Dans un mois exactement, aura lieu à Jérusalem un événement que les organisateurs ont simplement appelé « It’s now » [C’est maintenant] et qui promet d’être la plus grande convention de paix jamais tentée au Moyen-Orient. Et comme nous pensons qu’il s’agit d’un événement important, nous commençons avec cette première interview de Maoz Inon (l’un des principaux organisateurs) une série d’articles « dans les coulisses » de cette initiative extraordinaire, qui a déjà réuni une soixantaine d’organisations israélo-palestiniennes, avec des histoires, des stratégies et des contextes politiques différents, mais toutes fortement orientées vers la paix.
Âgé de 50 ans cette année, connu pour les aventures de sa jeunesse sur certains des sentiers les plus difficiles du monde, du Machu Pichu aux Appalaches en passant par le Népal, Maoz Inon était déjà célèbre en Israël avant le 7 octobre, en tant qu’entrepreneur prospère dans le domaine de ce que l’on appelle le « tourisme de paix » : l’opportunité de traverser des territoires historiquement contestés. Il a démarré son activité en 2005 avec un premier et très bel établissement à Nazareth, et son offre s’est depuis étendue à un réseau d’auberges portant le nom d’Abraham, l’ancêtre commun des trois religions monothéistes.
Tout a changé le matin du 7 octobre 2023, lorsque l’impossibilité de téléphoner à ses parents, qui vivaient dans un kibboutz tout près de la bande de Gaza, lui a fait craindre le pire. Quelques heures plus tard, ses craintes se sont confirmées lorsque leurs corps carbonisés ont été retrouvés à l’intérieur de la maison qui avait été touchée par une roquette tirée par des militants du Hamas.
Bilha et Yakovi Inon
Loin de céder au désespoir ou à l’envie de se venger, Maoz Inon a choisi le pardon, comme il l’a déclaré dans un certain nombre d’interviews que l’on peut trouver en ligne. En particulier à la BBC, en larmes, il décrit son immense douleur, non seulement pour la perte d’un père et d’une mère bien-aimés, tous deux engagés pour la paix, mais aussi pour le bain de sang qui s’ensuivrait inévitablement.
C’est à ce moment précis que Maoz s’est promis à lui-même, à ses parents et au monde entier de consacrer toutes ses énergies, ses capacités, ses ressources et chaque instant de sa vie à la recherche active d’une paix possible. Et c’est ce qui s’est passé : avec le Palestinien Aziz Abu Sarah, également entrepreneur dans le même domaine du tourisme « de paix », ils ont entamé une série de réunions de haut niveau, des Nations unies à Genève aux Ted Talks à Vancouver, qui les ont conduits à la célèbre Arena di Pace de Vérone le 18 mai de l’année dernière, où le pape François les a bénis dans une accolade qui a ému le monde entier.
Moins de deux mois plus tard, le 1er juillet, les deux hommes menaient une autre initiative de paix importante à Tel Aviv : lorsque des milliers de personnes ont rempli les gradins du stade Menorah pour un événement intitulé « It’s time » [c’est le moment] , dont Pressenza a rendu compte dans plus d’un article.
Nous pensions qu’il s’agissait d’une initiative impromptue. Nous comprenons maintenant qu’il s’agissait de la première étape importante d’un voyage qui, quelques mois plus tard (mi-décembre), se renouvellerait dans une longue marche jusqu’aux frontières de Gaza, avec la participation des mêmes organisations qui avaient déjà contribué au succès de l’événement Menorah à Tel Aviv – et qui se rassembleront encore plus nombreux au Sommet des Peuples pour la Paix à Jérusalem les 8 et 9 mai prochains [2025].
Nous avons interrogé Maoz Inon au téléphone pour comprendre comment il a été possible d’obtenir un tel résultat en si peu de temps; et quels seront les développements possibles à l’avenir.
