« Nous devons célébrer le verdict… mais avec beaucoup de prudence », nous dit Fidel Narváez, ancien consul d’Équateur à Londres, dans cette interview, à propos de la résolution qui refuse l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis.

« Derrière le verdict, il y a eu une forte pression sociale et c’est un blanchiment de l’image du système judiciaire britannique », ajoute-t-il.

« Le travail journalistique a été criminalisé… »

 

Édition de la vidéo : Ángel Martín / Transcription: Alicia Blanco

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Transcription de l’interview

Pressenza : Bonjour. Nous sommes avec Fidel Narváez, ancien Consul d’Équateur à Londres. Merci beaucoup de nous avoir accordé votre attention.

Fidel Narváez : C’est un plaisir, un privilège, et je suis à votre service.

P : Ce lundi 4 janvier, la justice britannique a rendu un verdict qui refuse l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis. Pouvez-vous analyser les termes de ce verdict ?

FN : Je pense qu’il est important de comprendre qu’il s’agit d’un verdict en premier instance. Une bataille a été gagnée parce que l’extradition a été refusée, c’est une victoire, mais le jeu n’est pas fini. Cette décision fera l’objet d’un appel et nous aurons de nouveaux développements.

Le plus important est le résultat final : l’extradition a été refusée. C’est quelque chose à célébrer. C’est une décision quelque peu inattendue étant donné les abus judiciaires dont nous avons été témoins pendant de nombreuses années et surtout dans ce même processus d’extradition. La raison est purement humanitaire. C’est-à-dire que de toutes les motivations, toutes très fortes et très bien soutenues par la défense, la seule que le juge a acceptée est celle qui fait référence à l’état de santé très dégradé de Julian Assange du fait de sa persécution, de son emprisonnement, des tortures psychologiques qu’il a subies, et du risque élevé de suicide qu’il aurait s’il était extradé, surtout dans les conditions oppressantes qui existent aux États-Unis pour les cas de sécurité nationale ou d’espionnage.

Il faut donc s’en réjouir, certes, mais je pense qu’il faut l’accueillir avec beaucoup de prudence. Pourquoi ? Parce que les autres motivations qui auraient dû mettre fin à cette peine ont été essentiellement approuvées par le juge. Si nous sauvons Julian Assange de cette extradition, le risque reste intact pour le reste des journalistes qui, à l’avenir, oseront faire des publications similaires à celles de Julian Assange. C’est révélateur de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité.

P : Pensez-vous qu’il y a d’autres raisons de fond qui peuvent justifier ce verdict ? Pensez-vous que la justice britannique – ou dans ce cas la juge responsable de cette sentence – se soucie autant de l’état de Julian Assange ?

FN : Je pense que c’est ce qui compte le moins pour eux, pour être honnête, mais derrière tout cela, il y a toute une pression sociale qui s’est finalement construite autour de la cause de Julian Assange. Car le cas de Julian Assange d’hier n’est pas le même que celui d’il y a deux ans, lorsqu’il a été expulsé de l’ambassade équatorienne.

Parce qu’à partir de ce moment, la persécution s’est avérée si grossière, si disproportionnée, que de nombreuses organisations prestigieuses de défense des droits humains, connues dans le monde entier – je parle d’Amnesty International, je parle de Human Rights Watch, je parle de Reporters sans frontières – et les syndicats de journalistes du monde entier et même les médias les plus prestigieux, qui, à l’époque, ont eu une relation conflictuelle avec Julian Assange et WikiLeaks, tous, déjà à l’unisson, ont réalisé le danger que représente l’extradition de Julian Assange pour le journalisme, pour les journalistes, et se sont activement opposés à cette extradition. Il me semble donc qu’avec la décision de ce lundi, lorsque la juge approuve les arguments de persécution politique concernant l’accusé mais décide de ne pas l’extrader pour des raisons humanitaires, en gros, ce qu’elle fait, c’est laver le visage du système judiciaire britannique et dire « nous allons faire appel à l’avenir à quiconque osera faire de même », mais dans ce cas particulier, nous sommes bons, nous sommes humanitaires et nous allons sauver la vie de ce monsieur que tout le monde défend.

Ceux qui ont enfreint le droit international ne sont pas ceux qui sont jugés

P : Comme vous le dites, ce verdict établit clairement un précédent très fort qui remet en question la liberté de la presse, mais aussi le droit international qui a déjà été violé dès le moment où la police britannique a été autorisée à entrer dans l’ambassade équatorienne… c’est-à-dire le non-respect du droit international et des accords internationaux par le gouvernement de Lénine Moreno et le gouvernement britannique. Et cela n’a pas été remis en question dans le jugement non plus…

FN : Il s’agit d’une affaire politique, et dans cette affaire politique, ceux qui ont été jugés et poursuivis ne sont pas ceux qui ont commis les crimes. Je fais référence spécifiquement au gouvernement des États-Unis et au gouvernement britannique lui-même dans les guerres illégales, des crimes qui ont été exposés par Julian Assange dans Wikileaks. Ceux qui ont été poursuivis sont ceux qui ont osé les révéler, exposer ces crimes et confronter ces criminels. Il s’agit donc d’une affaire politique.

