Les Racines de la violence – Épisode 1 – Iran 1952 à 2001

Les Racines de la violence – Épisode 2 – Iran 1952 à 2001

Les Racines de la violence – Épisode 3 – Iran 1952 à 2001

Bienvenue à la première de ce que nous espérons être une série d’interviews dans lesquelles nous nous penchons sur la région du Moyen-Orient et essayons de mieux comprendre ce qui s’y passe. Le point de vue occidental est que c’est un endroit très violent et dangereux. La guerre se poursuit au Yémen et plusieurs autres pays semblent être à deux doigts d’une guerre. Il y a de terribles abus des droits humains, et il y a des états en déliquescence. Mais d’un autre côté, cette région est le berceau de la civilisation occidentale : La Mésopotamie, la Perse, l’Égypte, la Syrie, la Palestine, l’Arabie sont des lieux de mythes et de légendes. De grands mystiques, mathématiciens, traducteurs et conteurs sont venus de là. Les grandes religions y ont leurs lieux les plus sacrés. L’art, la musique, la science et l’alimentation de l’Ouest ont tous ressenti l’influence de cette région.

Dans cette série d’entretiens que nous appelons Les racines de la violence, nous allons essayer de comprendre comment la violence est née, et qui en est responsable. Nous ne cherchons pas à justifier la violence physique, mais la violence physique ne surgit pas de nulle part. La violence physique est l’explosion qui survient après une longue période de violence économique et psychologique.

Dans notre première entrevue, nous allons parler avec un grand ami, Emad Kiyaei. Emad est iranien. Il est directeur de l’Organisation du Traité du Moyen Orient, qui est une campagne de la société civile visant à éradiquer toutes les armes de destruction massive du Moyen-Orient par le biais de politiques innovatrices, de programmes de sensibilisation et d’éducation. Il est le coauteur du livre Weapons of Mass Destruction : a New Approach to Non-proliferation, et il a étudié aux universités de Princeton et Columbia aux États-Unis.

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Transcription de l’interview :

Pressenza:

Bienvenue Emad.

Emad Kiyaei:

Merci beaucoup de me recevoir, Tony.

Pressenza:

Heureux de vous avoir ici. Emad, écoutez, la raison pour laquelle cette série d’entrevues a vu le jour est que j’ai participé à un séminaire en ligne organisé par l’Organisation du Traité du Moyen-Orient il y a quelques semaines et que plusieurs conférenciers sont intervenus, disant comme si cela allait de soi, que l’Iran est une source de mal incommensurable au Moyen-Orient. C’est un point de vue que beaucoup de nos téléspectateurs et de nos lecteurs partagent, car c’est le discours dominant dans les médias grand public. J’aimerais donc commencer par poser une question très provocante : Pourquoi l’Iran est-il une source de grand mal ?

Emad Kiyaei:

Par où dois-je commencer, Tony ? Le problème avec le Moyen-Orient, c’est que nous pouvons remonter aussi loin que le temps lui-même si nous voulons discuter ces questions, mais je pense que pour notre conservation d’aujourd’hui, nous devrions commencer par dire qu’à l’heure actuelle l’Iran est regardé à travers le prisme qui lui vaut d’être appelé (une partie de) l’axe du mal, ou le fauteur de troubles au Moyen-Orient, principalement parce qu’il est un ennemi de la seule superpuissance du monde, à savoir les États-Unis. Et nous ne devrions pas sous-estimer le pouvoir de la propagande des États-Unis, sa capacité d’influencer les gens quant à la manière dont ils voient les autres pays et les autres peuples. Dans ce cas, je n’excuse pas de nouveau la longue histoire du gouvernement iranien en matière de violations de droits humains et d’autres facteurs mais il est important de noter que dans la région troublée du Moyen-Orient, l’Iran n’est de loin pas unique dans sa conduite ou ses politiques. Et nous devons creuser davantage pour comprendre pourquoi l’Iran a été ciblé dans ces circonstances.

Pressenza:

Alors, revenons 40 ans en arrière ; il y a 40, 42, 43 ans, je me souviens qu’étant petit, je regardais à la télévision les images du renversement du Shah, l’Ayatollah Khomeini prenant un avion à Paris pour aller à Téhéran, et beaucoup d’euphorie dans les rues de Téhéran. Et en même temps, comme vous le savez, il y avait de graves problèmes avec les États-Unis. Il y avait des otages à l’ambassade. De quoi s’agissait-il ? Comment cela s’intègre-t-il dans l’histoire que nous racontons ?

