Les Racines de la violence – Épisode 1 – Iran 1952 à 2001

Les Racines de la violence – Épisode 2 – Iran 1952 à 2001

Les Racines de la violence – Épisode 3 – Iran 1952 à 2001

Bienvenue à la deuxième entrevue de notre série d’entrevues pendant lesquelles nous nous penchons sur la région du Moyen-Orient et tentons de mieux comprendre ce qui s’y passe. Le point de vue occidental est que c’est un endroit très violent et dangereux. La guerre se poursuit au Yémen et plusieurs autres pays semblent être à deux doigts de la guerre. Il y a de terribles abus des droits humains et il y a des états en déliquescence. Mais d’autre part, cette région est le berceau de la civilisation occidentale : La Mésopotamie, la Perse, l’Égypte, la Syrie, la Palestine, l’Arabie sont des lieux de mythes et légendes. De grands mystiques, mathématiciens, traducteurs et conteurs sont venus de là. Les grandes religions y ont leurs lieux les plus sacrés. L’art, la musique, la science, et l’alimentation de l’Occident ont tous ressenti l’influence de cette région.

Dans cette série d’entrevues que nous appelons Les Racines de la Violence, nous allons essayer de comprendre comment la violence est née et qui en est responsable. Nous n’essayons pas de justifier la violence physique, mais la violence physique ne surgit pas de nulle part.  La violence physique est l’explosion qui survient après une longue période de violence économique et psychologique.

Dans notre deuxième entrevue, nous parlons une fois de plus avec Emad Kiyaei. Emad est iranien. Il est le directeur de l’Organisation du Traité du Moyen-Orient, qui est une campagne de la société civile visant à éradiquer toutes les armes de destruction massive du Moyen-Orient par le biais de politiques innovatrices et de programmes d’éducation. Il est le coauteur du livre Weapons of Mass Destruction : A New Approach to Non-proliferation, et il a étudié aux universités de Princeton et Columbia aux États-Unis.

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Transcription de la vidéo :

Pressenza

Bienvenue à nouveau aux Racines de la violence, notre série d’entrevues avec lesquelles nous essayons d’examiner la situation actuelle au Moyen-Orient, et tentons de comprendre d’où est venue la violence physique. Nous essayons de comprendre ce qui a conduit aux guerres et à la violence, apparemment si endémiques dans la région.

Les lecteurs de Pressenza savent que la violence physique est le dernier recours des désespérés qui ont reçu toutes sortes de violences économiques et psychologiques auparavant. Par conséquent, si nous pouvons voir quelles sont les causes de la violence physique, il y a peut-être une chance de les traiter à leurs sources et de trouver une solution non violente.

Nous sommes de nouveau en compagnie d’Emad Kiyaei, directeur de l’Organisation du Traité du Moyen Orient METO, et avant de commencer à lui poser d’autres questions, je vais donner un bref résumé de ce que nous avons entendu lors de l’entrevue précédente.

En 1952, l’Iran élit un gouvernement qui essaye de mettre en place un plan de nationalisation de l’industrie pétrolière, afin que les bénéfices du pétrole profitent au peuple iranien et non aux compagnies pétrolières. La CIA des États-Unis et le MI6 de Grande-Bretagne collaborent pour renverser ce gouvernement et mettent en place leur roi fantoche : le Shah d’Iran. Le Shah reste au pouvoir pendant 25 ans, au cours desquels il écrase violemment toute opposition, ne laissant aucun espoir au peuple.

Néanmoins l’opposition ne disparaît pas. Les Marxistes, les islamistes, les universitaires, les étudiants et les opprimés de toutes sortes attendent leur heure. En 1978, la situation devient désastreuse et les manifestants descendent dans les rues. À Téhéran, le 8 Septembre 1978, un jour qui restera dans l’histoire comme le “vendredi noir”, les militaires ouvrent le feu sur une foule de manifestants, tuant plus de 100 personnes. Cela déclenche une série d’événements qui aboutissent très rapidement à l’embarquement du Shah dans un avion en janvier 1979, au retour de l’Ayatollah Khomeini et à la naissance de la République islamique. Quand des étudiants s’introduisent dans l’ambassade des États-Unis à Téhéran et découvrent des documents indiquant que les États-Unis préparent un autre coup d’État, les choses se gâtent et il y a un affrontement, au cours duquel 52 diplomates et ressortissants américains sont retenus en otage pendant 444 jours.

Les relations entre Téhéran et Washington ne se remettent jamais de ces événements, et l’Irak est encouragé à et financé pour engager une guerre contre son voisin ; cette guerre dure huit ans et fait des centaines de milliers de morts et de blessés. Lors de cette guerre, l’Irak utilise des armes chimiques contre son voisin, et contre ses propres opposants internes. Et puis, l’histoire prend une direction inattendue quand Saddam Hussein décide d’envahir le Koweït, son ancienne province. Le démon préféré de l’Occident passe de l’Iran à l’Irak, et la première guerre du Golfe commence à se dérouler. L’Iran essaie de profiter de la situation pour respirer et se reconstruire en tant que nation.

Alors, Emad, j’espère que j’ai donné un résumé plus au moins acceptable. À la fin des années 1990, nous commençons à entendre parler de plus en plus d’un acteur qui n’est pas un État et qui s’appelle Al-Qaïda. Avant de revenir à l’Iran, pouvez-vous nous parler un peu de la situation dans la région, situation qui a conduit au 11 septembre 2001 ?

Emad Kiyaei

Merci, Tony, pour ce résumé ; il était parfait et je n’ai rien à ajouter. Maintenant nous arrivons à ce point où, comme vous l’avez dit, des acteurs non-gouvernementaux et en particulier, Al-Qaïda entrent en scène. Les racines d’Al-Qaïda remontent en fait à la lutte contre le communisme et à l’invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique ; l’Afghanistan est un pays de plus qui est limitrophe de l’Iran. Dans ce conflit entre l’Afghanistan d’une part et l’opposition à l’invasion par l’Union Soviétique d’autre part, ironiquement, le groupe qui est devenu Al-Qaïda a été financé, formé, et soutenu par les États-Unis qui voyaient la lutte contre l’Union soviétique communiste comme faisant partie de la guerre froide et de l’animosité régnant entre les deux pays.

Ainsi, si nous revenons au chef d’Al-Qaïda, Ben Laden – un ressortissant saoudien – et le rôle qu’il a joué avec son association avec ceux appelés à l’origine les moudjahidines, contre l’Union soviétique, nous voyons de nouveau le doigt du gouvernement américain dans ce conflit. Et les événements changent à la fin des années 1990, et nous entendons parler d’Al-Qaida pour la première fois à cause des attentats à la bombe des ambassades américaines en Afrique de l’Est. Ensuite, le changement s’accentue quand Ben Laden s’oppose à l’engagement des États-Unis au Moyen Orient, particulièrement lors de la première guerre du Golfe, puis, davantage lors de l’engagement plus important des États-Unis dans la région.

Pour la première fois, vous avez des troupes américaines dans ce que Ben Laden appelle les « Terres Saintes » de l’islam : l’Arabie Saoudite. C’est la première fois que les États-Unis étendent énormément leur présence militaire dans la région en construisant leurs bases militaires. Ainsi, le phénomène Al-Qaïda qui va devenir l’auteur du 11 septembre trouve ses racines et justification pour l’utilisation de violence contre les États-Unis dans trois raisons principales.

Première raison : Les ambitions hégémoniques des États-Unis au Moyen-Orient, qui les conduisent à soutenir des dictatures et des régimes despotiques, ce qui oppose de plus en plus l’Islam contre l’Ouest. Cette sorte de guerre entre des civilisations est dans un certain sens le « choc des civilisations ». Deuxième raison : l’engagement des États-Unis au Moyen-Orient s’étend pour inclure des milliers et des milliers de forces militaires qui sont maintenant stationnées en terre d’Islam, sur les terres des pays musulmans, notamment en Arabie Saoudite. Et troisième raison : le carnage et le soutien que les États-Unis apportent aux tueries et à l’avancement ou à la prolongation des guerres se déroulant dans la région, à leur soutien des uns contre les autres, à [leur encouragement] à verser davantage de sang, sang considéré en fin de compte étant du sang musulman.

