elle invoque la figure de Pedro Antonio Marín, connu sous le nom de « Manuel Marulanda Vélez », l’un des fondateurs de l’ancienne guérilla des Farc : « La lutte du camarade Manuel était pour une école, une route, un centre de santé. Et quand on regarde autour de soi, les besoins sont toujours les mêmes : il manque des écoles, des routes, des centres de santé ».

Fredy Escobar Moncada, un ex-combattant avec une formation universitaire, qui mène actuellement des activités académiques dans l’une des principales villes du pays, attache une grande importance à la démobilisation et au désarmement des ex-combattants, les présentant comme étant parmi les réalisations principales de l’Accord de Paix.

« Au-delà du projet politique, au-delà des aspirations qu’elles peuvent avoir en tant qu’organisation, et maintenant en tant que parti politique, la vérité est qu’en Colombie, ces personnes après avoir déposé les armes pensent déjà à autre chose que la lutte armée », souligne-t-il, ajoutant que cette décision de démobilisation et de désarmement contribue “à une société différente, une société pacifique ; elle contribue également à ce que nous pourrions commencer à appeler la coexistence, l’harmonie, la tolérance, le respect des différences et de l’opposition politique; et ces personnes n’ajoutent pas de victimes au conflit. »

Mais, lorsqu’elle est confrontée à la réalité des hommes et des femmes qui ont entamé le chemin de la légalité dans le cadre de l’Accord de Paix, la vision d’Escobar devient également critique et attire l’attention sur la vision de l’État dans ce processus : « L’Accord de Paix stipulait une réintégration collective, mais en dépit de cela, l’État poursuit la réintégration individuelle. »

Et quelles sont les conséquences de cette politique de l’État ? Pour Escobar, une réintégration avec une approche individuelle « se heurte politiquement, idéologiquement et même dans le domaine économique et social, à la réintégration collective parce qu’elle dépolitise, désidéologise, individualise et finalement l’objectif semble être la dispersion, et non l’union, par exemple, d’une communauté intégrée. »

Le revers de la médaille est présenté par l’Agence de réintégration et de normalisation ARN, l’entité de l’État responsable du processus de réintégration des hommes et des femmes qui ont déposé les armes dans le cadre de l’Accord de Paix, dans le cadre de la politique de paix dans la légalité, promue par le gouvernement national.

Selon l’ARN, 14 708 personnes membres des anciennes Farc se sont démobilisées, dont 12 925 sont en cours de réintégration. Et selon le Conseil de stabilisation et de consolidation, 3661 projets profitables ont été approuvés à ce jour, dont 101 collectifs et 3560 individuels, pour une valeur totale de 75 264 millions de pesos (N.d.T : 17’310.720 euros ou 18’816.000 US dollars) utilisés pour 7 822 personnes en réintégration, atteignant ainsi 60,5% des ex-combattants réintégrés.

Cinq ans après le début de la réintégration des ex-combattants dans la vie légale, les avis sont différents et leur interprétation dépend de la façon avec laquelle on regarde ce processus. Du côté des bénéficiaires, il y a reconnaissance des réalisations, accompagnée de critiques ; et du côté de l’État, il y a des nombres qui les contredisent.

Depuis les territoires

Carlos Grajales est passé du fusil en bandoulière à la présidence de la brasserie artisanale La Roja, l’un des projets profitables les mieux reconnus des combattants réintégrés ; l’idée de la Roja a émergé en 2017 au sein de l’Espace territorial de formation et de réintégration ETCR établi dans la municipalité d’Icononzo dans le département de Tolima, en réponse, selon lui, au non-respect de l’Accord par le gouvernement national, en ce qui concerne le financement de projets profitables viables pour les ex-combattants.

Cependant, le processus de mise en place et de développement de cette initiative n’a pas été facile. Au début, les développeurs ont été confrontés aux réglementations imposées par l’Institut de surveillance des aliments et des médicaments INVIMA (Instituto de Vigilancia de Medicamentos y Alimentos) pour que cette entité leur accorde l’enregistrement sanitaire qui comprenait le droit d’avoir une usine de production. Les développeurs ont également dû se soumettre aux règles de planification qui s’appliquaient à l’ETCR d’Icononzo.