Emad Kiyaei:

Alors ici, et nous allons à la question fondamentale aussi vite que possible, oui, il y a eu un moment clé dans l’histoire non seulement de l’Iran, mais aussi en général du Moyen-Orient. Quand la révolution s’est produite en 1970, c’était splendide dans le sens que cela a renversé un des alliés principaux des États-Unis à l’époque, le Shah d’Iran, et il a été expulsé par un groupe d’Ayatollahs, un groupe d’organisations comprenant des gauchistes, des marxistes, des démocrates, des libéraux, et tous ceux qui étaient opposés au Shah. Et ils avaient de bonnes raisons de s’opposer au Shah. Pratiquement, le Shah avait accédé au pouvoir en évinçant, par un coup d’État mené par la CIA et le MI6 en 1952/1953, le premier ministre iranien qui avait été élu démocratiquement, Mohammad Mosaddegh. Et la raison pour laquelle cela s’est produit est que ce premier ministre avait nationalisé le pétrole iranien et décidé de garder la richesse de l’Iran pour les Iraniens, et non pas de la délocaliser et de l’offrir aux Britanniques et aux Américains sur un plateau d’argent. Et cette décision a déclenché une série d’événements : Ce coup d’état pour renverser le premier ministre iranien, l’instauration du Shah comme seule autorité dans l’éventail politique iranien, puis la mise en place par le Shah d’une série de politiques très oppressives visant à éradiquer toute opposition à son gouvernement.

Et maintenant, remarquez, nous parlons d’un monde où la guerre froide entre l’Union Soviétique et les États-Unis était à son maximum. Alors, la peur du rouge et la lutte contre le communisme se jouaient aussi dans ces mandats et dans ces autres pays, et l’Iran n’y échappait pas. Si nous voulons examiner ce qui s’est passé depuis que le Shah a accédé au pouvoir puis a commencé à opprimer toute voix politique différente, cela nous mène à la révolution de 1979 où ce n’étaient pas seulement les groupes islamistes qui étaient contre le Shah, mais de nouveau toute la cohorte d’un nombre énorme d’organisations et d’intellectuels politiques qui considéraient le Shah et son régime impitoyable comme un régime oppressant n’importe quelle pensée politique.

Et ici les États-Unis sont cités en particulier parce que les services secrets iraniens ou la SAVAK ont été formés et en fait équipés par la CIA. Il n’est donc pas nécessaire de réfléchir longtemps pour associer le régime répressif du Shah à ceux qui soutenaient ce régime, à savoir les États-Unis. Et bien sûr, à cette époque, le Shah était le principal acheteur d’armes et d’assistance militaire américains. C’est donc la répétition des mêmes pratiques que celles qui existent dans d’autres parties du Moyen-Orient aujourd’hui, où, si vous êtes l’allié des États-Unis, il n’importe pas que vous soyez un despote, ou un régime autoritaire, les droits humains et toutes ces considérations sont jetés par la fenêtre quand vous concluez des contrats d’armement avec les États-Unis. Il y a donc une différence entre nos principes, nos valeurs en tant que nation ou groupe de nations, et les principes qui sont gouvernés par nos intérêts économiques, et les intérêts de nos industries de base. Et dans ce cas, pour les États-Unis, le complexe militaro-industriel joue un rôle important dans la manière dont il influence la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.

Pressenza:

Si nous revenons en 1979, votre famille était là-bas. Comment était la vie avant et après le renversement du Shah ?

Emad Kiyaei:

C’est toujours plus facile, avec le recul, de dire ce qui a marché et ce qui n’a pas marché, mais en 1978/1979, la mobilisation, la mobilisation populaire contre le Shah se comptait en millions. Et il y avait trois groupes ou sphères majeures où cette résistance contre le Shah était la plus prolifique. Un groupe était au sein de l’établissement religieux, car chaque petite ville, chaque village avait une mosquée et dans cette mosquée, il y avait un sermon. L’Ayatollah Khomeini, qui, en fin de compte, était le fondateur et le chef de la révolution, prononçait ses sermons depuis une petite ville en dehors de Paris, et ses sermons, diffusés depuis des cassettes dans chaque village ont enrôlé cette mobilisation populaire de la communauté religieuse qui était encore formée, et est encore formée, de la majorité des Iraniens. Et puis vous avez les universitaires, les penseurs, l’intelligentsia, qui faisaient partie des associations d’étudiants dans les universités, les professeurs qui apportaient de nouvelles idées au sujet de la pensée politique, idées venant d’autres mouvements révolutionnaires qui se produisaient, d’autres activismes de société civile qui se produisaient dans le monde.