L’essor d’Al-Qaida s’est donc appuyé sur l’anti-américanisme et sur l’idée que les États-Unis mènent une croisade dans la région, contre le monde islamique. Ainsi, l’ascension d’Al-Qaïda [a été possible] grâce à l’antiaméricanisme et à la réalisation que les États-Unis étaient en fait en train de mener une croisade contre le monde islamique dans la région. Rappelez-vous qu’Oussama Ben Laden, le cerveau des attaques du 11 septembre, était un ressortissant saoudien. Quand Al-Qaïda était en sécurité en Afghanistan, l’organisation était sous l’égide et la protection des Talibans, les dirigeants afghans de l’époque, et qui étaient plutôt à l’extrême droite de l’éventail des croyances islamiques et régnaient avec une main de fer sur l’Afghanistan – soutenus et reconnus par seulement trois pays.

Je dis cela parce que Al-Qaïda n’a pas opéré dans le vide. L’organisation a opéré dans un pays et sous une autorité qui lui a permis de prospérer, à savoir le régime des Talibans en Afghanistan. Et ce régime taliban était reconnu par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, et, j’oublie un autre pays… le Pakistan. Ce sont les trois pays qui reconnaissaient les Talibans, et, par extension, ces trois pays soutenaient aussi, directement et indirectement, l’ascension d’Al-Qaïda, et sa capacité à concrétiser les opérations qui ont finalement conduit aux attaques sur le sol américain.

Pressenza

D’accord, alors parlez-nous un peu plus d’Al-Qaïda, parce qu’il semble qu’à un moment, ce groupe se bat contre les communistes, et [se bat] encore une fois [contre eux] ; ensuite les Américains commencent à développer une présence importante là-bas, et alors [Al-Qaida] commencent à se battre contre les Américains. Nous avons trois pays qui soutiennent ce groupe : l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis, et le Pakistan.

Quel est le rôle de l’Arabie saoudite dans tout cela ?

Emad Kiyaei

Tout acteur non étatique est capable de propager et faire proliférer ses idées et idéologies principalement grâce à cinq facteurs principaux. Je vais en parler, et je reviendrai à l’Arabie Saoudite dans une minute.

Premier facteur : il doit y avoir un fondement idéologique. Quelle est la pensée de ce groupe ? Quel est donc le fondement religieux ? Dans beaucoup de cas, c’est dans leurs affiliations ou leurs croyances religieuses que ces idéologies sont cimentées plus solidement. Nous y reviendrons dans un instant.

Deuxième facteur : C’est les besoins financiers, n’est-ce-pas vrai ? Le groupe a besoin de fonds, d’argent, il doit pouvoir payer des gens, recruter des gens.

Cela nous amène à notre troisième facteur, les ressources humaines. [L’acteur non-étatique] a en fait besoin de personnes qui croient en cette idéologie et qui sont capables d’entendre le message, puis de suivre la cause, quelle qu’elle soit.

Quatrième facteur : [L’acteur non étatique] a besoin de prise-en-main, ou d’une structure qui indique la direction que cet organisation ou entité doit prendre, sinon, où va-t-il aller ? Qui est son chef ?

Et cinquième facteur : le groupe a besoin d’alliés clés. Il a besoin d’États-nations, ou d’entités très influentes, pour lui fournir le soutien dont il a besoin pour poursuivre ses activités, et pour, quand il est soumis à la pression de l’opposition ou de l’ennemi, être capable de résister à cette pression.

Alors, revenons à ces cinq piliers. Disons qu’un acteur non-étatique veut opérer, et prenons Al-Qaïda comme exemple : quel est le fondement idéologique d’Al-Qaïda ?

Et bien, dans ce cas, c’est l’idéologie du gouvernement en place en Arabie saoudite, fondée sur une interprétation étroite de l’islam, c’est à dire l’extrême droite de l’Islam, suivie par les disciples d’Al-Wahhb. Je ne vais pas parler de l’histoire d’Al-Wahhab, il suffit de dire que ses disciples interprètent l’Islam littéralement. Ils le prennent mot pour mot, et croient qu’ils vivent la forme d’Islam la plus pure. Mais bien sûr, c’est très étroit, très extrême, au point que les adeptes du wahhabisme ou salafisme sont une minorité dans le monde islamique. Mais, parmi eux il y a des pays riches et importants du Golfe Persique, comme l’Arabie saoudite, qui sont ses principaux partisans.

