Sommet des Peuples pour la Paix à Jérusalem, 8-9 mai 2025

Des milliers de personnes ont rempli ce 9 mai tous les espaces possibles du Centre international de congrès de Jérusalem pour le Sommet des Peuples pour la Paix [People’s Peace Summit], dont nous avons essayé de parler au cours de ce mois en interviewant certains des principaux promoteurs. Et ce fut un succès, des salles pleines, des applaudissements répétés pour tous les discours, une déclaration très claire de « stoppez cette guerre dévastatrice pour tout le monde » et une démonstration unanime d’unité, dans l’appel à une solution politique au conflit.

Organisée par la Coalition It’s Time, une alliance de plus de 60 organisations pour la paix, la réconciliation et la coexistence, il s’agissait de la plus grande mobilisation anti-guerre depuis le 7 octobre 2023 : un événement de deux jours qui a commencé dans l’après-midi du jeudi 8 mai, avec un programme chargé d’événements culturels dans toute la ville : projections de films, concerts, expositions d’art d’artistes juifs et arabes, et bien sûr débats et rencontres (liste des initiatives ici : https://www.timeisnow.co.il/thursday-english).

Mais le « plat principal » a eu lieu ce vendredi 9 mai, au Centre international de congrès de Jérusalem, avec la session plénière dans la salle principale le matin suivies de 12 sessions simultanées. Plus de 5 000 participants (selon les organisateurs), dont plusieurs soldats israéliens opposés à la guerre en cours, de nombreux proches d’otages, des survivants d’attentats terroristes, des proches en deuil des victimes de la guerre, des habitants de la région frontalière de Gaza, des juristes, des artistes, des diplomates, des leaders d’opinion, juifs et arabes : un bel échantillon d’une société civile pas du tout résignée, bien au contraire en mouvement, unie par un appel fort et unanime : « C’est maintenant [It’s Now] ! Il est temps de mettre fin à la guerre ».

« Nous sommes ici pour reconstruire un camp de paix fort », a commencé l’acteur et animateur israélien Yossi Marshek, ouvrant la séance du matin. S’en est suivi le témoignage du pilote qui, il y a quelques semaines, avait promu une lettre très discutée (largement relayée par la presse internationale), signée par des centaines de soldats israéliens étant actuellement (et aussi n’étant plus) en service, dans laquelle il dénonçait l’inacceptabilité des opérations de guerre contre des cibles majoritairement civiles, et appelait à un cessez-le-feu immédiat.

De nombreuses idées ont émergé lors de la séance d’ouverture intitulée « Il y a des partenaires et il y a un chemin » : trop nombreuses pour être résumées dans un seul article ; il y aura du temps plus tard, également pour un bilan. Mais le thème principal de la matinée a sans aucun doute été le débat sur les différentes solutions sur la table, en vue d’une solution politique au conflit. Et sur ce point, l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert, ainsi que l’ancien ministre palestinien des Affaires étrangères Nasser al-Qidwa, ont exprimé leur opinion, en présentant le « plan de paix » qu’ils promeuvent depuis un certain temps.

« La paix est essentielle, mais nous devons offrir à la communauté internationale et à nos deux peuples un plan qui puisse être considéré comme réalisable, et le seul plan est la solution à deux États », a déclaré Olmert. Il existe d’autres idées, comme la solution à un seul État, que nous rejetons, car nous pensons qu’elle est la meilleure recette pour un conflit sans fin entre les deux peuples. Nous sommes pour une solution qui puisse véritablement changer les relations entre les deux peuples, à commencer par le droit à l’autodétermination, à la liberté de circulation et au vote sur un pied d’égalité, dans des conditions de pleine égalité pour tous les citoyens de chaque État. Notre plan inclut donc une solution à deux États basée sur les frontières d’Israël d’avant 1967 : lorsque le Likoud est arrivé au gouvernement, personne ne croyait que Menahem Begin ferait la paix avec l’Égypte et qu’Israël se retirerait du Sinaï, et pourtant, c’est ce qui s’est passé !