Nous sommes à une époque pendant laquelle les mouvements de défense des droits civiques et des droits des femmes sont à leur apogée ; il y a même des choses qui se passent en Amérique du Sud, en Europe, aux États-Unis, qui mobilisent les mouvements d’indépendance. Et alors l’Iran faisait aussi partie de ces mouvements. Et enfin le fossé générationnel a atteint un point où peu importait que vous soyez jeune ou vieux parce que le Shah avait laissé tomber tellement de gens ; la concentration de richesses et d’opportunités était offerte seulement à un petit nombre, et à un petit nombre parmi son propre petit cercle d’alliés ; il y avait un soutien général pour la révolution parce que les gens voyaient qu’en fin de compte il y avait la pauvreté, l’analphabétisme, le manque d’opportunités. Et ils ont vu le Shah pour ce qu’il était.

Il y a une scène fameuse où le Shah célèbre 2500 ans de civilisation perse, et vous savez que des cérémonies somptueuses se déroulent à Persépolis alors que le reste du pays a désespérément besoin de nourriture et de services de bases. Alors les groupes séparés sur le plan économique, le plan social, et le plan politique ont joint leurs forces pour mettre fin à ce régime despotique. Et ma famille, étonnamment, faisait partie de ce mouvement parce qu’elle attendait vraiment cette révolution avec impatience. L’idée était populaire. Des millions de personnes étaient dans les rues. Les gens savaient ce qu’ils voulaient. Ils avaient leurs ambitions. Le slogan de la révolution était « Estiqlal Azadi, Jomhuri-ye Eslami ! » Estiqlal signifie Indépendance, Azadi signifie Liberté, et Jomhuri-ye Eslami signifie République islamique. Souvenez-vous, c’était censé être une dualité entre la nature islamique de notre société et une république. Ceci aurait été la séparation de l’État et de la religion. Mais naturellement, les choses se sont passées un peu différemment.

Pressenza:

Oui, parce qu’aujourd’hui nous considérons ou parlons de la République islamique comme d’une théocratie et nous voyons parfois dans les médias des images plutôt brutales du traitement des personnes LGBT ; certains aspects de la charia sont assez barbares, et nous ne disons pas que la religion islamique a le monopole de la barbarie, certainement pas, mais qu’en est-il sur place, maintenant, pour les personnes vivant en Iran? Parce que nous recevons des images d’une société assez rétrograde, mais je soupçonne que la réalité est différente.

Emad Kiyaei:

Je veux dire que l’Iran est un pays de paradoxes parce que beaucoup se perdent dans son gouvernement comme dans un labyrinthe. Bien qu’il s’agisse d’une république islamique, si vous regardez la constitution iranienne, vous remarquez qu’elle est plutôt libérale en ce qui concerne la protection des minorités. Elle permet un nombre considérable de réformes dans le domaine du travail, de l’éducation, des soins de santé, etc. Et étonnamment, la constitution iranienne est en fait dérivée des constitutions française et belge. Ainsi, c’est plusieurs formes de gouvernement amalgamées en un.

Elle a des organes élus et des organes choisis. Il y a donc beaucoup de sphères d’influence ou d’organes de pouvoir qui étaient supposés être très compliqués afin de mettre en place des contrôles et des équilibres. Ainsi, alors que l’Iran a un parlement, il a aussi un chef suprême ; il a un conseil, agissant comme un superviseur qui vérifie que les lois passées par le parlement sont conformes à l’interprétation de la loi islamique. Et donc il y a beaucoup de confusion quand nous regardons l’Iran car qu’est-ce-que cela peut bien être comme gouvernement ? Parce qu’il possède tous ces éléments. Et alors que, quand vous regardez les autres pays du Moyen Orient, vous voyez qu’il n’y a pas d’élections, en Iran, il y a eu des élections présidentielles depuis 1979. Il y a eu des changements dans la constitution de l’Iran. Ses lois ont évolué. Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire, mais, ce que j’essaye de dire, c’est que ce n’est pas tout noir ou blanc ; et en fait, ce qui s’est déroulé dans notre société, dans la société iranienne dépend une fois de plus de comment vous voulez voir les choses.