Ainsi, le fondement idéologique d’Al-Qaida repose sur une interprétation étroite de l’Islam, comme celle des adeptes d’Al-Wahhab. Le deuxième facteur était le financement. Comment obtiennent-ils le financement nécessaire pour faire ce qu’ils font ici ? Ils obtiennent la majorité de leur financement, de nouveau, des riches pays arabes du Golfe Persique, spécifiquement, de nouveau, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes Unis, et dans une certaine mesure, plus tard, des Qataris. Mais c’est de là qu’ils ont obtenu leur argent. Troisième facteur : leurs ressources humaines. Parce qu’ils ont réussi à propager [cette l’idée d’une] bataille entre l’Islam et l’Ouest, ils ont recruté des islamistes, ou ceux qui voyaient de leurs propres yeux les guerres constantes menées au Moyen Orient, ainsi que la présence croissante des États-Unis. Quand je dis la présence croissante, lors de la première guerre du Golfe en 1991, il y avait à un point 550 000 soldats américains stationnés en Arabie Saoudite, la terre la plus sacrée de l’Islam. Vous pouvez donc voir facilement, qu’en montrant ces images partout dans les nouvelles, vous pouvez recruter ceux qui croient qu’il s’agit d’une guerre contre l’Islam. Al-Qaida a donc recruté dans le monde entier pour sa cause contre les États-Unis.

Pressenza

Puis-je juste poser une question, Emad ?

Emad Kiyaei

Allez-y

Pressenza

Beaucoup de soutien vient de l’Arabie saoudite, mais, c’est le gouvernement d’Arabie saoudite qui a invité les États-Unis à installer toutes leurs bases ; comment réconciliez-vous ces deux faits ?

Emad Kiyaei

C’est un peu compliqué. Vous savez, ce n’est pas le gouvernement saoudien qui a transféré de l’argent directement dans les coffres d’Al-Qaïda. Non. Il disposait d’un labyrinthe d’autres mécanismes pour être capable de soutenir Al-Qaïda et ses opérations, et quand je dis que l’Arabie saoudite était l’un des seuls pays à reconnaître le régime taliban en Afghanistan, c’était sa seule voie pour soutenir les opérations d’Al-Qaïda.

D’une part, le gouvernement de l’époque de l’Arabie saoudite s’assurait que Saddam ne soit pas victorieux au Koweït car, n’oubliez-pas, le Koweït est limitrophe de l’Arabie saoudite. Et donc, [les dirigeants de l’Arabie saoudite] considéraient l’invasion du Koweït par Saddam Hussein comme une menace directe pour leur propre sécurité nationale, et ils ont fait appel aux États-Unis pour protéger leurs ressources. Mais, d’autre part, cette guerre idéologique dont nous parlons, et qu’Al-Qaida a propagée, relève du domaine du conflit régional entre l’Arabie saoudite et l’Iran. C’est-à-dire, maintenant, nous parlons un peu plus de la nature sectaire de ces guerres régionales, où vous avez un groupe de pensée islamique [contre un autre] ; les chiites contre les sunnites, [c’est] la division théologique de l’Islam ; Al-Qaida est considéré comme un bras de l’expansion saoudienne de son idéologie, qui est basée sur le wahhabisme et la théologie salafiste.

Pressenza

J’ai une autre question ici…

Emad Kiyaei

J’allais dire que ce n’est pas mutuellement exclusif. Un gouvernement comme celui de l’Arabie saoudite peut inviter les États-Unis à le protéger, et en même temps, dans d’autres buts, pour aider d’autres efforts, soutenir Al-Qaida et d’autres acteurs non-étatiques, y compris les talibans, afin de réaliser ses plans au niveau régional.

Pressenza

Très souvent, nous entendons dire que les conflits sont causés par des différences de religion et souvent, quand vous cherchez un peu plus loin dans ce qu’il se passe, vous découvrez que ce n’est pas du tout à cause de [la religion] mais que c’est à cause du contrôle des ressources. Parlons-nous de cette branche wahhabisme de la religion islamique ? Sommes-nous vraiment en train de dire que c’est une branche de religion qui encourage ouvertement les guerres et la violence ? Parce que ce n’est normalement pas le but des religions. La religion est-elle simplement utilisée comme une façade ou un prétexte pour un conflit ? Ou avons-nous simplement la source séculaire des guerres et de la violence, à savoir le contrôle des ressources ?

