Comment la pratique du vélo à plusieurs peut-elle créer du lien social ? Pourquoi militer en tant que cyclistes et comment ? Comment le vélo peut-il être un outil social et solidaire ? Tant de questions qu’on aborde dans ce podcast participatif, fait par les intervenantes et pour toutes celles et ceux qui ont des trucs à dire. Dans “Salut, ça roule ?”, on explore des façons de faire différemment ensemble, des initiatives militantes, une culture commune à vélo.

Paul Varry avait 27 ans. Il a été écrasé par le conducteur d’un SUV le 15 octobre à Paris. Sa mort a suscité une vague d’émotion dans tout le pays. Le week-end suivant, plus de 200 rassemblements ont été organisés contre les violences motorisées et pour rendre hommage au jeune homme, développeur et militant pour le développement du vélo.

À Lyon en France, les critical mass ont de nouveau lieu depuis novembre 2024. Ce sont des manifestations cyclistes festives qui vont d’un point de départ à une arrivée, en passant par un trajet prédéfini. L’idée est que tout les usagers légers non motorisés participent (vélos, rollers, skates, trottinettes). La parade prend la forme d’une masse de cyclistes qui roulent de façon compact. Chacun ramène ce qu’il ou elle veut en drapeau, slogan, déguisement, musique, boisson ou autre. Il n’y a pas de mot d’ordre et de revendications explicites, mis à part le fait de reprendre ensemble l’espace public.

La ville de Lyon a une mairie écologique (eelv), et des aménagements en pistes cyclables sont portés par les élus et la Métropole. Cependant Lyon reste, comme toute les grandes villes, avant tout fait pour la voiture. Les usagers légers et non motorisés restent marginaux dans l’espace public. Un récent drame à Paris a mis en lumière la dangerosité et l’injustice dans la place accordée aux usagers légers de la route.

Pour plus de visibilité et pour créer du lien, des usagers du vélo se sont mobilisés à Lyon et ont réorganisé une Critical Mass. Depuis le mouvement est lancé et gérer de façon horizontal, sans qu’une organisation officielle l’organise en son nom et avec ses revendications.

Épisode 1 sur 4 : les Critical Mass, la rue à deux roues

Transcription

On roule ensemble chaque dernier vendredi du mois. La Critical Mass est une forme d’action directe dans laquelle des cyclistes participent à une parade festive à un moment donné et depuis une localisation choisie. L’idée est la suivante : en roulant ensemble, on se protège les uns les autres du reste du trafic. La sécurité réside dans le nombre, dans une masse compacte et bienveillante. Ce mouvement est de retour à Lyon depuis quelques mois. Ils et elles l’ont organisé, ou y étaient en tant que simples cyclistes. Ils nous racontent leurs expériences…

“Ce n’était pas un mouvement qui nous appartenait”

Je m’appelle Perrine, j’ai 23 ans et j’habite à Lyon depuis 2 ans. Je suis arrivée il y a 2 ans à Lyon et j’avais déjà entendu parler des Critical Mass de ma mère, qui me racontait qu’elle faisait des Critical Mass dans les années 90 à Paris. Du coup j’avais très envie de vivre ça à Lyon. En arrivant ici j’ai vu quelques affiches et en fait à chaque fois c’était des trucs qui n’existaient plus. Donc j’étais un peu en mode : Oh bah non trop triste. Et là à l’automne quand on était dans un repas au Chat (Atelier du Chat Perché – mécanique vélo et autogestion), un midi ça a commencé à parler de Critical Mass. Théo avait l’air très motivé pour lancer ça. Voilà et on n’a pas trop reparlé… c’est Paco et Jules qui ont un peu lancé le truc en disant : on a l’air d’être motivés. Du coup un midi on s’est retrouvé et on a dit : on en parle, venez on lance ça au lieu de continuer à ce que ça n’existe pas. C’est parti de là. Du coup au début on était que tous les quatre, donc l’enjeu d’abord c’était de bien communiquer. On avait fait une affiche, on s’était donné genre 15 minutes pour faire une affiche. Après on avait pris un peu tous les meilleurs éléments de chacun et on avait refait une affiche collective qu’on a imprimé à la Corep et qu’on a un peu collée partout. On a un peu parlé aux gens des ateliers, plus aux coursiers tout ça et aux gens qui font des rides collectives. Et la deuxième grosse partie c’était de prévoir une trace par où on allait passer. Et du coup on a fait des tests tout ça. Et aussi on a pas mal contacté des collectifs qui faisaient des Critical Mass à Marseille et à Montpellier pour leur demander comment ils faisaient enfin ils faisaient en termes d’orga et qu’est-ce qu’ils nous conseillaient de faire.

Du coup on est un peu parti de là et on était un peu stressés parce qu’on se disait on n’est que 4 à encadrer. Enfin pas encadrer mais on n’est que 4 à lancer ça. Et du coup on se stressait. En tout cas moi je stressais que ça soit dangereux pour les gens tout ça du coup on était en mode : “Chacun prend un côté, y’a quelqu’un qui se met devant quelqu’un derrière quelqu’un sur la gauche et quelqu’un sur la droite !”. Et on pensait qu’il y allait avoir 50 personnes et en fait au final il y avait 180 personnes la première fois. Et ça ne s’est pas du tout passé comme ça genre juste… enfin il y avait beaucoup les gens des ateliers qui savaient comment faire et qui ont bloqué les routes, se sont mis derrière tout ça. Du coup ça s’est grave bien passé. Et on avait acheté des bières qu’on a vendues à prix coûtant. À la fin globalement c’était ça l’orga quoi…

Depuis, l’idée c’était qu’on le lançait mais que ce n’était pas un mouvement qui nous appartenait. Du coup on a dit, on a lancé ça mais venez organiser ça avec nous… enfin venez pas organiser… si en soi c’est de l’organisation, mais venez faire ça avec nous. Et du coup on a ouvert au public, on a dit on se retrouve tel jour à la griffe (cf. La Gryffe – Librairie libertaire depuis 1978). Et c’était trop chouette, on devait être 10 à la réunion. Et là on a fait exactement pareil. D’abord on a fait un peu un tour de table pour dire qu’est-ce qu’on avait aimé, pas aimé, c’était quoi la Critical Mass. Parce qu’en fait c’était un peu ça le débat au début : est-ce qu’on fait une vélorution, est-ce qu’on fait une Critical Mass, est-ce qu’on politise, est-ce qu’on ne politise pas. En fait on est un peu parti pas d’accord sur ce point de vue-là. Pas tout le monde ne voulait politiser de la même manière tout ça. Donc on est un peu parti en mode : on n’est pas d’accord sur ça mais on le fait quand même. Et du coup c’est un peu des débats qui reviennent à chaque fois, sur est-ce qu’on politise ou pas. En fait il y en a qui sont en mode : “nous on a envie que même les gens de droite se sentent légitimes à venir “, ce qui n’est pas ma position. Mais en soi on n’est juste pas d’accord mais ce n’est pas grave. Et du coup à chaque fois on fait ça. Enfin du coup les deux autres fois on fait en gros pareil, on fait une affiche qu’on vote ou qu’on fait au consensus après un appel public pour dire “donnez vos affiches”. Après on fait une trace, qu’on teste, et on dit ce qu’on a aimé, ce qu’on n’a pas aimé, enfin voilà c’est hyper simple en fait.

Là c’est à peu près le même groupe, je ne sais pas on doit être 8 un peu fixe, enfin qui sont vraiment investis et qui sont là à chaque fois et qui portent le truc, et qui prennent des initiatives et c’est les mêmes personnes. Et ce ne sont pas que des connaissances de connaissances en soi, ça c’est ouvert aussi à des gens qui ne nous connaissaient pas de base.

En fait c’est tout le truc ambivalent de la politisation où en fait on est dans une ville écolo où il y a genre plein de pistes cyclables. Moi au début j’étais un peu mal à l’aise avec le fait que ma revendication c’est d’être cycliste parce que on reste des gens de centre-ville plutôt blancs, pas forcément bourgeois, mais bon voilà ce n’est pas une revendication politique si importante. Et on n’a pas des revendications de fous parce qu’en soi la mairie écolo fait déjà des petits cyclables. Du coup le côté festif nous permettait d’ouvrir à plus de monde. Je pense que ça ne sert plus à rien de revendications en mode plaidoyer mais par contre de dire on occupe collectivement l’espace et les gens se sentent en confiance et se sentent appartenir au groupe cycliste et on se sent bien tous ensemble et on occupe l’espace. Ça je trouve ça intéressant.

Après la parade : “c’est phénoménal tout simplement”

– C’était la première que j’ai faite et j’ai adoré. C’était super cool. Il y a des vélos qui sont super originaux, des gens qui sont déguisés et tout. Bonne ambiance, donc je recommande à tout le monde.

– C’est incroyable, c’est hilarant, c’est phénoménal tout simplement !

– Je suis trop content que ça se termine ici. Je venais demander un peu à des gens parce qu’en fait on est sur le lieu du premier atelier du Chat Perché (Atelier du Chat Perché – mécanique vélo et autogestion) qui était à la Friche RVI. Moi j’ai vécu des sacrés trucs là, il y avait eu des événements, des tall-bikes (vélo modifié avec une selle très haute), des trucs en vélo où on se fonce dedans et tout. Ça me fait quelque chose et ça me rappelle les sacrées années, les vélorutions (cf. velorution.org) dans les années 2004. J’ai eu les infos via Insta ou même en croisant les gens.

“Je considère qu’il y a une espèce d’auto-gestion de la masse”

« Moi je suis étudiant à Lyon. En fait je suis à Lyon pour une durée assez courte je fais un stage de fin d’études et je suis ici depuis cinq mois. Moi c’est un mouvement que j’ai découvert en étant en Italie et bon toujours en étant intégré dans différents mouvements vélo beaucoup d’ateliers d’auto-réparation que ce soit en Allemagne, en Italie, en France. Et en fait je suis tombé dans une ville en Italie où ils faisaient les Critical Mass qui étaient organisés plus ou moins par les personnes de l’atelier de vélo là-bas. Et voilà ça prenait cette forme-là d’une petite parade à vélo une fois par mois qui portait ce nom Critical Mass. Et moi j’ai trouvé ça super. J’y ai participé plusieurs fois sans forcément vraiment mettre la main à la pâte. Juste en tant que cycliste qui trouvait ça rigolo de faire un petit tour de vélo avec de la musique et une super belle ambiance. Et quand je suis parti d’Italie, en fait j’avais déjà vécu à Lyon à l’époque et je savais qu’à l’époque, ça n’existait pas quand j’étais là. Et je me suis dit, la Critical Mass, peut-être que je l’ai loupée à Lyon, peut-être que ça n’existait pas, peut-être que ça n’a jamais existé.

Et du coup, j’ai fait un peu de recherches. Et en effet, il y a eu différents mouvements qui ont existé à Lyon. À l’époque où j’étais là, la Critical Mass ou autres noms comme Vélorution, Mass Critique, ça n’existait pas non plus à Lyon. Mais bon ça a déjà existé par le passé et je ne comprenais pas. Je m’étais dit c’est un peu dommage que ça n’ait pas lieu à Lyon. Et du coup je crois que je suis un peu venu à Lyon avec ce rêve-là de me dire que ça renaîtrait et que ça aurait lieu. Une idée qui me trottait dans la tête. Et puis je crois qu’il y a eu une belle coïncidence parce qu’en arrivant à Lyon je me suis remis dans divers mouvements autour du vélo que ce soit des ateliers d’auto-réparation ou autre et dans ces cercles là j’ai rencontré des gens. Et voilà il a fallu une espèce de petite étincelle pour que ça ait lieu, ça m’a aussi surpris parce que ça allait beaucoup plus vite que ce que je pensais. Je m’étais dit : ce serait génial que d’ici quelques mois le mot est circulé et qu’il y ait une espèce de Critical Mass qui renaisse. Et puis finalement ça s’est super bien passé ça allait super vite on s’est retrouvé avec quelques personnes qui étaient motivées et le truc a grandi.

Un “vélo bizarre”, Lyon, Place Bellecour, au départ de la Critical Mass du 28 février 2025. (Par Aurèle Castellane, @broth_earth)

On en a fait une première et je découvre vraiment comment ça s’organise, comment ça se crée, comment ça se forme. Au final en faisant des recherches on est tombé sur ce truc-là : c’est un mouvement qui n’est pas organisé qui essaye d’être ultra libre et c’est cette forme de coïncidence qui fait qu’il n’y a pas de représentant.es, pas de structure derrière. Il y a un point de rendez-vous, il y a une heure généralement une fois par mois et après ça roule. Et du coup moi de ce que j’ai trouvé c’est que c’est un mouvement qui est né en 1992 je crois à San Francisco. Et après on va dire que ce qui est des parades à vélo, ce n’est pas né en 92 à San Francisco. Elles existaient déjà avant dans plein d’autres villes notamment à Lyon où on s’est rendu compte qu’il y avait eu déjà des mouvements de vélorutions, vélo-parades dans les années 70.

C’est un mouvement au mieux apolitique, naturel, qui naît de la part des participant.es, d’une envie de ne pas rentrer dans les clous d’une manif ou d’une parade organisée. Le but, c’est vraiment de faire un peu ce que bon nous semble, en fait. Notamment, on peut parler de la relation avec les forces de l’ordre, etc. Il y a ce sujet-là de ne pas être déclaré… C’est vraiment un truc qui est porté initialement par ce mouvement-là, Critical Mass. Après, l’idée, je crois, par le fait d’avoir créé un mouvement et de lui avoir donné un nom, c’est aussi que ça se démocratise. Plein d’autres villes qui avaient déjà un mouvement similaire ou qui n’en avaient pas se sont mis à s’accorder un peu là-dessus. Notamment avec cette mensualité qui est on va dire initialement les derniers vendredis du mois, ce qui varie aussi en fonction des villes. Nous on s’est calé sur le dernier vendredi du mois parce qu’on trouvait ça intéressant de garder cette espèce d’unité et de se dire voilà on pédale nous le dernier vendredi du mois, et il y a plein d’autres mondes qui pédalent en même temps que nous dans plein d’autres villes autour du monde.

L’idée ce n’est pas non plus de se dire qu’on est les seuls à faire ça. Plein de mouvements cyclistes, vélo-parades, vélorutions qui existent. Nous, on lui a donné ce nom-là, mais chacun, chacune l’appelle comme il le veut. Toujours dans ce principe de « il n’y a pas de décision, il y a juste une heure de rendez-vous ». Et un lieu de rendez-vous une fois par mois. Ce qui est vraiment intéressant, et moi ce que j’ai découvert là-dedans, c’est ce truc-là d’essayer d’être non organisé d’une certaine manière, et ce qui n’est pas facile à faire aussi, mais ce qui est vraiment intéressant, en tout cas, de regarder le mouvement ouvert au mieux, ou en tout cas de se dire qu’il n’y a personne derrière ça, et que ça dépend vraiment des personnes qui viennent à ce genre de rencontre-là. Si jamais il se peut qu’il n’y ait pas de rencontre et que ce soit tout décidé de manière…

Alors c’est apolitique tout en n’étant pas apolitique. Le mouvement ne met pas en avant une portée politique. À part la portée politique de se dire on est cycliste et ou utilisateur·ice d’autres modes de transport d’où skate, roller, marche etc… Aussi d’être plutôt anti-voiture, même si ce n’est pas ouvertement dit, mais ça se ressent, et moi je le ressens comme ça. Essayer de repenser la place de la voiture, qu’on atteigne une forme d’égalité au niveau de l’espace qui est attribué aux modes doux, et qui selon moi n’est encore pas atteint du tout aujourd’hui. Et il y a ce truc-là de se dire, la partie politique de la critical mass, elle dépend des personnes qui viennent, que chacun, chacune est libre d’apporter un drapeau, d’apporter des slogans, qui peuvent rendre la masse politique durant la durée de la masse, mais ça peut être aussi très divers. Moi je considère qu’il y a une espèce d’auto-gestion de la masse en elle-même qui considère que s’il y a des attitudes déplacées ou s’il y a des choix qui sont mis en avant qui sont déplacés, la masse en elle-même peut s’auto-gérer. Mais dans la communication qui est faite, on va dire qu’il n’y a pas d’ambition politique.

Dans mon imaginaire à moi, les Critical Mass, ça a un caractère anarchiste très important du côté de l’autogestion, mais encore plus de ça, il y a vraiment ce côté anarchiste de pas de gestion. Voir un peu punk, mais ça aussi, ça fait partie du côté un peu plus vélo-bricolage et c’est toute une culture alternative du vélo que j’aime beaucoup. En Italie, une fois par an, ils font une grande Critic. En France ça se fait aussi une fois par an ça dépend ce n’est pas tout le temps… Mais voilà il y a quand même des rassemblements on va dire autour de ça qui sont vachement beaux, avec plein de communautés qui se retrouvent autour de cette folie de prendre l’espace qu’on a besoin dans les rues à vélo. C’est un truc vraiment un peu fou en fait, ces parades de vélos bizarres de construction complètement folle, un moment hyper joyeux festif avec de la musique, avec des gens de tout âge. Ça donne une espèce de moment hors du temps où tu te balades en ville entouré de plein de vélos et de personnes différentes. Dans mon idéal, ce serait trop cool que ça évolue vers un truc comme ça où vraiment on voit des constructions folles et des gens qui boivent des bières sur leur vélo et qui s’arrêtent à acheter un truc à manger au coin de la rue, et qui continuent, et qu’on finisse dans des parcs quand il fait beau et qu’on puisse faire la fête ensemble. Que ce soit une porte d’entrée à une expression artistique, je trouve ça cool aussi, avec des créations d’affiches, participation d’artistes, de musiciens, musiciennes, ce serait trop bien !”

“Rencontrer d’autres gens qui font du vélo, ça fait du bien”

– Moi c’est Camille, je suis dans les cercles un peu de vélo de Lyon, un peu de loin mais depuis quelque temps et du coup c’est comme ça que j’ai commencé à entendre parler de la Critical Mass. Ce qui est compliqué c’est que j’ai l’impression que vous communiquez beaucoup sur Insta et moi n’y suis pas. Donc du coup je récupère les informations via des potes et du coup-là c’était la première fois. Donc c’était cool, c’est chouette parce qu’on se sent en sécurité. Juste ce soir j’étais dispo, beaucoup motivée pour, et puis rencontrer d’autres gens aussi qui font du vélo, ça fait du bien.

– Salut, donc du coup nous en fait à la base on ne connaissait pas trop et puis on est venu, on s’est mis à boire des bières et on fait deux trois trucs à côté. Mais au final on aime bien l’ambiance, on aime bien le côté blocage et on aime bien le mouvement protestataire sans dire qu’on est non plus des grands manifestants. C’est surtout un bon moment convivial avec des potes et à qui on peut rencontrer des gens.

– Je pense qu’il a tout dit mais moi ce soir particulièrement, j’étais assez crevé et je me suis dit je vais aller rejoindre les potes juste dire bonjour j’avais un vélo à récupérer. Du coup j’ai pris mon cargo. Je savais qu’Erwan avait son cargo aussi je l’ai vu il avait mon vélo. et puis en fait j’ai été embarqué par le groupe et je suis arrivé jusqu’à la fin et puis là je me retrouve à boire des bières alors que je devrais pas du tout je devrais rentrer chez moi plutôt et aller dormir. Mais bon ce n’est pas grave…

– Moi, c’est la deuxième fois que je viens au Critical Mass. J’en ai entendu parler par le bouche à oreille. Moi, je trouve que c’est important qu’en vélo, on puisse réapproprier un peu la ville et de ne pas laisser toute la place aux voitures. Il y a une bonne ambiance, il y a de la zik. Après, il y a un petit truc qui est un peu plus chiant, c’est qu’il y a des voitures qui ne se laissent pas faire, on va dire malheureusement. Mais bon, voilà…

Cyclistes de la Critical Mass du 28 février 2025, Lyon. (Crédit image: Aurèle Castellane, @broth_earth)

Chiche ou pas chiche ?