Un exemple que je peux donner afin de montrer cela est qu’avant la révolution de 1979, les familles conservatives trouvaient tout à fait impossible d’envoyer leurs filles à l’université car elles considéraient les universités comme des îlots de libéralisme et d’occidentalisation. Après la révolution, les universités ont changé de forme, mais les inscriptions de femmes dans l’enseignement supérieur est monté en flèche, au point qu’aujourd’hui, si l’on considère les programmes les plus avancés en ingénierie et en science, technologie, et mathématiques au niveau universitaire, l’Iran a un des taux les plus élevés de femmes diplômées dans le monde, en troisième ou quatrième position après la Chine et l’Inde. Il y a donc ces paradoxes où, oui, il y a des limitations et restrictions quant aux droits des femmes et quant à la société dans son ensemble, et en même temps la façon dont la société manœuvre autour de ces limitations et restrictions est phénoménale.

Et il ne faut pas oublier que la démographie de l’Iran est extrêmement jeune. Plus de 60 à 70 % de la population iranienne est âgée de moins de 35 ans. Cela crée une génération qui n’a pas connu la révolution, ou qui était très jeune quand l’Iran a vécu huit ans de guerre sanglante avec l’Irak, dont j’espère que nous pourrons aussi discuter un peu, et qui a évidemment changé le cours de l’histoire pour le développement de l’Iran car, rappelez-vous, les révolutions ont des aspirations idéalistes mais [ les choses sont différentes ] une fois que la révolution prend lieu et que nous traversons cette période déstabilisante et quand les choses se calment, mais en Iran les choses ne se sont jamais calmées parce que l’Iran a été constamment dans un état de révolution. Depuis le premier jour de la révolution en 79, et excusez-moi de toucher à tant de sujets parce que tellement de choses se sont passées au cours de cette révolution – les étudiants ont pris en otages les diplomates américains à l’ambassade, et en fait, au début de cette crise d’otages, les représentants des étudiants sont allés voir l’Imam Khomeini, le fondateur de la révolution, et lui ont dit « Nous avons ces otages et nous demandons x, y, et z », quand il a entendu la nouvelle il s’est exclamé, « Que font-ils ? Cela va être un scandale diplomatique pour nous ! » Mais alors les étudiants ont montré au fondateur de la révolution les documents que les Américains étaient en train de déchiqueter et qui montraient que la CIA préparait un autre coup d’état en Iran au début de 1980. Alors, quand nous considérons tous ces éléments, nous comprenons comment ces évènements ont en fait déclenché une série d’autres événements qui ont conduit l’Iran où il est aujourd’hui.

Pressenza:

Nous avons donc traversé la révolution. Il y a eu ce terrible, cet énorme soulèvement. Les États-Unis sont vraiment furieux, et il ne se passe pas beaucoup de temps avant qu’une guerre avec l’Irak soit déclenchée, ce qui a causé – je ne sais pas quel est le nombre de morts mais je crois qu’il est dans les millions. Parlez-nous de cela.

Emad Kiyaei:

Alors, [avec] la guerre contre l’Iran, Saddam Hussein a vu une opportunité. L’Iran avait traversé une révolution et ses ressources humaines, je parle de ceux qui avaient de l’argent, une position, un moyen de s’échapper, ont quitté l’Iran. Et c’est pourquoi nous avons Tehrangeles à Los Angeles, c’est pourquoi nous avons des expatriés iraniens partout dans le monde ; Ils sont partis pendant cette vague d’instabilité qui a commencé avec l’éviction du Shah, la chute du Shah.

Ainsi vous avez un Iran qui est faible, où il y a déjà des luttes intérieures entre des groupes différents qui ne s’entendent pas. Ils étaient unis pour la révolution, mais une fois que la révolution a eu lieu ils ont rivalisé pour mettre leurs idées en avant, les marxistes, les gauchistes, les islamistes, il y avait des luttes intérieures. Les chefs militaires avaient été soit décapités, soit emprisonnés, ou bien ils s’étaient aussi enfuis, et avaient quitté le pays aussi vite que possible. Vous aviez 50 000 membres du corps des Marines et du génie, qui entretenaient cette énorme quantité d’armements que les États-Unis fournissaient à l’Iran, et ils ont disparu du jour au lendemain. Vous aviez donc un Iran qui n’était même pas capable d’utiliser les armes qu’il avait. Et donc vous avez cette situation. Et pour les irakiens, c’était une opportunité de s’emparer des parties de l’Iran qui ont en fait une population minoritaire arabophone, le Khuzestan, qui en plus est riche en pétrole.

Et Saddam Hussein n’a pas pris tout seul la décision d’envahir l’Iran, il avait le soutien des riches pays arabes du Golfe Persique, comme l’Arabie Saoudite, le Koweït, et d’autres qui allaient financer cette invasion. Saddam Hussein avait aussi le support d’autres puissances, que ce soit l’Union Soviétique, les États-Unis, ou des puissances européennes qui ont aussi eu des problèmes quand cette révolution s’est produite en Iran, car, souvenez-vous, la révolution iranienne a déstabilisé beaucoup de choses dans la région ; elle a aussi été un bon exemple en faveur de ceux qui disaient que si vous êtes l’allié numéro un des États-Unis au Moyen Orient, vous n’êtes pas intouchable, vous pouvez vous effondrer, vous pouvez échouer lors d’une révolte populaire comme celle que nous avons vue en Iran.

Ainsi, la survie de la révolution iranienne était une menace directe pour les puissances dans la région et dans le monde parce que cela avait été un mouvement révolutionnaire qui avait réussi. Vous devez le faire taire, vous devez le démanteler. Et il n’y a pas de meilleur moyen que de demander à un voisin d’obtenir le feu vert pour envahir l’Iran. Cela a déclenché une guerre de huit ans et au début de la guerre, les forces irakiennes de Saddam Hussein ont pu littéralement écraser les Iraniens car ces derniers n’étaient pas prêts. Mais la guerre a monopolisé le soutien des dirigeants islamiques à Téhéran et tout le monde s’est rassemblé sous le drapeau, et l’Iran a pu se défendre au point qu’en 1980… la guerre a donc commencé en 1980 et s’est terminée en 1988.

Au cours des dernières années de guerre, l’Iran a réussi à renverser le cours de la guerre au point que Bagdad, la capitale de l’Irak, était en danger ; c’est à ce moment que Saddam Hussein a utilisé ses armes de destruction massive, des armes chimiques, contre les forces iraniennes. Ces armes ont donc été utilisées alors que l’Ouest le savait. Ces armes ont été utilisées avec la technologie de l’Ouest. C’est l’Iran dont nous parlons. C’est l’Iran qui subissait tant de pression, 1) d’une révolution qui a démantelé et a causé le chaos dans le pays, puis 2) une année après, une invasion par Saddam Hussein, financée et soutenue par des pays puissants dans la région et en dehors de la région. Imaginez donc, l’Iran arrive en 1988 avec un cessez-le-feu négocié par les Nations Unies ; seulement à ce moment pouvons-nous dire que l’Iran a pu déclarer, « Respirons et réfléchissons à comment nous allons reconstruire, qu’allons-nous faire avec notre pays.» Mais il n’y a pas fallu beaucoup de temps pour que l’Iran soit soumis à une nouvelle vague d’isolation et de sanctions menées par le gouvernement américain.

Pressenza:

Ce que j’entends, Emad, c’est que bien que nous voyions cette lutte comme une sorte d’argument religieux entre sunnites et chiites, il semble, d’après ce que vous dites qu’il s’agit d’une lutte beaucoup plus traditionnelle à l’époque, le capitalisme contre le communisme. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Ce que je veux dire est considérez- vous l’Iran un système de la gauche si nous parlons de gauche et droite ?

Emad Kiyaei:

Je ne crois pas que je peux le classifier si facilement de cette manière, parce que l’Iran a vraiment un système capitaliste, mais beaucoup de ses structures de gouvernance sont plutôt centre-gauche. Cela en fait-il un pays de gauche ou de droite ? Je ne pense pas que nous pouvons classer l’Iran dans ces catégories de base. Cependant nous pouvons reconnaître que l’Iran est victime de sa dimension, de sa position géographique, de son histoire, et de son influence qui s’est faite sentir pour des millénaires sur d’autres puissances dans cette région troublée. Ainsi l’Iran n’est pas assez petit, comme le Bahreïn ou le Koweït, pour être dominé par un pays régional ou une puissance mondiale, il n’est pas assez grand pour être une puissance mondiale ou un énorme acteur régional, comme la Russie ou la Chine ou l’Inde ou le Brésil. Il se situe donc quelque part entre les deux et peut agir comme l’un ou l’autre. Mais je veux placer l’Iran dans un voisinage déjà agité.

Et pour voir l’Iran, nous devons regarder à ce qui se passait sur le plan mondial, où et comment, pendant les années 1970 et 1980, les événements se déroulaient entre le capitalisme de l’Ouest et le socialisme de l’Union Soviétique ; mais avec la chute de l’Union soviétique en 1990/1991 nous avons un nouvel épisode pendant lequel l’Iran devient en fait encore plus un mauvais génie dans la région, car l’Union soviétique s’est effondrée. Les États-Unis ont commencé leur première guerre du Golfe en 1991 contre l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Et quand cette déstabilisation s’est produite, nous trouvons que l’Iran, bien qu’il ait été beaucoup affaibli, est encore un acteur régional puissant, peut-être encore un des plus puissants, simplement à cause de sa dimension et de sa position.

Ainsi les États-Unis concentrent leur attention sur l’Iran, le rendant le démon du Moyen-Orient, alors qu’auparavant ils étaient préoccupés par leur adversaire Soviétique. Ainsi, pour la décade suivante, jusqu’à 9/11, nous voyons que, alors que l’Iran renforce ses relations avec les puissances européennes, ses relations avec les États-Unis sont encore très particulières. Et voici l’essence de ce que je veux dire : il y a des relations clé que l’Iran n’a pas été capable de gérer ou restaurer : l’une d’elles est celle avec les États-Unis qui, comme nous avons discuté, a ses racines dans le coup d’État de 1952-1953, les 25 ans de règne du Shah, puis la crise des otages et la révolution qui ont eu comme résultat que l’Iran et les États-Unis sont devenus les ennemis principaux dans la région. Et cela évidemment influence les relations de l’Iran avec les autres pays du Moyen-Orient qui entretiennent des relations étroites avec Washington.

Pressenza:

Tout cela est très intéressant parce que, ce qui arrive dans les années 1990, au début de ces années, est que le démon passe de l’Iran à l’Irak. Quel a été le rôle de l’Iran lors de la guerre d’Irak ?

Emad Kiyaei:

Et bien, en fait l’Iran… la première guerre du Golfe a eu lieu en 1991 entre les États-Unis et l’Irak afin de libérer le Koweït parce que Saddam Hussein avait envahi le Koweït… Et savez-vous quelle est l’ironie de la chose ? Quand Saddam Hussein a envahi le Koweït, l’une des raisons principales pour lesquelles il l’a fait est qu’il devait environ 20 milliards de dollars au Koweït, que le Koweït avait avancé à Saddam Hussein pour la guerre contre l’Iran. C’est la première raison. La deuxième est que Saddam Hussein considérait que le Koweït serait une victoire facile. Le pays est riche en pétrole, il a historiquement été partie [d’une de ses] provinces, et [l’Irak] avait la permission ou la permission silencieuse et l’approbation tacite de Washington pour cette invasion. [Les Irakiens] n’ont pas pensé que les Américains interviendraient. C’est l’ironie du fait qu’un jour vous êtes un allié des États-Unis, et le jour suivant vous êtes leur ennemi, même si vous êtes la même personne au pouvoir. Et quand il s’agit de l’Iran, l’Iran a décidé de rester neutre dans cette guerre, car il considérait Saddam Hussein comme un adversaire. Regardez donc Saddam : [Ses forces] nous ont envahi, et maintenant elles envahissent le Koweït. [L’Iran] en fait supportait la libération du Koweït, mais ne s’en est pas mêlé ; l’Iran a aidé quand les forces de Saddam Hussein ont brûlé tous les puits de pétrole au Koweït. L’Iran a donc aidé à éteindre ces incendies parce qu’il avait l’expérience obtenue quand les Irakiens avaient fait la même chose aux champs pétrolifères iraniens. Ainsi, lors de cette guerre du Golfe initiale, l’Iran s’est montré coopératif pour stabiliser un peu le Koweït, et a considéré l’affaiblissement de Saddam Hussein à son avantage, puisqu’il avait mené une guerre de huit ans contre Saddam Hussein. L’Iran a donc considéré les années 90 comme une période pour se régénérer économiquement, et pour reconstruire. C’était une période de libéralisation et le gouvernement iranien, le gouvernement central de Rafsanjani était le pionnier de tous les développements économiques de cette décennie. Mais cette décennie a finalement conduit au chapitre suivant [de l’histoire] décrivant la manière dont nous voyons l’Iran dans la région et dans le monde, et ce sont les événements du 9/11, les attaques du 11 septembre contre les tours jumelles à New York. [L’histoire] a changé encore une fois et il y a des nouveaux événements pour le chapitre suivant sur les interventions des États-Unis au Moyen-Orient.

Pressenza:

Je pense, Emad, que c’est un point fantastique pour arrêter cette entrevue ; nous commencerons ici la prochaine fois.

 

Traduction de l’anglais, Evelyn Tischer