Emad Kiyaei

Tony je ne suis pas un théologien, donc je ne vais pas prétendre que je comprends parfaitement toutes les perspectives et les notions d’une religion. Ce que je sais, c’est que la religion est un fondement puissant qui peut être utilisé pour faire avancer les objectifs politiques, sociaux, et économiques de ceux qui l’utilisent comme contexte. Et dans ce cas, il est, il faut le dire, tout à fait plausible que, dans les calculs de l’Arabie saoudite, et de ceux qui veulent promouvoir un courant spécifique d’Islam, qu’ils se considèrent comme le promouvant, alors qu’ils placent les dissensions dans une autre dimension ; [ils ne considèrent pas les dissensions] comme étant au sujet de domination ou avantages économiques, sociaux et régionaux, mais plutôt [comme le fait de] retourner le monde islamique contre leur adversaire. Dans ce cas, Al-Qaïda [a utilisé la religion] contre les Américains, mais aussi contre le Shah d’Iran ; ainsi, je veux souligner que, revenant à la révolution iranienne de 1979, révolution qui a créé ce séisme dans la région, [cette révolution est] l’une des raisons pour lesquelles l’Arabie saoudite a, dès le début des années 1980, commencé à promouvoir ce courant d’Islam, le wahhabisme et le salafisme dans le monde entier. C’était en réponse directe à la révolution iranienne, parce que [les dirigeants d’Arabie saoudite] voyaient un Islam politique s’installer en Iran et devenir populaire ; [ils considéraient] cet Islam une menace directe contre leur autorité sur le monde islamique. Ils considèrent donc que la religion est très importante, et que son rôle peut être le meilleur outil pour atteindre les cœurs et esprits des musulmans du monde entier, et [ce raisonnement] fonctionne. Il a fonctionné à travers les âges, que ce soit le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme, pour quelque but que vous voulez l’utiliser, la religion a toujours eu cet impact de toucher profondément la conscience de tout être humain, que ce soit pour de bonnes ou d’autres raisons. Dans le cas présent, malheureusement, pour promouvoir la violence contre les autres.

Pressenza

Bien sûr. Vous avez donc passé en revue ces cinq points : l’idéologie, le financement, les ressources humaines, les dirigeants…

Emad Kiyaei

…et enfin le suivi. Ici, nous connaissons les dirigeants. Dans ce cas, le chef d’Al-Qaïda était Ben Laden. Vous savez, ses sermons, ses discours, ont enflammé beaucoup de gens, qui ont vu, malheureusement correctement, que les États-Unis se mêlent des affaires du monde islamique, et sont au centre de toutes les guerres. Nous sommes en 1991, les États-Unis ont déjà été engagés au Moyen-Orient depuis longtemps, et il semble que chaque fois que les États-Unis sont impliqués, ils jouent leur propre jeu d’échecs de domination, d’extraction, d’exploitation, et par extension, déclenchent et soutiennent des guerres. Ainsi, je ne veux pas justifier ce qu’Al-Qaïda fait, mais je commence à comprendre pourquoi Al-Qaïda a pu recruter, a pu faire ce qu’il a fait. C’est dû au fait que les puissances mondiales, qu’il s’agisse des Soviétiques en Afghanistan, ou des États-Unis dans la région, ont perpétré beaucoup de violence ; les musulmans ordinaires, assis par exemple en Indonésie, en Irak, ou dans le reste du monde se disent : « Ce type d’Al-Qaïda a raison. Nous devons nous défendre ». C’est le djihad, c’est la guerre sainte contre l’imposition au Moyen-Orient, de ce qu’ils disent être les incroyants. La guerre contre l’Union Soviétique était principalement soutenue par le fait que les moudjahidines, ou les précurseurs d’Al-Qaïda, combattaient un empire impie, l’Union Soviétique.

La religion joue donc un rôle. La croyance, dans ce type d’efforts, est puissante.

