C’était, ce lundi 4 d’octobre, l’après-midi, le cri répété jusqu’à épuisement. Les gens défient la répression policière et viennent massivement, très massivement, manifester sur la Plaza Italia, en plein centre de Santiago, alors que déjà dix-huit jours de protestations sociales se sont écoulés sans pause ni trêve. « Il nous faut d’urgence une Assemblée constituante » et aussi au son des tambours : « Le Chili s’est réveillé, s’est réveillé, s’est réveillé, s’est réveillé, le Chili s’est réveillé ! » Il s’agit d’une énorme manifestation sociale qui a pris conscience d’avoir pris la forme de pouvoir : pouvoir de la rue, du peuple, capable d’arrêter, comme il l’a fait cet après-midi, l’action policière et d’exiger un nouveau pacte social.

Très tôt dans la journée, les forces spéciales des Carabineros avaient déjà rempli l’endroit de gaz et, essayé, à grands renforts de jets d’eau, d’empêcher la convocation de la Table de l’Unité Sociale [N.d.T. La Table de l’Unité Sociale est un espace qui rassemble différents organisations de corps de métiers, des syndicats, du logement, de la santé, des étudiants et politiques] à un « Super Lundi » de mobilisations pour obtenir une réponse. Cependant, à 17 heures, la foule était si massive que les gens, rendus très forts de par leur nombre, ont repoussé la police et ont pris le pont Pío Nono, au-dessus de la rivière Mapocho, pour empêcher les véhicules blindés d’entrer sur la Plaza par ce côté-là, tandis qu’une autre foule s’installait à Vicuña Mackenna en bloquant l’avenue et qu’il était tout simplement impossible pour les forces de police de continuer à lancer de l’eau et des gaz sur tant de gens.

Les travailleurs, les étudiants et les retraités regroupés dans cette coordination des forces sociales demandent aux parlementaires de ne pas traiter le soi-disant « agenda social » du gouvernement, car leurs projets ne répondent pas aux demandes des citoyens.

Pendant plus de deux heures, avec très peu d’affiches, mais plutôt des drapeaux – en particulier les Mapuches – les manifestants ont chanté et chanté d’une manière absolument nonviolente, réclamant une Assemblée constituante, voie par laquelle ils imaginent une sortie possible de ce modèle économique, politique, social et politique suffocant qui est incapable de donner les réponses requises par une vraie démocratie.

Mais après ce temps-là, les carabineros faisaient à nouveau le forcing, arrosant la foule, gazant et blessant les gens. Le poste de volontaires de santé situé de l’autre côté du fleuve, au coin de la faculté de droit de l’Université du Chili, a commencé à recevoir les blessés touchés par les gaz lacrymogènes.

À ce moment-là, l’avenue Alameda étant encore remplie mais il ne passait plus grand-chose sur la Plaza Italia. Vers 19 heures, un tremblement de terre se produit alors, avec épicentre au nord, à Illapel, mais il est ressenti aussi longuement et fortement à Santiago. Les manifestants applaudissent. Mais les Carabineros en profitent pour attaquer sans pitié avec les forces spéciales, balayant littéralement le peuple. Ils arrosent tout, rendent l’air irrespirable, avec de grands lanceurs d’eau circulant simultanément à travers toute la place, plus les gaz lacrymogènes et du gaz poivré, jusqu’à ce qu’il ne reste absolument plus personne. Ce ministre de l’Intérieur se montre encore plus dur que le précédent et sa politique semble être d’empêcher à tout prix les réunions et les manifestations, à tout prix.

Cependant, telles des vagues, les gens reviennent sur la place et, pour la deuxième fois, expulsent les forces répressives. L’espace est repris à grande échelle, les gens sont prêts à se battre pour cela. Ce sont surtout des hommes, des milliers et des milliers, qui ont repris la place, tapant sur des casseroles, agitant des drapeaux, tous mouillés, les yeux irrités.

Avancées et reculs. La police revient et les manifestants font arrêter un bus, et le transforment en barricade de protection. Mais les véhicules blindés passent à côté et reviennent, avec fureur, frapper les gens par l’arrière, avec de l’eau, des gaz, de manière effroyable. Et comme ça, jusqu’à plus de 20 heures où le désespoir s’intensifie, malgré le fait que quelques centaines de jeunes continuent d’affronter le symbole même du système répressif, les « guanacos » [N.D.T. Voitures d’arrosage], qui les ont déjà complètement trempés.

Les photos sont de Sergio Bastías et Claudia Aranda :