Par Cesar Bejarano Pérez (*)

Dans le cadre de la première Marche Latino-américaine pour la non-violence multiethnique et pluriculturelle, dont les peuples indigènes se revendiquent en reconnaissant leurs droits et leur apport ancestral, nous réfléchissons à la violence contre la nature à travers un entretien avec Doris Balvín, chercheuse du Centre d’Etudes Humanistes Nouvelle Civilisation, et spécialiste des questions d’écologie sociale.

Doris nous parle de la violence à l’encontre des peuples autochtones, de la nature et de la crise climatique, et propose des solutions développées par les organisations sociales travaillant sur le climat.

L’un des objectifs de la Marche latino-américaine évoque la nécessité de sensibiliser à la crise écologique. Qu’est-ce que l’humanisme peut nous dire en lien avec la crise écologique ?

Du point de vue du Nouvel Humanisme, la crise que nous traversons est une crise systémique. En ce sens, les propositions de la marche appellent à la dénonciation et à la transformation de tous les types de violence dans notre société, mais il est également important d’expliciter la nécessité de surmonter la violence contre la nature, qui nous montre de manière flagrante que nous nous dirigeons vers l’extinction, comme le précise le dernier rapport sur les sciences fondamentales du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC).

Depuis le Réseau Humaniste d’écologie sociale, d’économie et de changement climatique, nous affirmons que la crise climatique n’est rien d’autre que l’une des manifestations les plus dramatiques de la crise du système ; un système de croyances qui chosifie l’être humain et ne reconnaît pas que la relation être humain-environnement constitue une structure indivisible dans laquelle l’interaction harmonieuse des deux est fondamentale en termes de transformations évolutives. Nous faisons partie d’un système caduc d’organisation sociale, économique, politique et culturelle que nous devons démanteler, et la crise climatique qui menace la nature n’est qu’une de ses manifestations.

Nous sommes d’accord avec la nécessité de faire prendre conscience de la crise écologique et climatique à laquelle nous sommes confrontés en tant qu’humanité ; de même, nous exigeons que ceux qui gouvernent le monde repensent la relation avec les autres formes de vie et avec notre maison commune afin de rendre l’avenir humain viable.

De même, la Marche latino-américaine appelle à la revendication des peuples autochtones. Quelle est la relation entre cette crise écologique et climatique avec les peuples autochtones ?

Nous nous rejoignons également dans l’appel à la non-discrimination lancé par la Marche latino-américaine, car dans le cas de la crise climatique et écologique, il est clair que les impacts les plus importants retombent sur les populations les plus vulnérables et en particulier sur nos peuples autochtones, qui au contraire, tout au long de l’histoire, ont su établir des relations harmonieuses avec leur environnement. Ces peuples détiennent des connaissances importantes et nous invitent à réfléchir sur le fait qu’il existe de nombreuses façons de faire en sorte que la relation être humain / nature soit constructive, et qu’elle garantisse les transformations évolutives de notre espèce et des différentes formes de vie.  Depuis le Centre Mondial d’Études Humanistes et le Réseau d’Écologie Sociale, Économie et Changement Climatique, nous appelons à faire valoir la sagesse de nos Peuples Indigènes à travers toute l’Amérique Latine, à la reconnaissance de leurs droits, de leur diversité et de leur contribution ancestrale. Une telle contribution, notamment dans le cas de la crise climatique, est vitale, car elle nous montre d’autres façons de nous relier aux systèmes de vie dont nous faisons partie.

Comment cette crise écologique et climatique est-elle vécue dans la région latino-américaine ?

Bien que notre région ne contribue pas de manière significative aux émissions de gaz à effet de serre, nous sommes considérés comme vulnérables au changement climatique. Du point de vue des émissions, nous pouvons dire que nous faisons partie de la roue de la destruction de la planète, puisque c’est de nos terres que sont extraites les ressources utilisées dans les pays du Nord global, profitant aux « propriétaires » du système au détriment de la grande majorité et de notre maison commune.

L’extractivisme est un héritage qui s’est établi à l’époque coloniale et que nous n’avons pas réussi à surmonter, mais qui constitue déjà un fardeau, réduit notre productivité, fait partie du cercle vicieux de la crise climatique et se trouve être la principale source de conflits socio-environnementaux, exacerbant la vulnérabilité climatique au détriment des secteurs les plus pauvres et notamment des populations indigènes ; Il s’agit alors de quitter ce rôle que nous jouons dans le système commercial mondial.

Cela implique également de répondre aux demandes des populations actuellement touchées par l’extractivisme minier, pétrolier, gazier, forestier, de la pêche, etc. et d’envisager des solutions basées sur le territoire ; c’est-à-dire des alternatives qui permettent le développement d’économies locales fortes basées sur l’agriculture agroécologique ; pour une matrice énergétique propre ; pour la reconnaissance du multiculturalisme ; pour l’accès à l’eau potable comme droit humain inaliénable ; pour la protection de la forêt amazonienne ; etc.

Travaillons ensemble pour que nos gouvernements repensent la forme des relations Nord-Sud qui sont actuellement bloquées par l’extractivisme. Il existe aujourd’hui une grande diversité d’organisations sociales de base et de collectifs qui ne se contentent pas de proposer des changements, mais qui les réalisent, c’est-à-dire qui transforment leurs modes de vie, et dont on peut dire qu’ils sont à l’avant-garde de ce changement.

On dit que l’humanité est anthropocentrique parce qu’elle privilégie la transformation de la nature, et qu’elle se place au-dessus des autres formes de vie ; qu’elle ne reconnaît pas qu’il y a aussi une conscience dans les autres formes de vie et, ce qui est pire encore, qu’elle exerce une violence à leur égard. Que pouvez-vous nous dire à propos de cette affirmation ?