Pressenza

Maintenant j’ai une autre question. Auparavant, disons dans les années 1980 et 1990, quelles étaient les conditions de vie pour des gens qui vivaient au Moyen-Orient, parce que c’est clair que la région a beaucoup de richesses. Il y a beaucoup de pétrole, les prix du pétrole créent généralement beaucoup de richesse dans les pays qui ont du pétrole, mais d’un autre côté, les gens qui sont favorisés, les gens qui ont accès aux soins de santé, à l’éducation, et à la sécurité sociale ne sont pas des gens qui généralement se précipitent à l’armée pour s’engager afin de participer aux guerres. Quelles étaient donc les conditions sociales dans la région si les gens considéraient qu’aller à la guerre allait les aider ?

Emad Kiyaei

Tony. La richesse, les pétrodollars, qui sont déversés au Moyen-Orient, et plus particulièrement dans ces pays riches en pétrole, ont été à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction dans le sens qu’il existe des ressources ; des ressources humaines, des ressources naturelles, le capital nécessaire pour que la région soit florissante dans tous les domaines du développement humain. Malheureusement, il y a un jeu plus important qui se joue ici. Et un jeu qui a commencé il y a longtemps. Encore une fois, malheureusement lorsque nous parlons du Moyen-Orient, il est difficile d’échapper à son histoire. Le rôle des puissances, des puissances coloniales qu’il s’agisse des Français, des Britanniques, ou même, dans une certaine mesure, des Italiens, jusqu’au rôle de la seule superpuissance de l’après-Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, pour obtenir l’or noir, le pétrole dont dépendait l’économie mondiale, et qui était pompé au Moyen-Orient, n’a pas été sans coût. Le prix à payer est que les États-Unis, et ces puissances mondiales, ont traditionnellement et historiquement été capables de contrôler les sociétés où ce pétrole est pompé, par le biais d’États clients. [Ils l’ont fait] par des négociations grandioses. Pratiquement, ils ont dit : « Je suis les États-Unis, je vous fournirai la sécurité, je vous soutiendrai, je m’assurerai que vous pouvez continuer à gouverner votre peuple, mais signez ici. » Et cette signature nous permet d’exploiter vos ressources et nous ne poserons pas de questions sur votre dossier en matière de droits humains. Nous ne vous demanderons pas ce qui se passe à l’intérieur de votre pays, nous vous soutiendrons même.

Nous formerons même vos forces de police, vos services de renseignement, sur la manière de supprimer et d’opprimer cette émergence de pensée politique dans vos pays. C’est, malheureusement, le marché qui a été signé par les dirigeants des pays du Moyen-Orient, à savoir, si vous voulez maintenir votre pouvoir sur votre population, passez un accord avec une puissance bien plus grande dans le monde. Dans ce cas, les alliances formées au Moyen-Orient, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’en 1991, jusqu’ à l’effondrement de l’Union Soviétique, ont morcelé le Moyen-Orient. [Elles l’ont partagé] entre ceux qui étaient alliés avec l’Union Soviétique communiste et ceux qui étaient alliés avec les États-Unis.

Et puis vous avez cette anomalie appelée Iran, qui, lors de la révolution de 1979 a décidé « Nous ne voulons aller ni à l’Est, ni à l’Ouest. Nous voulons être un état indépendant. » Un état indépendant dans une région riche en pétrole, au carrefour des civilisations et des continents. L’indépendance dans cette région est une menace directe pour la sécurité nationale des puissances mondiales. C’est pourquoi, pendant des millénaires, toutes les puissances, qu’il s’agisse des Romains, des Grecs, des Chinois, des Indiens, des Perses, des Arabes, et toutes les autres, qui sont passées par cette région, [ont considéré que] dominer le Moyen-Orient est dominer la politique mondiale. Et ainsi cette notion et cette compréhension restent vraies aujourd’hui, et il sera très difficile pour n’importe quel gouvernement dans la région de dire « Vous savez quoi ? Nous allons simplement dire aux Américains : Merci beaucoup d’être venus, s’il-vous-plaît faites vos bagages et partez. » C’est ce que l’Iran a fait, et c’est ce sur quoi je veux revenir sans cesse. [je veux répéter] que cet acte de révolution que l’Iran a mené en 1979 a eu des répercussions à l’intérieur du pays, de la région, et de la géopolitique du Moyen-Orient, en ce qui concerne les puissances régionales. Mais [il a aussi eu des répercussions] au-delà de ses frontières, dans le monde entier, car vous ne pouvez pas permettre à une économie de moyenne envergure comme celle de l’Iran de gagner son indépendance de peur que d’autres ne fassent la même chose. Et c’est pourquoi ce concept est devenu si effrayant pour les monarchies et les despotes qui régnaient au Moyen-Orient. Car si cette révolution iranienne se propageait jusqu’à leurs terres, ce serait la fin de leur règne.