Ceux qui ont enfreint le droit international ne sont pas ceux qui ont été jugés. Il est donc évident que la juge ne va pas condamner dans sa décision l’attitude du gouvernement équatorien qui a harcelé, isolé, mis au secret, torturé psychologiquement Julian Assange dans sa dernière année – je parle du gouvernement de M. Lénine Moreno – et ensuite, violant les conventions internationales, remis un réfugié politique à ses persécuteurs, ouvert les portes d’une ambassade à une force étrangère pour l’envahir et kidnapper un journaliste, un réfugié politique.

La juge a même cité le président Moreno dans son verdict, comme essayant de justifier les raisons pour lesquelles Julian Assange a été expulsé de l’ambassade et comme essayant de justifier l’espionnage auquel lui, ses avocats et ses visiteurs ont été exposés. Donc oui, c’est un précédent très négatif à bien des égards, mais surtout parce qu’il criminalise l’activité journalistique.

Julian est le plus important prisonnier politique d’Occident

P : Et que pensez-vous qu’il va se passer dans les prochains jours et à l’avenir ?

FN : Cela continue. Il y aura un appel des procureurs. J’espère que la plus haute juridiction du système judiciaire britannique ratifiera la décision du juge de refuser cette extradition et que nous arriverons au bout de ce tunnel sombre, qui a déjà été trop long, trop tortueux, et dont le but est de créer un précédent déjà établi.

Le précédent a déjà été créé : il n’est pas nécessaire d’enfermer à vie Julian Assange pour effrayer les journalistes. Ils l’ont déjà fait. Parce qu’ils l’ont persécuté pendant 10 ans, l’ont calomnié, ont détruit sa réputation et lui ont infligé des dommages psychologiques graves, sérieux et probablement irréversibles.

P : Et dommages physiques, n’est-ce pas ?

FN : Exactement.

P : Et vous, qui vivez avec lui depuis des années, comment le vivez-vous personnellement ?

FN : Je suis très, très engagé dans cette affaire, dans cette cause, pour diverses raisons, y compris personnelles. Julian est devenu un ami personnel pendant tout ce temps, mais c’est une personne que j’ai commencé à soutenir avant qu’il ne devienne mon ami, parce que je crois aux causes qu’il défend, je les partage, et parce qu’en outre – en tant que représentant de mon pays à l’époque – j’étais très heureux et fier que mon pays embrasse et défende ces causes. C’est donc personnel, c’est politique, c’est une question de principes. Et je le vis intensément, oui, avec beaucoup d’inquiétude pour son avenir, pour le précédent qui a été créé ce lundi, mais aussi avec optimisme car en tout cas ce fut une victoire, une bataille bien méritée pour lui et son équipe juridique.

P : C’était tout à fait impensable, je pense que le verdict a été surprenant, ou vous n’étiez pas si surpris ?

FN : C’était dans les possibles, je l’avoue, parce que même si pendant tant d’années nous avions déjà vu tant d’abus, tant de négligence et tant de mépris pour l’état de droit, pour la justice en tant que telle, les audiences d’extradition qui ont été intenses, longues, très litigieuses, ont donné une forte démonstration à mon jugement, une preuve qu’il s’agit d’une persécution politique et qu’il n’y a pas de raison, aucune, de criminaliser les actions de Julian et de Wikileaks.

Donc pour moi, bien qu’ayant perdu tout espoir en cours de route après avoir vu une telle démonstration de la défense, il m’a semblé que peut-être elle le système juridique britannique ne pouvait pas aller plus loin. Et en temps voulu la juge, même si c’est pour des raisons insuffisantes qui ne concernent que la question humanitaire et la question de santé – ce qui signifie que si ce n’était pas pour cela ils l’auraient déjà extradé – a dicté ce verdict, cela me semble juste et donc je pensais aussi que c’était possible. Donc, oui, surpris, mais pas totalement.

P : Très bien, vous voulez ajouter autre chose ?

FN : Simplement que cette affaire est toujours ouverte, que nous n’avons pas atteint le bout de ce tunnel, qu’il y a les instances d’appel, qui, espérons-le, permettront à Julian Assange de se défendre en toute liberté. Il est un prisonnier politique. C’est le prisonnier le plus important en Occident, parce qu’il ne purge pas une peine, il n’a pas de charges contre lui, il ne doit rien à la justice et il est toujours détenu en prison.

Il est temps pour lui de profiter, après si longtemps, de ce que nous voulons tous pour chacun, c’est-à-dire la liberté.

P : Merci beaucoup, nous nous reverrons pour parler de la liberté de Julian Assange.

FN : Qu’il en soit ainsi. Merci beaucoup.