« Cette conférence est sans aucun doute importante », a ajouté Nasser al-Qidwa dans un message vidéo. Mais puisque l’establishment israélien fera tout pour boycotter cette solution, il nous appartient de croire à la coexistence, à la redistribution des territoires comme seule garantie d’un avenir commun. Mais nous devons absolument mettre fin au colonialisme de peuplement.

Il faut faire un choix : soit on considère que la terre appartient déjà entièrement à Israël, qui a donc le droit de la coloniser et d’expulser de Cisjordanie et de Gaza les populations qui y vivent ; ou bien il faut créer les conditions de coexistence entre les deux peuples et il faut croire au partage des territoires, sans exclure des formes de coopération. (…) La première chose à résoudre, c’est Gaza, il est urgent de parvenir à un accord : pour la libération des otages en parallèle avec la libération des prisonniers palestiniens. Et il est clair que la structure gouvernementale devra être liée à l’Autorité nationale palestinienne, à laquelle sera déléguée la responsabilité de la reconstruction de Gaza. (…)

Bien sûr, beaucoup de choses devront être négociées : les colonies, les réfugiés, les mesures de sécurité des deux côtés, etc. Mais rien ne sera possible si nous ne créons pas une nouvelle culture entre Israéliens et Palestiniens. Aujourd’hui, nous sommes ici pour dire qu’ensemble, nous devons avancer et construire un avenir. C’est seulement ainsi que nous pourrons le faire.

Quelques minutes plus tôt, le journaliste palestinien Mohammed Daraghmeh, présent en personne grâce à une autorisation « accordée » au dernier moment, avait décrit une situation déjà très « israélisée » en Cisjordanie : « De Ramallah à Naplouse, par exemple, il y a toute une géographie et une quantité d’infrastructures – ponts, routes, panneaux, fermes, centrales solaires – qui vous donnent l’impression d’être en Israël. Israël a utilisé la guerre de Gaza comme prétexte pour annexer également la Cisjordanie, dont 60 % sont désormais soumis à des projets de colonisation selon le plan bien connu de Bezalel (ministre israélien de la Défense), qui a créé un département spécifiquement pour faciliter l’expansion des colons, transformant les communautés palestiniennes en districts. (…)

Mais si Israël et la Palestine sont laissés à eux-mêmes, il n’y a aucun espoir : ils négocient sans succès depuis 30 ans, et Israël continue de manger le gâteau qui a été mis sur la table des négociations. Sans une forte pression extérieure pour mettre fin à la colonisation, il n’y a pas d’avenir pour un État palestinien. Je voudrais cependant dire aux Israéliens que l’expansion des colonies serait contre-productive pour eux aussi, car ils se retrouveraient finalement avec un seul État, avec les problèmes que nous pouvons prévoir. (…) Il est donc important que la communauté internationale intervienne également sur ce problème, avec des sanctions qui découragent les colonies, afin de ralentir cette expansion qui rend la solution à deux États de plus en plus difficile.

Rula Hardal, codirectrice (avec l’Israélienne May Pundak) de l’organisation A Land for All [Une terre pour tous], s’est également exprimée sur le sujet : « Nous parlons de deux États, mais la réalité qui se dessine sur le terrain depuis des décennies n’est pas celle d’une séparation. Nous sommes interconnectés et nous devons comprendre qu’un autre plan est nécessaire pour répondre à cette situation d’interdépendance. C’est pourquoi nous proposons une solution confédérale, avec des institutions et des solutions communes, par exemple en matière de santé, d’environnement, d’éducation, c’est-à-dire… de coexistence. Il y a ensuite des questions difficiles que les deux parties n’ont jamais vraiment abordées, comme le droit au retour. Le 7 octobre et la guerre génocidaire qui a suivi ont été des moments de non-retour, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens… »

May Pundak abonde dans son sens : « Pensons aussi à la crise climatique, aux voies navigables… nous devons comprendre que la ségrégation ne garantit un avenir sûr ni pour l’une ni pour l’autre partie. L’interdépendance israélo-palestinienne est le point de départ. »