Moi je m’appelle Jul (en trois lettres). Je suis sur Lyon et je fais du vélo depuis 2017 en vélo-taf vraiment quotidien. Les Critical Mass ont commencé à Lyon en novembre 2024. Et c’est vrai qu’on était un petit groupe de quatre personnes à avoir fait des plans sur la comète quelques mois avant et puis c’est parti d’un : “chiche ou pas chiche ? Allez, on va essayer de lancer ce truc-là”. Donc on a un peu parlé de comment on pourrait l’organiser, quelle sphère du vélo et quelle communauté on pourrait motiver à venir pour donner une belle impulsion au projet. Et là ça fait 4 mois que ça dure. À chaque fois on a quasiment eu plus d’une centaine de personnes. On a démarré ça volontairement au mois de novembre en se disant que c’était la période la plus difficile pour les vélos-taffeurs, pour motiver les gens à faire du vélo un soir à 19h… et dans le but qu’au printemps, en été la Critical Mass ait déjà sa réputation, que ce soit un événement inscrit et habituel dans la tête des gens et que potentiellement on soit un grand nombre pour une participation sous le soleil.

La Critical Mass pour moi c’était celle de Bruxelles parce que c’est la seule que j’ai expérimentée en tant que participant. Je l’avais fait pendant un mois d’été et on était à peu près 3000 cyclistes à Bruxelles. Et je me suis dit chiche, chiche on essaye de faire pareil. Donc c’était à la fois une grande excitation et puis le démarrage d’un projet impossible, quoi. A 3000 dans Lyon ce serait titanesque et je me disais : waouh ce serait… ce serait le démarrage d’une belle aventure. On était 190 à la première, mais il suffit de multiplier ça par 10 et on s’approche de Bruxelles…

On essaie d’avoir un mode de gouvernance horizontal où il n’y a pas de hiérarchie, même si forcément il y a toujours dans tout militantisme des personnes qui ont plus de légitimité que d’autres, du fait qu’ils soient là depuis plusieurs mois, qu’il y ait des personnes qui viennent et qui soient nouvelles. Il y a quelque chose auquel il faut faire très attention, mais du coup on essaye d’être le plus horizontal possible et de s’organiser ensemble.

Il y a quelques points sur lesquels on réfléchit notamment les ambitions politiques de la Critical Mass. Il y en a qui souhaitent faire de cet événement quelque chose de militant et il y en a d’autres, comme moi qui souhaiteraient plutôt que cet événement devienne une grande fête et quelque chose de festif, quelque chose d’apolitique. Ce que j’aimerais bien, c’est que ce soit un événement sympathique où on fête le vélo tous ensemble. C’est une espèce de conflit interne qu’on a en ce moment… Mais ce n’est même pas un conflit, ce sont plus des questions qu’on se pose tous ensemble et pour l’instant, on arrive à tous y trouver ce qu’on souhaite. C’est vrai qu’en employant le mot désaccord ou conflit en interne c’est peut-être un peu violent, parce que l’accord primaire qu’on a tous c’est que chacun s’approprie ce projet comme il le souhaite. Du coup on a des désaccords, mais qui sont basés sur un grand accord : on s’approprie tous le projet comme on le souhaite. Moi j’aimerais qu’il se développe d’une certaine manière, d’autres aimeraient qu’ils se développent un peu différemment mais on est quand même dans la grande intention collective de faire une masse critique de plein de vélos en ville. Et de toute façon, ce sont des projets militants. On a tous nos raisons intimes, personnelles et nos convictions. Et là on arrive à être tous à bord d’un grand bateau. On va dans la même direction et c’est juste la manière dont on tire les bords. On a des idées différentes mais on avance.

Je pense que c’est à la fin des Critical Mass quand on crée un événement festif, quand on boit un coup tous ensemble, qu’on arrive vraiment à se connecter les uns les autres. Et j’ai l’impression que les gens sont globalement contents qu’il y ait cet événement. On n’a pas forcément de retour, mais en tout cas il y a des personnes qui viennent, qui ont l’air d’être heureuses d’être venues. Pour moi le fait qu’il y ait du monde, des gens qui sont venus faire du vélo tous ensemble… Je trouve qu’il y a un aboutissement là-dedans.

Le rapport à la voiture pendant la critique à la masse, je pense que c’est le rapport à la voiture que les vélos ont quotidiennement lorsqu’on partage la route. Le fait de former une masse critique, ça va faire ressortir cette insécurité et ces violences quotidiennes que les utilisateurs légers (cyclistes, trottinette, roller, skateboard) subissent au quotidien. Donc forcément quand d’un coup il y a 200 vélos qui passent devant une bagnole, ça va faire ressortir ce qui se passe habituellement. Et pour moi, c’est une raison de continuer à faire des Critical Mass et de montrer qu’on est cycliste. On est des utilisateurs faibles de la route et on doit gagner une forme de légitimité. Et la Critical Mass apporte une forme de solidarité. À un moment où on se dit : on est tous ensemble, on va montrer qu’on est là. Et ça nous fait aussi du bien de nous voir partager ça ensemble et de se dire : ce qu’on subit on va le subir ensemble et en plus on va mettre de la musique et on va se montrer qu’on est là. Après il y a des répercussions qui peuvent être assez compliquées. Il y a eu des drames dans certaines villes. De toute façon, il y en a au quotidien des cyclistes, rollers, trottinettes qui sont tués par des voitures. On fait tout pour former une masse critique et que ça n’arrive pas. Après, une voiture, c’est une forme de puissance incommensurable face à un cycliste. On espère que ça n’arrivera jamais aux critiques à la masse de Lyon et par ailleurs dans le monde d’ailleurs. Mais ces violences-là, c’est pour ça que la Mass existe, qu’elles existent.

Pendant l’organisation des Critical Mass à Lyon, on se dit qu’on aimerait bien faire un événement festif à la fin. C’est une initiative du groupe. Alors, est-ce qu’ils font pareil dans les autres villes ? Bonne question. Je sais que sur certaines, c’est la fête au début. Et à Lyon, c’est vrai que pour l’instant, c’est l’inverse. Je pense qu’il y a une intention de… fédérer les gens et de leur faire passer un bon moment. J’ai l’impression que les gens sont heureux par eux-mêmes et que cet événement, à la fin, est festif, et se fait de lui-même et que même si les personnes de l’organisation ne disaient pas qu’on le ferait, je pense qu’il existerait quand même. À mon avis, ça pourrait prendre une autre forme. Je souhaite que ça prenne d’autres formes dans d’autres villes, d’ailleurs. Peut-être que ça s’est fait comme ça, un peu de manière naturelle.

La conduite en état d’ébriété, n’est pas recommandée, de toute manière… Cela étant, les gens s’approprient cet événement comme ils le souhaitent. À la fin, tout le monde discute, tout le monde partage un moment. S’il y en a qui veulent boire des bières, ils boivent des bières. Perso, à la dernière, je n’en ai pas bu, j’en étais très content. Et en même temps, ceux qui veulent le faire, le feront s’ils le souhaitent.

Je trouve ça chouette que cette Critical Mass soit une réunion physique tous les mois parce que c’est un militantisme par l’action. Et je pense que dans le militantisme il faut multiplier les modes opératoires. Là la masse elle existe par l’action uniquement par l’action. C’est-à-dire que les gens viennent et forment une masse. Ils ont des drapeaux ou pas. Ils ont des revendications ou pas, ils ont de la musique ou pas. Mais c’est de l’action. Il n’y a pas forcément de place au long discours, à l’étalage de grandes idées. C’est vraiment tu viens, et tous ensemble on va créer quelque chose. Et je trouve que c’est chouette de militer en faisant, en sortant de chez soi, en prenant un outil qui est en l’occurrence le vélo et de se dire : allez on va essayer de créer un moment qui sera un moment… en fait de long terme. Parce qu’un événement tous les mois, c’est quelque chose qui existe au quotidien et qui fait partie du décor. En tout cas c’est bien de se réunir, de se voir, de rouler ensemble, de se connecter et de créer tous ensemble en plein air. Et ça je trouve que c’est beau et que ça vaut vachement le coup.

 

Merci à toutes celles et ceux qui ont participé par leurs témoignages ou leurs conseils. Merci à l’artiste Isqar pour la musique. En espérant que ça vous ait plu.

 

Voir aussi :

Ateliers vélo le Chat Perché, les chemins des communs

“Salut, ça roule ?” Épisode 1 sur 4 : la critical mass, la rue à deux roues

“Salut, ça roule ?” Épisode 2 sur 4 : les Alley Cat, explorons la ville !