« Nous avons obtenu l’argent pour construire l’usine, mais elle n’a pas pu être construite car le Plan d’utilisation des terres POT (Plan de Ordenamiento Territorial) de la municipalité prévoit une utilisation agricole des terres ; pour passer à une utilisation industrielle il faut la volonté politique du gouvernement et de la mairie, et ni l’un ni l’autre ne nous a aidés. C’est pourquoi nous sommes venus à Bogotá », explique Carlos Grajales ; ce changement a entraîné l’abandon de l’ETCR, une décision qui ne faisait, jusqu’alors, pas partie des plans de ce développement.

Cet ancien guérillero des Forces armées révolutionnaires de Colombie Farc définit le projet de brasserie comme « une association dans la logique de l’économie solidaire », dont les bénéfices sont reversés à des projets territoriaux des communautés, entre autres la construction de jardins d’enfants pour les enfants de ses camarades en voie de réintégration. « Cela n’aurait pas de sens d’avoir lutté contre le capitalisme pendant de nombreuses années pour créer une entreprise capitaliste afin que quatre ou cinq d’entre nous deviennent millionnaires ; ce n’est pas notre objectif », souligne Grajales.

Les obstacles bureaucratiques rendent également difficile l’accès des ex-combattants à des terres fertiles pour mener à bien leur processus de réintégration économique et sociale, une situation qui les inquiète considérablement compte tenu de l’origine rurale de centaines d’anciens guérilleros qui ont signé l’Accord de Paix.

« Nous avons besoin de terres pour nos projets profitables et pour avoir nos maisons. Si nous avons des projets profitables, nous construisons la paix », insiste Joverman Sánchez, un ancien chef de guérilla qui est responsable d’un processus de réintégration sociale et économique dans la municipalité de Mutatá, Urabá, dans le département d’Antioquia.

À son avis, les mesures du gouvernement national sont insuffisantes et, de plus, présentent des lacunes : « ils nous donnent très peu de nourriture, avec beaucoup de difficultés, et c’est toujours une lutte. Nous avons un système bancaire, et ils s’y conforment, mais cela n’est pas l’essence de l’Accord. Nous avons besoin de terre pour la travailler, et nous avons besoin qu’ils ne nous tuent pas pour que nous puissions travailler la terre. »

L’inquiétude de Joverman Sánchez concernant la sécurité des ex-combattants est basée sur la réalité : à ce jour 290 signataires de l’Accord de Paix ont été assassinés dans diverses régions du pays, un bilan tragique pour ceux qui avaient confiance dans les accords conclus à La Havane, à Cuba. (Lire davantage dans :  Sécurité des ex-combattants : une dette qui a coûté la vie à 290 personnes).

À des centaines de kilomètres de l’Urubá d’Antioquia, vers le sud du pays, l’ancien guérillero Diego Ferney Tovar attire l’attention sur un autre des points les plus sensibles du processus de réintégration : les politiques publiques municipales qui garantissent l’accès aux droits des anciens membres des Farc démobilisés et de leurs familles.

Tovar fait partie du groupe d’ex-combattants qui se sont réunis dans l’Espace territorial de formation et de réintégration ETCR établi dans la municipalité de La Montañita, département de Caquetá, et de là, il attire l’attention sur la situation de ceux qui vivent dans cet espace territorial.

« Aujourd’hui, nous sommes exclus de la politique publique de la municipalité de La Montañita. Allez voir le schéma de planification territoriale, d’où découle le plan d’action de la mairie, et regardez ce qu’il y a pour Agua Bonita, pour la ville d’Héctor Ramírez, et il n’y a rien parce que cela n’apparaît pas dans la politique publique ».

Le Sisben, Système d’identification des bénéficiaires potentiels des programmes sociaux (Sistema de Identificación de Potenciales Beneficiarios de Programas Sociales) est un outil de l’État qui permet d’évaluer les populations les plus défavorisées en fonction de leurs conditions de vie et de leurs revenus afin de canaliser les investissements sociaux et de s’assurer qu’ils sont alloués à ceux qui en ont le plus besoin.

Et il poursuit : « Dans l’administration publique, on dit que si vous n’existez pas dans la politique publique, vous n’existez pour aucune institution ; ici nous avons dû nous battre pour que les gens puissent être bénéficiaires du Sisben, et le gouvernement local, protégé par le gouvernement national, a eu l’audace de dire qu’ici nous ne pouvions pas en être bénéficiaires parce que nous étions signataires de l’Accord et que nous étions bénéficiaires d’un autre programme. »

« Pour accéder aux soins de santé, nous devons être bénéficiaires du Sisben; cependant ce n’est pas nécessaire seulement pour les signataires, mais aussi pour leurs enfants. Ici nous avons une population de plus de 100 enfants », précise Tovar, et il révèle qu’à La Montañita, ils ne peuvent pas non plus être bénéficiaires du Sisben, ce qui limite leur accès aux droits fondamentaux tels que la santé et l’éducation.

Dans le clair-obscur 

Escobar reconnaît que le processus de réintégration sociale, économique et politique répond au bilan de la mise en œuvre de l’Accord de Paix, qui, selon lui, « a des aspects très positifs, mais évidemment aussi des aspects très malheureux. »

Bien qu’il souligne la continuité de l’allocation mensuelle ou revenu de base, qui constitue en une contribution de l’État à hauteur de 90 % du salaire minimum légal en vigueur pour les ex-combattants, il considère que cette contribution « n’a pas l’accompagnement, la simultanéité, la synergie des projets profitables, de manière que le revenu de base finit par être utile, mais insuffisant pour retourner à la vie civile. »

L’ex-guérillero a dressé un bilan critique des projets profitables, estimant que des projets qui ont un impact, « qui génèrent des revenus, qui aident à résoudre des problèmes, qui amènent les gens à passer d’une économie de guerre à une économie familiale » se font attendre.

À son avis, la menace principale dans les Espaces territoriaux de formation et de réintégration ETCR est la misère et la pauvreté, « et avec cela, une réinsertion, une réintégration dans la vie civile, dans les mêmes conditions que celles qui, dans certaines occasions, mènent au conflit armé ».

Il attire également l’attention sur ceux qui se trouvent à l’extérieur de ces Espaces territoriaux, comme les 350 ex-combattants basés à Medellín qui, selon lui, « vivent dans des conditions de grand risque social, économique et politique ».

Et il ajoute : « Quand les travaux sur les causes et les conséquences de la guerre ont été menés, des axes de persistance ont également été identifiés, et l’un des axes de persistance qui contribue à la survie du conflit armé est précisément l’échec du retour des ex-combattants à la vie civile. L’échec de ce retour signifie l’échec d’une politique de paix ».

Pour sa part, Pastor Alape, un ancien chef de la guérilla, qui fait partie du Conseil national pour la réincorporation CNR assure que le processus de réintégration « avance, mais en affrontant et en surmontant de nombreux obstacles, car il n’y a pas eu d’engagement effectif de la part du gouvernement ».

En ce qui concerne les progrès, il reconnaît la permanence de la plupart des ETCR, Espace territorial de formation et de réintégration (Espacio Territorial de Capacitación y Reincorporación) qui, petit à petit, se transforment en centres peuplés, en dépit des difficultés auxquelles ils ont été confrontés, notamment en ce qui concerne la sécurité.

Au cours de cinq ans de mise en œuvre de l’Accord de Paix, au moins quatre de ces espaces ont rencontré des problèmes : le premier a été celui du village de Gallo à Tierralta, Córdoba, qui a été transféré, par décision des ex-guérilleros, à la municipalité de Mutatá, en le département de Antioquia ; le deuxième a été celui de La Elvira, dans la municipalité de Buenos Aires, département du Cauca, dont les habitants ont été déplacés et dispersés ; le troisième a été celui de Santa Lucía, dans la municipalité d’Ituango, Antioquia, qui a dû déménager à Mutatá, afin de préserver la vie de ses habitants.

Et le quatrième a été enregistré ce week-end (du 21 novembre 2021), dans l’ETCR Espace territorial de formation et de réintégration (Espacio Territorial de Capacitación y Reincorporación) Urías Rendón, dans la municipalité de El Doncello, département de Caquetá, d’où 106 familles signataires de l’Accord de Paix ont été obligées de déménager à cause de l’action de groupes armés illégaux. Pour faire face à cette situation, la Voie de réinstallation intégrale a été activée. (Voir le communiqué de presse)

Malgré les difficultés, le représentant des anciennes Farc au Conseil National de Réintégration CNR souligne les initiatives des ex-combattants, qui « ont créé des produits profitables qui sont reconnus dans le pays. Ce que nous voyons ici, c’est des initiatives et une créativité permanente de la part des combattants réincorporés. »

Pour étayer ses critiques à l’égard du gouvernement national, Alape dresse une liste de lacunes. Les combler renforcerait le processus de réintégration : « Il n’y a toujours pas de terrains pour des projets productifs, ni collectifs, ni individuels ; il n’y a pas de terrains pour le logement, ni plan de logement ; il n’y a pas de programme concret pour l’éducation ; et il n’y a pas de programme qui garantisse l’accès à des droits concrets pour les personnes âgées et les personnes handicapées ou souffrant de maladies exigeant des soins coûteux. »

Et il ajoute à cette liste le manque d’accès aux prêts bancaires, un problème qui complique le processus d’intégration économique. « Chaque fois que des ex-combattants demandent un prêt, des procédures judiciaires apparaissent. Nous sommes tous dans cette situation et, évidemment, les banques tirent la sonnette d’alarme », déclare l’ancien chef de guérilla.

« Il n’est pas possible de développer des activités concrètes dans les associations, dans les processus coopératifs et associatifs », ajoute-il, « parce que, de la même manière, nous sommes confrontés à ces limites » et il note que, dans ce sens, « il n’y a pas eu d’action concrète de transformation ou d’ajustement des réglementations afin de garantir la réintégration, la transition concrète des hommes et des femmes des Farc dans le cadre institutionnel ».

Dans son analyse, Alape considère qu’une partie des déficiences du processus de réintégration est due au manque de coordination de l’État, une situation que, à son avis, l’Accord de Paix a tenté de corriger, mais n’y est pas encore arrivé après cinq ans de mise en œuvre, entre autres parce qu’il y a « des fonctionnaires qui ne comprennent pas, qui ne voient pas qu’il ne s’agit pas d’une citoyenneté assujettie, mais d’une citoyenneté qui a signé un Accord de Paix, et qui est protagoniste de cet Accord. »

Et les entreprises privées ?

Escobar et Alape soulignent les progrès réalisés en intégrant au processus de réinsertion des alliances avec le secteur privé, national et étranger. Escobar souligne la volonté de certains hommes d’affaires de « vouloir aider, d’exprimer leur philanthropie, leur responsabilité sociale », mais insiste sur le fait que, à cause de leur approche individuelle, la réincorporation politique reste reléguée parce que, d’une certaine manière, elle se heurte au débat sur la dispute pour le pouvoir politique.

Alape, pour sa part, met l’accent sur les alliances profitables avec le secteur privé qui, selon lui, offrent une expérience dans la lutte pour la mise en œuvre de l’Accord de Paix, et dit que le secteur privé « a participé, mais avec beaucoup de crainte. Nous pensons que cela fait partie du processus nécessaire pour qu’il soit mieux informé, pour qu’il voit mieux ce que nous faisons. »

Il souligne toutefois le rôle que jouent dans la réintégration la Fondation Proantioquia qui, dans le département de Antioquia, réunit un grand nombre d’affaires qui promeuvent des initiatives de développement régional et national, et la Fédération nationale de producteurs de café. « Mais il faut plus d’aide », affirme-t-il, « plus d’activité de la part du gouvernement, pour que le secteur des affaires voie qu’il y a aussi des opportunités ici, et que si des alliances sont établies, la paix peut être construite dans les territoires. »

Les informations fournies par l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN pour ce rapport permettent d’établir en détail la participation des entreprises privées à différents niveaux du processus de réintégration des anciens combattants des anciennes Farc. Dans sa présentation, l’ARN souligne qu’elle « a réussi à consolider une bonne relation avec des acteurs externes stratégiques qui ont soutenu la politique nationale de réintégration sur différents fronts ».

Dans le même ordre d’idées, l’ARN précise que, en ce qui concerne l’appui aux secteurs profitables, tant individuels que collectifs, elle a reçu des contributions « en nature, en renforcement, monétaires, de conseils, d’alliances commerciales, d’appui à la commercialisation, de vaccination du bétail et de formation » venant de 24 organisations privées.

 

Soutien à des projets profitables de la part d’entreprises du secteur privé (Table no. 1)

Organisation                                                                                                 Type d’organisation

Type d’organisation : Entidad privada nacional = Organisation privée nationale ; Entidad privada extranjera = Organisation privée étrangère.

Source : Groupe de Durabilité Économique – ARN (Grupo Sostenibilidad Económica). Créé avec Datawrapper

 

Un autre mode d’appui est le renforcement des méthodes associatives dans « les sphères commerciales, financières, productives et organisationnelles par le biais de différents acteurs de coopération locale, nationale, publique, privée et internationale ». Selon l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN, ce type d’actions se traduit par « un appui aux procédures de formalisation, aux processus de formation, au transfert de technologie et aux services financiers. »

 

Appui à des méthodes associatives par type d’entité (Table no. 2)

Organisation                                                                                               Type d’organisation

Type d’organisation :

Entidad Economía Solidaria = Organisation d’économie solidaire

Entité privée = Organisation privée

ONG Organisation non gouvernementale

Source : Groupe de durabilité économique (Grupo Sostenibilidad Económica) – ARN. Créé avec Datawrapper

 

En ce qui concerne l’appui à l’inclusion sociale des ex-combattants signataires de l’Accord de Paix, l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN signale que la réalisation « d’actions comme la socialisation des politiques de réintégration et de réincorporation, visant à sensibiliser le secteur privé aux caractéristiques et aux besoins de la population desservie par cette entité, est un élément fondamental pour promouvoir des relations de travail pour cette population ».

Selon l’ARN, un organisme de l’État, dans cette ligne de travail, « les besoins de la population sont présentés afin d’identifier des moyens de coopération avec le secteur privé », un aspect clé pour renforcer les processus d’intégration dans la vie légale.

(Voir Table no. 3)

Processus de coopération pour l’appui à l’inclusion sociale (Table no. 3)

Entreprise                                                                                             Origine

Source : Groupe de durabilité économique (Grupo Sostenibilidad económica) – ARN. Créé avec Datawrapper

 

Le logement, un goulot d’étranglement

Dans son analyse pour ce rapport, Pastor Alape attire l’attention sur les difficultés existantes pour mettre en œuvre des programmes de logement qui aident les ex-combattants. L’ex-combattante Villa, de l’Espace territorial de formation et de réintégration ETCR (Espacio Territorial de Capacitación y Reincorporación) de El Oso, affirme que l’État colombien devrait construire des maisons décentes. « Celles dans lesquelles nous vivons maintenant, nous les appelons des boîtes en carton », dit-il ironiquement. « Parce que nous devons le faire, et parce que nous avons appris à vivre dans des situations pires, à vivre sous un morceau de plastique. Mais, dans cette nouvelle réalité de notre vie, nous attendions quelque chose de mieux. »

En fait, il souligne qu’au début, on leur avait demandé de quel matériau ils voulaient que les maisons soient faites, et tous ceux qui étaient dans cet Espace territorial de formation et de réintégration ETCR avaient proposé de l’adobe et du béton, mais la réalité a été différente : elles ont été construites en superboard, des panneaux en fibre ciment dont les anciens combattants mettent en doute la résistance. « Même une pierre peut passer à travers », dit Villa.

Dans une réponse à ce problème, donnée à ce portail, l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN explique que les processus « de création des logements dans les ETCR sont menés conjointement avec l’Agence nationale des terres ANT (Agencia nacional de Tierras) et doivent passer par trois processus avant d’être mis en œuvre : l’élaboration d’études de préfaisabilité, l’identification des bénéficiaires des subventions, puis les études techniques.

Selon cette agence de l’État, l’Université Nationale, siège Medellín, a accrédité la viabilité du développement de projets de logement dans les ETCR Espace territorial de formation et de réintégration de Llano Grande, municipalité de Dabeiba, Antioquia ; La Fila, municipalité d’Icononzo, Tolima ; Filipinas, municipalité d’Arauquita, Arauca ; Mutatá, municipalité de Mutatá, Antioquia ; et Los Monos, situé dans la réserve autochtone de San Lorenzo, municipalité de Caldono, Cauca.

Ce centre d’enseignement supérieur, l’Université Nationale, siège Medellín, réalise également des études de préfaisabilité pour huit ETCR, Espace territorial de formation et de réintégration : Los Monos II, réserve des indigènes de Tumburao, municipalité de Silvia, Cauca ; Las Colinas, municipalité de San José del Guaviare, Guaviare ; El Estrecho, municipalité de Patía, Cauca ; La Variante, municipalité de Tumaco-Nariño ; Charras, municipalité de San José del Guaviare, Guaviare ; Yarí, municipalité d’El Doncello, Caquetá ; La Plancha, municipalité d’Anorí, Antioquia ; et Pondores, municipalité de Fonseca, La Guajira.

Au moment de la rédaction du présent document (novembre 2021), les 12 autres ETCR Espace territorial de formation et de réintégration étaient en attente d’études de préfaisabilité.

En ce qui concerne les subventions au logement, l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN est en train d’identifier les bénéficiaires potentiels dans les ETCR, Espace territorial de formation et de réintégration, de Los Monos I and II (Réserves indigènes de San Lorenzo et Tumburao), Pondores, Mutatá, La Plancha et Yarí. En outre, cette agence a envoyé la liste des bénéficiaires potentiels des ETCR de Llano Grande (109 ménages potentiels), et de Filipinas (187 ménages potentiels) à Fonvivienda pour leurs études respectives.

Évaluations externes

Parmi les points de vue exprimés par les ex-guérilleros des Farc et par l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN au nom de l’État, on trouve les entités de contrôle et les organisations de la société civile qui suivent la mise en œuvre de l’Accord de Paix, et dont les analyses évaluent les progrès et les tâches en suspens.

Dans le troisième rapport sur l’état de la mise en œuvre de l’Accord de Paix présenté au Congrès de la République, remis en août 2021, le Bureau du procureur général a exprimé sa préoccupation quant à la vision qu’a l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN ARN du Système National de Réincorporation SNR (Sistema Nacional de Reincorporación), un instrument créé avec le Conseil National de Politique  Economique et Sociale Conpes (Consejo Nacional de Política Económica y Social) 3931 de 2018 pour suivre le processus de réintégration des anciens combattants des Farc.

Selon le rapport de cette entité de contrôle, cinq ans après la signature de l’Accord de Paix, il n’y a pas de « plan pour avancer la formalisation du Système National de Réincorporation SNR, et, au contraire, il n’est pas perçu comme une instance nécessaire à la mise en œuvre de la politique (…) Dans ce sens, il est ignoré que la création du SNR est un engagement qui a été inclus dans le Compes 3931 de 2018 ».

En outre, le Bureau de procureur général s’est dit préoccupé par le fait que « les actions de l’Agence pour la réincorporation et la normalisation ARN continuent de s’étendre sans qu’il existe un instrument formel qui garantisse l’accompagnement par des institutions capables d’aider les communautés, comme cet organisme de contrôle l’a déjà répété dans des rapports antérieurs au Congrès et lors d’autres occasions ».

Le ministère public a mis en évidence certaines réalisations en matière de mise en œuvre, comme la réglementation de l’accès au logement, l’approbation de la voie de réincorporation sociale et économique à long terme, l’amélioration des ETCR Espace territorial de formation et de réintégration, les processus d’achat de terrains et le développement de projets profitables.

Cependant, il a réitéré « l’appel à garantir un impact et une amélioration de la qualité de vie pour les personnes en processus de réintégration et pour leurs familles ; dans ce but il répète l’importance de disposer d’un instrument permettant de mesurer l’effet des politiques publiques et d’identifier ainsi les aspects à renforcer dans l’offre sociale de l’État », en référence au Système national de réincorporation.

Le sujet a été repris, dans sa dernière analyse trimestrielle, par l’Institut Kroc de l’Université de Notre Dame, pour la période juillet – septembre de cette année 2021. Cette institution a également souligné les résultats obtenus jusqu’à ce jour, mais a indiqué que « l’établissement et la mise en œuvre du système national de réincorporation SNR pour la coopération et le suivi des programmes, des plans et des projets du processus de réincorporation » ne sont pas encore achevés.

L’ancien chef de la guérilla a résumé ce qui est nécessaire pour renforcer le processus de réintégration dans les années à venir : « Nous devons unir les actions et les efforts de toute la société colombienne, changer la corrélation des forces, renforcer l’émotion de la paix afin d’avancer sur un chemin mieux visible ».

 

Sources

Article « Réintégration de l’ancienne guérilla : Le retour difficile à la vie légale, un bilan doux-amer » en espagnol et anglais :

https://tortuoso-camino-implementacion.verdadabierta.com/reincorporacion-pedregoso-regreso-vida-legal/

https://tortuoso-camino-implementacion.verdadabierta.com/en/reincorporation-of-former-guerrillas-a-bittersweet-balance/

Présentation complète avec les 13 articles :

https://tortuoso-camino-implementacion.verdadabierta.com

 

Traduction de l’espagnol, Evelyn Tischer

L’article original est accessible ici