Dans un message vidéo depuis Ramallah, le président palestinien Mahmoud Abbas s’est limité à une déclaration formelle : « Grâce à la justice, nous pouvons garantir la sécurité et un avenir à tous les peuples de la région : la paix est possible et il dépendra de nous tous de la rendre possible. »

Et représentant la « communauté internationale » tant évoquée, le président français Emmanuel Macron est intervenu dans un message vidéo de 5 minutes : « Nos pensées vont aux familles israéliennes et palestiniennes. Nous soutenons avec la plus grande conviction ce processus de paix qui a rendu possibles ces deux jours à Jérusalem, coïncidant avec les célébrations de la fin de la guerre il y a 80 ans en Europe, et nous entendons être à vos côtés pour toute initiative future »; et il a notamment évoqué une table de négociations pour très bientôt, qui devrait se tenir en Arabie saoudite en juin.

Parmi les nombreuses interventions, on ne pouvait manquer celles de ceux qui ont été touchés par la guerre dans leur cœur : Maoz Inon (l’un des principaux organisateurs de cet événement) qui a perdu ses deux parents bien-aimés le 7 octobre ; Liat Atzili, dont le mari a été tué le même jour ; Sigalit Hilel, mère d’Ori, tué au Nova Music Festival ; Elana Kamin-Kaminka, mère de Yannai, également tué le 7 octobre. « On est victimes de ce cycle de violence depuis plus d’un siècle », a dit Elana. « Il est temps d’utiliser toutes nos ressources d’humanité et de créativité pour résoudre ce conflit, nous le devons à nos enfants. »

Des propos qui rappellent ceux de la palestinienne Soumaya Bashir, de l’organisation Women Wage Peace : « En tant que femmes, nous affirmons la vie contre ceux qui ne veulent que la mort et la dévastation. Malheur à ceux qui se réfugient dans le silence et la douleur ! Il est temps de s’unir dans l’action ! Et de Makbula Nassar, journaliste et militante, l’appel suivant : « Écoutons les cris des enfants affamés de Gaza. Mettons fin à la cruauté et aux crimes dont nous sommes témoins depuis trop longtemps, car il n’y aura pas de « jour d’après » pour nos consciences. Nous méritons tous d’être libérés de cette oppression sans fin. Et seule la paix nous permettra de l’être. »

Les deux journées ont été diffusées en direct dans des dizaines de rassemblements de solidarité dans plus de 20 villes du monde, dont Londres, Berlin, Sydney, New York et Boston. Pour l’Italie, des projections collectives ont eu lieu à Florence, organisées par la section florentine de « Sinistra per Israele » [La gauche pour Israël] et à l’Université d’Udine.

Liens vers les articles précédents sur Pressenza :

Entrevue avec les organisateurs Maoz Inon et Aziz Abu Sarah

Intervista agli organizzatori Maoz Inon e Aziz Abu Sarah

Interview à Maoz Inon: https://www.pressenza.com/fr/2025/04/vers-le-sommet-des-peuples-pour-la-paix-a-jerusalem-les-8-et-9-mai-entretien-avec-lun-des-organisateurs-maoz-inon/

Interview à Aziz Abu Sarah: https://www.pressenza.com/fr/2025/04/vers-le-sommet-des-peuples-pour-la-paix-a-jerusalem-les-8-et-9-mai-entretien-avec-aziz-abu-sarah/

Interview à Nivine Sandouka: https://www.pressenza.com/fr/2025/04/vers-le-sommet-des-peuples-pour-la-paix-a-jerusalem-les-8-et-9-mai-nous-devons-soutenir-la-societe-civile-declare-la-palestinienne-nivine-sandouka/

Interview avec Mika Almog, May Pundak, Maya Savir : https://www.pressenza.com/fr/2025/05/vers-le-sommet-des-peuples-pour-la-paix-a-jerusalem-les-8-et-9-mai-quand-les-femmes-bougent/

Présentation de l’initiative : https://www.pressenza.com/fr/2025/05/sommet-des-peuples-pour-la-paix-a-jerusalem-les-8-et-9-mai-mais-de-quelle-paix-parle-t-on/

 

Traduction, Evelyn Tischer