Comme vous le dites, l’être humain est un transformateur de réalités, à un moment de son histoire il a osé aller contre sa propre nature, il a brisé ses limites et s’est approché du feu et l’a dominé, dans ce fait singulier s’ouvre une nouvelle dimension de l’être humain ; C’est-à-dire qu’il a osé se révéler face au long et lent processus d’évolution de la vie qui est présent en toute chose. L’Humanisme affirme donc que l’être humain est un être social qui transforme son milieu et sa propre nature. Le problème ne réside pas dans la transformation de la nature, mais dans la manière dont elle est réalisée et au profit de qui. Aujourd’hui, les groupes écologistes affirment qu’il n’existe pas de planète B, c’est pourquoi nous ne pouvons détruire notre maison commune. Je dirais que nous n’avons pas le droit de détruire notre maison commune parce que ce n’est ni dans l’intérêt des humains ni dans celui des autres formes de vie ; nous sommes des êtres qui se complètent en relation avec le monde, c’est-à-dire dans un environnement social et naturel, et cette relation nous l’humanisons.

Il existe des évidences historiques pour et contre la forme de relation entre les humains et la nature ; il y a eu des cultures qui ont su trouver des méthodes de coexistence harmonieuse entre les humains et la nature dans de grands espaces territoriaux. Ce qui s’est passé aujourd’hui est une perturbation jamais vue auparavant pour soutenir un système qui profite à un petit groupe de pouvoir mondial, qui s’est approprié les ressources de la planète , le travail des grandes majorités, la propriété intellectuelle, les systèmes de vie, qui pollue et qui va au-delà des limites de résistance des écosystèmes, etc., et ce qui se passe, c’est que les grandes majorités le permettent, parce que la peur de ce qui se passera si on les affronte est plus grande que l’action que nous pourrions entreprendre pour changer les choses.

Comment faire pour changer cette situation ?

Depuis différentes organisations de base, collectifs de citoyens, et confessions religieuses, entre autres, promeuvent le Pacte Eco social, qui résume une série de postulats visant à établir un nouveau mode de relation entre les êtres humains et la nature, en Amérique latine et en particulier au Pérou. Dans le cas du Pérou, il s’agit de certaines des bases posées par le Pacte Eco social à travers la dénommée Alliance Eco sociale :

  • Déclarer le Pérou en urgence climatique.
  • Réorienter la réactivation économique avec une approche d’économie écologique, sociale, solidaire et populaire vers une transformation socio écologique favorisant le développement d’économies décentralisées solides.
  • Mettre en place un esprit d’entreprise local et régional qui garantit les droits et valorise la diversité écologique et culturelle des territoires en créant des chaînes de valeur et en augmentant la production écologique de biens et de services (tourisme rural communautaire) pour la consommation intérieure et l’agro-exportation.
  • Des politiques redistributives garanties à partir d’une transformation fiscale globale qui éradique les impôts régressifs et les remplace par des impôts directs sur les grandes entreprises.
  • Des politiques visant à promouvoir les Mypes (petites et moyennes entreprises) et l’agriculture pour créer des emplois durables et stimuler la demande et la production locales.
  • Garantir la souveraineté alimentaire sur la base de la propriété sociale, collective et communautaire de la terre, en protégeant ceux qui s’en occupent de la spéculation : promouvoir des systèmes alimentaires urbains et ruraux durables, exempts d’agro toxines et empreints de justice sociale basés sur une production familiale agroécologique.
  • Renforcer les soupes populaires, les cantines et l’alimentation dans les centres éducatifs à tous les niveaux avec des produits locaux et régionaux adaptés à une alimentation saine et culturellement appropriée, dans le cadre de la « loi sur les achats par l’État de denrées alimentaires provenant de l’agriculture familiale ».
  • Mettre en œuvre un système national de soins publics.
  • Reconnaître les droits de la Nature dans la Constitution politique du Pérou.
  • Promouvoir des villes pour la vie.
  • Garantir le droit à une eau saine, avec une gestion intégrée et durable.
  • Politique de protection intégrale pour les défenseurs de l’environnement.
  • Ratifier l’accord d’Escazú, un instrument qui oblige l’incorporation de politiques publiques pour les droits d’accès à l’information, la participation du public, l’accès à la justice en matière d’environnement et la protection des défenseurs de l’environnement.
  • Décentraliser l’éducation et adopter une approche interculturelle, territoriale, environnementale et d’égalité des sexes.
  • Récupérer et renforcer les espaces d’information et de communication de la société qui sont actuellement monopolisés par les entreprises propriétaires des médias et des réseaux sociaux, afin de récupérer les significations historiques et culturelles de coexistence, depuis les médias citoyens et les différentes expressions multiculturelles.
  • Reconnaissance de l’autodétermination de nos peuples autochtones dans le cadre de la gestion publique, en articulant les plans de vie communaux avec la planification publique à partir d’une approche territoriale intégrale.
  • Une réforme institutionnelle globale, décentralisée et liée à la planification du développement local et régional.

Comme nous pouvons le constater, des mesures concrètes sont prises en vue de la construction d’un avenir nonviolent au profit de tous les êtres humains, des peuples indigènes et de la maison commune, et si nous examinons ces initiatives ce que nous remarquons, c’est un changement dans la sensibilité de ceux qui les promeuvent. Cette nouvelle sensibilité se développe dans les cœurs et les actions de nombreuses personnes, qui apportent des réponses nonviolentes à la crise climatique, dans un contexte multiethnique et multiculturel.

 

L’auteur

(*) Administrateur, conseiller et analyste politique, membre de Monde sans Guerres et sans Violences, du Centre d’Etudes Humanistes Nouvelle Civilisation et de l’Association Proactiva Ciudadana ; bénévole à Magdalena Creativa.

Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet