« Le genre humain n’a rien pensé d’important qu’il ne l’ait écrit en pierre » Victor Hugo

« Les ordres monastiques d’abord, puis les templiers ensuite vont former des corporations de métier pour leur apprendre ‘le savoir et le bien faire’ … En effet, il apparaît vers la fin du XIIe s. que l’essor donné par St Bernard à l’édification des cathédrales va demander des moyens considérables, aussi les monastères vont former et donner leur savoir à des laïcs pour entreprendre ces constructions. Ce savoir sera d’abord enseigné dans les monastères puis par extension par les initiés et les Maîtres d’Œuvre dans les loges élaborées près des grands chantiers, sous réserve du secret compagnonnique dispensé au fur et à mesure de leur compréhension ». [1]

Afin que l’approche de cette thématique sur l’architecture des cathédrales ne soit fastidieuse, nous en simplifierons la description particulièrement complexe. Pour plus de détails lire « De la Pierre aux Etoiles » de P. Darcheville.

Après que le chantier ait été constitué sous la conduite du Maître d’œuvre et des maîtres d’ateliers, les compagnons sont prêts à entrer en fonction pour l’édification de la cathédrale qui va durer des décennies. C’est le temps de l’ouverture à la lumière. Cette évolution architecturale s’étend de 1118 à 1314 en trois périodes :

– Le gothique primitif du XIIe s. succédant à l’art Roman, qui était massif, il est jaillissement dans l’élévation, et apparaît tout d’abord en Haute Picardie ; datent de cette époques les cathédrales de Sens, Noyon, Soissons, Laon, Paris [pour la nef].

– Le gothique classique, de 1190 à 1230 environ. La cathédrale est de plus en plus haute, les voûtes de plus en plus élancées, et les murs moins épais afin de laisser la lumière pénétrer dans l’édifice ; les contreforts massifs laissent place aux arcs boutants [N.d.E. : Arc boutant : mot composé de « arc » et de « bouter » ancien verbe signifiant « pousser, repousser »]. Période des grands chefs d’œuvre gothique qui verra l’édification de Chartres, Amiens, Reims, Bourges, Paris [le chœur] Les vitraux et les rosaces couvrent déjà de grandes surfaces.

Notre Dame de Strasbourg : Les arcs boutants. Photo Claude TRUONG-NGOC (CC BY-SA 4.0)

Le gothique flamboyant [N.d.E. : Terme d’architecture gothique : qui emploie des ornements ondulés en forme de flamme, ondoyants. Dictionnaire Littré.] des XVe et XVIe s. Période de développement des surfaces vitrées et de la décoration sculptée. Avec Rouen et Troyes, c’est dans la Sainte Chapelle à Paris que le gothique flamboyant s’illustre plus particulièrement. [1]

La Tour de Beurre de la cathédrale de Rouen. Photo Frédéric Bisson (CC BY 2.0)

1. Les mesures préalables

Pour délimiter l’espace sacré en analogie avec le ciel, le Maître d’Œuvre [N.d.E. : Villard de Honnecourt, l’un des Maîtres d’Œuvre les plus connus grâce aux carnets de croquis qu’il a laissés, le papier étant rare à son époque, les parchemins étaient grattés et réemployés.] plante en terre le gnomon qui va par ses ombres donner les longueurs et largeurs du temple. Au solstice d’été, l’ombre est la plus courte. Les données sont prises aux levers et couchers du soleil, aux solstices et aux équinoxes. La consécration de la cathédrale se fait lors de la pose de la première pierre, laquelle reçoit une bénédiction spéciale le jour de la dédicace. [N.d.E. : Dédicace, Cérémonie de consécration d’un édifice religieux ou de son autel (église, chapelle…) servant aux célébrations liturgiques. Le véritable acte de naissance de ce sanctuaire n’est pas la pose de la première pierre, mais ce rituel de consécration. Wikipédia].

Au lever du soleil, le jour de la dédicace, le gnomon projette son ombre sur le sol. La direction de cette ombre indique l’axe de construction de la cathédrale. Cet axe est appelé decumanus [E-O]. A midi heure solaire le même jour, l’ombre projetée détermine le point de passage d’un autre axe, perpendiculaire au premier, c’est le cardo [N-S].  [2]

Concordance espace-temps. Image : La symbolique des cathédrales, collection Homo Religiosus. Cahiers d’études pour la redécouverte du sacré.

2. Les symboles

Ils suivent la tripartition corps-âme-esprit :

– Le corps de l’Humain,

– L’âme de la Nature,

– L’esprit de Dieu.

Une légende des compagnons du Tour de France dit : « Trois Tables ont porté le Graal, une ronde, une carrée et une rectangulaire. Elles ont la même surface et leur nombre est 21 » [2]. Dans son ouvrage sur les mystères de la cathédrale de Chartres, Louis Charpentier définit le nombre 21 comme se rapportant à la Table rectangulaire, dont la longueur est de deux unités et la largeur d’une unité : soit 2 et 1, un rectangle dont la longueur est le double de la largeur.