Le Sommet des peuples pour la paix prouve simplement l’existence d’un « camp de la paix » en Israël : une coalition de soixante organisations telles que Combatants for Peace, Standing Together, Women Waging Peace et bien d’autres, afin de montrer la diversité, la force et la vision que nous pouvons offrir tous ensemble. Nous avons beaucoup pleuré, pour toutes les souffrances qui ont eu lieu pendant trop longtemps, mais nous n’abandonnons pas. Nous serons en mesure de rassembler une grande foule, d’amplifier nos voix, de prouver que nous sommes un mouvement et qu’il existe une alternative à cette guerre sans fin.
Nous avons différents départements en charge du programme et bien que je sois parmi les leaders de cette coalition, je ne sais pas exactement ce qui se passera pendant ces deux jours ; le programme sera bientôt finalisé. Je peux seulement vous dire que le premier jour, il y aura des séminaires, des conférences, de la musique et des visites dans différents endroits de la ville. Nous voulions vraiment concevoir cette réunion comme l’expression de la société civile dans toutes ses manifestations et tous ses engagements. Alors que nos politiciens ne parlent que de guerre et de vengeance, nous disons qu’une alternative existe, que nous pouvons la créer.
La situation s’aggrave malheureusement, les circonstances ne pourraient pas être plus difficiles, aucun de nos amis palestiniens ne pourra se joindre à nous, parce que Tsahal [NdT: Tsahal est l’armée israélienne] ne le permettra pas… mais vous, nous, tous ensemble, avons le pouvoir de faire la paix. Ce sommet de la paix montrera que nous ne sommes pas encore la majorité, mais qu’un « camp de la paix » existe. Soixante organisations différentes se joignant à ce projet sont une réalité étonnante !
Comment avez-vous réussi à rassembler autant d’organisations, malgré leurs différences en termes d’identité, de pratiques, de stratégies ?
Après avoir perdu mes parents le 7 octobre, j’ai reçu tant de messages de condoléances et parmi eux, celui d’Aziz Abu Sarah, que je considère aujourd’hui comme un frère, était si touchant et si important que nous avons décidé de travailler ensemble sur ce chemin de la construction de la paix, d’en faire une priorité, une sorte de mission. J’ai rejoint Interact, l’organisation qu’Aziz avait fondée il y a vingt ans, et nous nous sommes demandé ensemble si notre expérience d’entrepreneurs pouvait jouer un rôle.
Et cela fonctionne-t-il ? Dans ces circonstances d’impunité et de déshumanisation, alors que nous ne pouvons que témoigner et nous sentir si impuissants… la paix peut-elle être obtenue en suivant une sorte de feuille de route ?
C’est ce que nous croyons : même le conflit le plus insoluble peut être abordé dans le cadre d’un projet reposant sur cinq grandes étapes. 1ère étape : il faut avoir un rêve et être déterminé à le réaliser, que ce soit dans le domaine social, dans la société civile ou dans l’entreprise… il faut avoir ce rêve, que la paix prévale, en Italie comme en Terre Sainte, comme partout dans le monde. Ensuite, nous devons nous mettre d’accord sur nos valeurs communes : l’égalité et la dignité pour tous, la fin de l’occupation, la reconnaissance partagée, la réconciliation et la guérison, telles sont les conditions préalables à un cadre de sécurité qui peut durer.
Ensuite, nous devons construire une coalition qui puisse refléter le consensus sur ces valeurs partagées à un niveau concret, parce que personne ne peut réaliser ses rêves tout seul. Et nous avons atteint cet objectif : ce sommet de la paix à Jérusalem, que nous co-organisons avec soixante organisations différentes, montre l’existence d’un mouvement pacifiste fort en Palestine et en Israël, qui, j’en suis sûr, existe également en Italie et dans de nombreuses poches d’Europe, et le seul problème est de savoir comment le rendre visible, plus fort et efficace, capable de diriger, doté d’une légitimité.