Pressenza

Très bien, d’accord. Donc tout ça, tout ce chaos se produit avec le 11 septembre. Nous savons tous l’histoire, et nous savons que les États-Unis en profitent pour lancer leur guerre contre la terreur, qui se concentre d’abord sur l’Afghanistan, puis dirige son attention sur l’Irak. L’Iran se trouve donc au milieu de tout cela, et on peut supposer qu’il est très inquiet. Qu’est-ce qu’il arrive en Iran pendant cette période de l’histoire ? Que se passe-t-il, à quoi pensent les dirigeants politiques ? Les États-Unis parlent de cet « axe du mal » dans lequel ils associent je crois que c’était l’Irak et l’Iran, et la Syrie ou la Corée du Nord ou quelque chose comme ça.

Emad Kiyaei

La Corée du Nord.

Pressenza

Que se passe-t-il en Iran, parce que vous venez de survivre à une guerre de huit ans ?

Vous devez vous sentir très nerveux face à tout ce qui se passe dans le monde ?

Emad Kiyaei

Très bien, nous allons passer tout ça en revue très rapidement. Il y a le 11 septembre, la première guerre du Golfe, les Américains viennent, ils libèrent le Koweït, ils détruisent l’infrastructure [mise en place par] Saddam Hussein, mais ils maintiennent Hussein au pouvoir pour une autre décennie, comme vous l’avez dit, jusqu’en 2003. La deuxième guerre du Golfe a achevé Saddam Hussein pour de bon, et a pris place après les attaques du 11 septembre. À l’époque du 11 septembre, l’Iran était dirigé par un gouvernement réformateur, le gouvernement de Dr Khatami qui dans son premier discours à l’ONU a en fait parlé du dialogue entre les civilisations. [Il a dit que] nous devons briser ce mur qui est en train d’être érigé entre nos grandes civilisations, et nous devons dialoguer, nous devons parler, nous devons utiliser la diplomatie pour résoudre nos problèmes. Le gouvernement de Khatami était vraiment progressiste, et quand le 11 septembre a eu lieu, l’Iran a été un des premiers pays à envoyer un message de condoléances aux États-Unis pour les événements du 11 septembre.

Et dans cette lettre, [les dirigeants] disaient que l’Iran comprend l’impact du terrorisme sur la population, il comprend le deuil qui s’ensuit lorsque ces attaques sont perpétrées contre des civils. Parce que l’Iran avait été la cible de nombreuses attaques terroristes, depuis 1979, pour de multiples raisons que je n’ai pas besoin d’aborder maintenant. Mais alors que nous nous penchons maintenant sur ce qui se passe en 2001, l’Iran tend un rameau d’olivier aux États-Unis, et leur dit qu’il peut même les aider à traduire en justice les responsables. Parce que, notez bien, Al-Qaïda et les Talibans étaient les ennemis jurés de qui ? De l’Iran. Parce qu’ils considéraient l’Iran comme un pays chiite qui représente “ les infidèles”. Ce sont Al-Qaïda et les Talibans qui ont massacré le personnel diplomatique iranien en Afghanistan, juste un an ou deux avant les attaques du 11 septembre, ce qui a presque causé une guerre entre l’Iran et l’Afghanistan.