Du point de vue symbolique :

– La Table carrée représente la Terre et ses quatre dimensions, modèle de stabilité à l’image de la table et de ses quatre pieds. C’est une surface. Le carré sera donc associé au corps qui est la base sur laquelle viennent s’appuyer l’âme et l’esprit.Cette table située au centre de la cathédrale, à la croisée des deux transepts, et délimitée par 4 piliers, sépare l’espace sacré de l’espace profane.

– La Table rectangulaire, la première à être construite [composée d’un double carré] est assimilée à l’âme et représente aussi l’élévation, la hauteur.Elle se trouvera à l’emplacement de l’autel. Seuls l’évêque, les prêtres et les chanoines avaient accès à cet espace de méditation que protégeait un jubé, clôture de bois ou de pierre qui séparait le chœur de la nef. Un grand nombre de ces clôtures ont aujourd’hui disparu.

Photo : Le jubé de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët (Bretagne) | G Freihalter, Wikimedia CC BY-SA 3.0

– La Table ronde est la réunion des deux tables précédentes, elle représente l’esprit, les astres les plus proches de la Terre, le soleil, la lune. « Cette Table ressemble donc en quelque sorte à un calendrier où cohabitent année solaire et année lunaire » [3]. Dans les cathédrales comme Amiens et Chartres où un labyrinthe a été conservé, la Table ronde est figurée par ce chemin de lumière.

Ces trois Tables, nous explique Patrick Darcheville, représentent allégoriquement le shin , vingt et unième lettre de l’alphabet hébraïque qui symbolise la nature humaine. « Si l’on met le Shin à l’intérieur de Yahvé, poursuit Patrick Burensteinas, ça ne fait plus Yahvé mais Yeshoua, Jésus. Ce nom Jésus vient de Yahvé, Yod He Vav He, lettres qui représentent le Feu, l’Air, l’Eau et la Terre ». [4]

Tracé de la table rectangulaire et représentation des tables ronde et carrée in Le secret des cathédrales, Pierre Alexandre Nicolas.

Les trois Tables mystiques. Image : Arkhemia

3. Les mesures 

La coudée, l’empan, la palme, la paume [3]

L’article sur le compagnonnage nous avait familiarisé avec les différentes mesures utilisées pour la construction, la mesure de base étant la coudée ; elle représente en l’homme la partie qui va du coude à l’extrémité du médium. C’est d’elle que découlent les autres mesures : le pied, l’empan, la palme, la paume. « La coudée est en fait les cent millièmes parties de la longueur d’un degré du parallèle. Pour en avoir une valeur approximative, il suffisait de planter un bâton d’un mètre dans le sol et de relever son ombre projetée tous les jours à midi ; au bout d’un an la valeur de la coudée résultait de la moyenne de toutes ces mesures. On peut ainsi dire que la cathédrale est une œuvre solaire ». [3]

4. Les Pierres

Nous avons vu précédemment que l’Eglise spirituelle est constituée par un grand nombre de fidèles, à l’image de la cathédrale qui est construite d’un grand nombre de pierres unies entre elles. La pierre de construction est polarisée, elle a une orientation haut/bas, et il est important de la replacer dans ses axes Nord/Sud telle qu’elle était dans la carrière. Pierre Alexandre Nicolas nous donne le détail de l’agencement des pierres sur un mur « La partie basse, vers le sol avait une polarité positive, et la partie haute négative. La pierre suivante avait une polarité complémentaire [positive en bas et négative en haut] et ainsi de suite dans toute la hauteur du mur. On peut voir là, en quelque sorte, l’ancêtre de l’électricité où la borne positive doit être associée à la borne négative si l’on ne veut pas créer de court-circuit. Le temple de pierre est alors un gigantesque fil électrique au travers duquel s’expriment les énergies entre le ciel et la terre ». [3]

– La pierre fondamentale : De forme cubique, située à l’angle Sud-Est du chevet, gravée d’une croix sur chacune de ses faces, elle symbolise la cathédrale tout entière et sera bénie par l’évêque.

– La pierre angulaire : Opposée à la pierre fondamentale, elle se situe sur le point de jonction des croisées de voûtes, à la verticale du chœur. Elle se définit comme « la pierre rejetée par les constructeurs » car étant donnée sa forme particulière elle ne peut se placer qu’à un seul endroit. C’est la clé de voûte de l’édifice tout entier [1].

« De Paris à Paris, en reliant les 12 cathédrales au vocable de Notre Dame on obtient la constellation de la Vierge. Chacune des 12 cathédrales correspond à un centre magnétique et énergétique à l’image du corps humain. » [5]

 

Notes

[1] Patrick Darcheville, De la pierre aux Etoiles

[2] techno-science.net : architecture gothique

[3] P. A. Nicolas : Le secret des cathédrales

[4] P. Burensteinas : De la matière à la Lumière

[5] Robert Graffin : l’Art templier des cathédrales

 

Série Les Cathédrales

1. Les secrets des cathédrales

2. Les religions primitives

3. Notions de base

4. Le compagnonnage

5. Architecture sacrée

6. Chartres

7. Amiens

8. Bourges

9.1. Notre Dame de Paris, l’or alchimique

9.2. Notre Dame de Paris, architecture