Pour vous donner un exemple : au début du mois d’avril, nous étions à Londres, où nous avons eu des réunions de haut niveau à Westminster ; nous avons également rencontré les chefs religieux des communautés musulmane, chrétienne et juive, en particulier l’évêque Anthony Poggo, du Sud-Soudan, qui deviendra très bientôt le représentant de l’Église anglicane au sein du Vatican. Et comment pourrais-je oublier de mentionner ce moment fort aux Arènes de Vérone, l’année dernière, le 18 mai, avec la bénédiction du Pape François : un moment, une étreinte entre moi et Aziz, qui a été diffusée à l’audience la plus incroyable du monde ! Un résultat important de cette rencontre avec le Pape en mai dernier a été vu immédiatement après, lors de la réunion du G7 dans les Pouilles [NdT : aussi appelé Apulia], où la pertinence de l’activisme pour la paix de la part de la société civile israélo-palestinienne a été mentionnée dans le document final.
Après notre rencontre avec le pape François à Vérone, qui a été un événement tellement transformateur pour nous, nous avons parlé avec plusieurs chefs spirituels, des rabbins, des imams, qui m’ont aidé à comprendre que ceux qui ont la capacité d’apporter un changement à notre humanité souffrante, jouent dans le domaine de l’imagination, ou ce que nous appelons les aspirations ; le domaine politique vient en conséquence.
Le titre de votre sommet sur la paix, « C’est maintenant » : qu’est-ce que cela signifie ?
Les gens pensent que la sécurité et la sûreté ne peuvent être atteintes que par la force et par l’augmentation des dépenses d’armement. Ils se trompent. La seule voie vers la sécurité et la sûreté passe par le dialogue, la diplomatie, l’écoute, l’effort de comprendre l’autre partie, en plus de la vôtre. Et pour cela, nous avons besoin d’un changement radical de politique. Le monde investit plus que jamais dans des machines de destruction; la seule chose que les « amis » d’Israël nous envoient, ce sont des armes, d’où l’effusion de sang que nous connaissons aujourd’hui. Si seulement les 10 % du budget mondial de la sécurité pouvaient être investis dans le dialogue et la réconciliation… Mais pour cela, nous devons créer une volonté politique, c’est pourquoi nous devons travailler ensemble, forger une nouvelle vision ensemble, nous soutenir mutuellement, et pas seulement ici, entre Israël et la Palestine, mais aussi en Europe, où la paix a été instaurée après ces terribles effusions de sang qu’ont été les Première et Seconde Guerres mondiales. Et je suis parfaitement conscient du débat qui a lieu en Europe ces jours-ci, des slogans alarmants en faveur d’un réarmement… Mais rappelez-vous : Le 8 mai, premier jour de notre Sommet de la paix à Jérusalem, marquera cette année le 80e anniversaire du jour où, en 1945, la Seconde Guerre mondiale a pris fin en Europe.
C’est pourquoi nous avons choisi « C’est maintenant » comme titre pour notre sommet à Jérusalem. En effet, le moment est venu : si nous voulons choisir la paix, si nous sommes sérieux avec nos vœux d’empêcher cette escalade effrayante vers une troisième guerre mondiale, c’est maintenant qu’il faut agir. Et je ne peux imaginer un meilleur endroit que Jérusalem pour renouveler ces vœux pour l’ensemble de l’humanité.
Dans une récente interview accordée à Al Jazeera, vous avez annoncé l’intention de créer un nouveau parti qui pourrait être prêt pour les prochaines élections en Israël, représentant précisément ce camp de la paix et présentant des candidats israéliens et arabes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons plusieurs projets et celui-ci n’est que l’un d’entre eux. Certains projets se concentrent sur l’éducation, d’autres sur la réconciliation ou sur des solutions concrètes, comme dans le cas de Land for All ou de l’Initiative de Genève... La diversité est notre force, tant que nous partageons les mêmes valeurs. Parmi ces différents projets, certains membres de la coalition travaillent sur l’idée de ce nouveau parti qui verra une participation égale des Palestiniens et des Israéliens, pour les prochaines élections qui auront probablement lieu en octobre 2026.
Y a-t-il déjà un nom pour ce parti ? Et les soixante organisations impliquées dans le Sommet de la Paix partagent-elles toutes ce projet ?
Toutes ne sont pas d’accord sur la nécessité de cette étape institutionnelle, certaines considèrent plus important leur travail sur le terrain. Mais dans l’ensemble, il y a un consensus sur le fait que pour être efficace, pour viser un véritable changement, la confrontation ne peut se faire qu’au niveau parlementaire. Il est clair que la majorité de la population souhaite la fin de la guerre. Si, jusqu’à présent, le conflit nous a été infligé sur la base de la vengeance, de la peur, de l’effusion de sang et d’une nouvelle vengeance, nous savons que ce n’est pas ce que veulent les gens. Nous espérions que nos hommes politiques seraient capables de choisir une autre voie, mais comme ce n’est pas le cas, c’est maintenant à nous d’imaginer comment le faire, et de faire en sorte que cela devienne une réalité.
Dans un monde qui a compté cette année pas moins de 56 conflits dans le monde (le nombre le plus élevé depuis la seconde guerre mondiale), pouvons-nous espérer que ce Sommet de la Paix à Jérusalem contribuera à relancer le mouvement de la paix au niveau international ?
Nous assistons à la croissance des autocraties dans le monde entier : Erdogan, Trump, Poutine, Orban ne représentent pas la majorité de la population, mais seulement une partie qui fait plus de bruit que les autres. Nous devons aussi nous faire entendre. Je ne pense pas que nous soyons une minorité, je pense que nous sommes un bon nombre, mais beaucoup d’entre nous sont découragés et silencieux. Nous devons nous défendre les uns les autres et sortir du silence dans lequel nous sommes parfois confinés. Nous devons dépasser les barrières des polarisations qui emprisonnent trop souvent nos meilleures énergies – et avancer, agir, penser, tous ensemble, vers l’objectif le plus important qui est faire la paix, sachant que la paix est toujours faite avec l’ennemi, la paix est ce qui vient après des années de guerre sanglante.
Ce faisant, nous ne pouvons pas oublier toutes les autres crises qui nous menacent : outre les guerres, nous souffrons d’une crise politique, dont les résultats sont visibles par tous ; nous souffrons d’une crise économique, qui profite aux riches tandis que les pauvres deviennent de plus en plus pauvres ; et enfin, il y a la crise environnementale, qui nous affecte tous, nous, habitants de cette planète. Ce dont nous avons besoin de toute urgence, c’est d’une vision holistique de tous ces problèmes et des solutions possibles, et pour cela, nous avons besoin d’une coalition holistique plus large autour d’une grande vision.
Le statu quo mondial est clairement en train de s’effondrer; ce que nous avons essayé jusqu’à présent ne fonctionne plus, alors disons-le : trop c’est trop ! Nous devons également assumer un rôle de leader spirituel, mais nous ne pouvons pas attendre l’arrivée d’un prophète, nous n’avons pas le temps d’attendre le prochain Messie ou quelques anges qui pourraient nous sauver. Chacun de nous doit se faire Messie, prophète, ange annonciateur.
Et je suis convaincu que cela arrivera; la seule question est de savoir combien de vies innocentes devront encore être sacrifiées. C’est pourquoi nous disons : C’est maintenant. Car ceux qui pensent encore qu’aucune guerre ne frappera à leur porte se trompent. Ceux qui, en Europe ou ailleurs dans le monde, pensent que la guerre ne peut toucher que les Israéliens ou les Palestiniens, ou l’Ukraine ou le Congo… se trompent.
C’est donc maintenant qu’il faut se réveiller et réagir, pour mettre fin à ce bain de sang et œuvrer tous ensemble pour une paix durable.
Site officiel de l’événement : https://www.timeisnow.co.il/new1-2
Voir aussi les articles publiés sur le Sommet des Peuples pour la Paix
Traduction de l’anglais, Evelyn Tischer