C’était donc dans les intérêts de l’Iran de voir la chute des Talibans et d’Al-Qaida, car [l’Iran] considérait que ce genre d’idéologie ne ferait qu’engendrer davantage de divisions, qu’il entraînerait un conflit qui, commencé comme un conflit sectaire, pouvait atteindre une ampleur non nécessaire. Ainsi l’Iran a donc offert un rameau d’olivier, et en octobre 2001, quand les États-Unis ont décidé d’envahir l’Afghanistan pour se venger du 11 septembre, ils ont très vite compris qu’ils avaient besoin de renseignements et de coordination sur le terrain Et qui formait l’opposition à Al-Qaïda et aux Talibans ? Les alliés de l’Iran en Afghanistan. L’Alliance du Nord était un groupe allié iranien, qui, sous la direction de l’Iran, avait reçu la permission de coopérer à tous les niveaux avec les Américains, afin qu’ils puissent mettre fin au règne des Talibans et par extension, au refuge qu’ils offraient à Al-Qaïda.

Ainsi, dans un sens, le succès des États-Unis en Afghanistan n’aurait pas été facilité sans la coopération de l’Iran avec les États-Unis lors de leur intervention en Afghanistan. Ce sont des choses que l’histoire veut en quelque sorte nous faire oublier. Mais l’Afghanistan, la victoire des États-Unis en Afghanistan, au départ, était lors de leur alliance avec l’Iran. Maintenant, à l’heure où nous parlons, les États-Unis se retirent de l’Afghanistan – la plus longue guerre qu’ils aient menée – Ils font leurs bagages et laissent l’Afghanistan livré à lui-même. Et ils n’ont pas été capables d’assurer la sécurité du pays, ni aujourd’hui, ni après leur arrivée. [Pour expliquer cela  on peut remonter jusqu’à leur manière de développer [leur guerre] ou de rembourser l’Iran pour sa coopération en Afghanistan. Savez-vous comment ils ont remboursé l’Iran pour sa coopération ?

Pressenza

Non, non.

Emad Kiyaei

Le Président Bush qualifie l’Iran d’ « axe du mal » ; après que l’Iran ait fourni [du soutien] logistique, du personnel, et ses alliés en Afghanistan, pour aider les États-Unis à chasser les Talibans et Al-Qaïda. Le président Bush parle à l’ONU et catégorise ainsi l’Iran. Savez-vous quel a été l’effet sur Khatami et sur son Iran avec une politique de réforme ? Cela leur a ôté l’envie d’aider. Ils ont dit : Regardez, vous aidez les Américains, et regardez comme ils vous répondent. Ils vous mettent dans l’« axe du mal ». Deux ans plus tard, les États-Unis sont entrés en Irak sous le prétexte de débarrasser des armes de destruction massive, une idée qu’aujourd’hui nous savons reposait sur une fausse hypothèse.

Là encore, à votre avis, qui a aidé les États-Unis à se débarrasser de Saddam Hussein plus rapidement que quiconque en termes de soutien réel à l’invasion américaine ? C’était les opposants à Saddam Hussein qui étaient exilés et vivaient où ? en Iran. Ainsi, une fois de plus vous avez les États-Unis qui pénètrent en Afghanistan, qui pénètrent en Irak, se débarrassent des deux ennemis les plus immédiats de l’Iran et les remplacent par des alliés de l’Iran. Et cela, à la fin de l’année 2003, a causé une très forte réaction à Tel Aviv, à Riyad, et dans d’autres capitales du Moyen-Orient. [Les dirigeants là-bas] avaient pompé des milliards pour s’assurer que l’Iran reste faible, et voilà que les Américains arrivent et renversent ces deux pays et les offrent aux Iraniens sur un plateau d’argent. Je dois remercier les américains pour cela.

Pressenza

D’accord, arrêtons-nous là, parce que nous avons parlé pendant un bon moment ; reprenons [notre discussion] la prochaine fois à la période après la deuxième guerre du Golfe et lors du développement du programme nucléaire iranien, qui est aujourd’hui le sujet d’une telle controverse dans la politique mondiale. Donc merci beaucoup, Emad.

Merci, et merci à tous ceux qui ont regardé cette vidéo, et qui sont arrivés jusqu’à la fin de ce deuxième épisode, et la semaine prochaine nous reviendrons avec un nouvel épisode, pour découvrir quelles sont les racines de la violence au Moyen-Orient. Merci beaucoup.

 

Traduction de l’anglais, Evelyn Tischer