Le ministère de l’Intérieur nous apprend que ce samedi 20 avril, 27 900 personnes ont manifesté dans toute la France, face à plus de 60 000 policiers, CRS et gendarmes mobilisés. Avec deux gens d’armes par manifestant, on comprend que les échanges aient été « plus calmes que prévu ». Rien à voir avec les violences effarantes du 1er décembre autour de l’Arc de Triomphe. (1)

Tant mieux. Mais voilà qui dépite les profiteurs de violence… Par chance pour eux, il y a eu de la violence verbale… (2)

Le slogan « Suicidez-vous ! » lancé aux forces de l’ordre par une poignée de manifestants anonymes a fait le buzz et provoqué l’indignation de la presse, des médias, des milieux politiques et certainement de beaucoup de braves gens, y compris parmi les Gilets jaunes. Le premier à s’indigner fut celui-là même dont on peut se demander si sa gestion de l’ordre public ne pousserait pas quelque peu les policiers et les gendarmes au suicide : le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui twitte aussitôt : « Honte à ceux qui se sont livrés à une telle ignominie ! ». « C’est une ignominie », réagit à son tour sur franceinfo le secrétaire général d’un syndicat de police. « Il y a du dégoût par rapport à ces individus qui avaient des gilets jaunes. C’est honteux. Ce sont de véritables ordures ceux qui ont prononcé ces paroles ». Christian Estrosi, maire de Nice : « Entendre « suicidez-vous » scandé contre les policiers est ignoble alors qu’on déplore 28 suicides de policiers nationaux depuis le 1er janvier. A cette situation dramatique pour nos forces de l’ordre s’ajoute l’abject de ces voyous. »

Ignominie, honte, dégoût, ordures, ignoble, abject, voyous. De fait, comment ne pas s’indigner contre un slogan qui ressemble fort à un appel au meurtre ? Slogan plus que regrettable : exécrable.

Oui, mais.

Mais combien étaient-ils à lancer ce slogan ? Dans la vidéo de 4 secondes due au journaliste de l’Obs Lucas Burel, qui a tourné en boucle, on entend au moins… trois voix. Par la suite, sur deux autres vidéos, les voix sont plus nombreuses. Portaient-elles des gilets jaunes ? Rien ne permet de l’affirmer. Le groupe d’où elles émanent est filmé de loin dans l’une des vidéos et ne comprend que quatre ou cinq gilets jaunes ; il est invisible sur l’autre vidéo. Et l’on entend, sur celle-ci, des voix qui réprouvent le slogan.

Une chose est sûre : ce n’est pas ce slogan qui a provoqué le 28e suicide de policier survenu la veille. C’est l’inverse. C’est parce que la vague de suicides atteignant les policiers depuis janvier – un tous les quatre jours – est sans précédent, que des manifestants bien mal inspirés ont pu faire de ce geste de désespoir un slogan vengeur. Vengeur de quoi ? De la répression, elle aussi sans précédent et d’une incroyable violence, à laquelle les forces de l’ordre sont employées chaque samedi.

A la veille de « l’Acte 23 », David Dufresne avait recensé 643 signalements de violences policières, dont 62 cas documentés à l’encontre de journalistes, 23 manifestants ayant perdu un œil, 5 mains arrachées, et un décès à Marseille.(3) Car, n’en déplaise à ceux qui prêtent aux auteurs du slogan l’intention de provoquer une bavure policière qui fournirait un martyr au mouvement, la bavure a déjà eu lieu et le mouvement a déjà sa martyre : elle s’appelait Zineb Romdhane, avait 80 ans et se trouvait à sa fenêtre du 4e étage quand une grenade l’a frappée en pleine face et envoyée à l’hôpital, où elle est décédée.

Jérôme Rodrigues, l’un des GJ éborgnés : « ça fait quatre mois qu’on en prend plein la tronche, quatre mois qu’on se fait insulter, ça fait quatre mois qu’on nous éborgne, qu’on nous mutile, qu’on se fait frapper, qu’on est victimes d’arrestations arbitraires, et comme tout être humain –je suis pas psychologue pour un sou- quand un être humain en prend une dans la tronche, deux, trois, un moment donné, il finit par se rebiffer, et il en distribue lui aussi. » (4)

Il précise un peu plus tard : « Les violences policières constatées de manière répétée durant les 23 semaines de mobilisation restent sans précédent dans l’histoire de la Ve République… Dans ce contexte de dégradation manifeste du climat social, il paraît évident que des propos malheureux peuvent, et pourront encore surgir ici ou là, sans pour autant emporter l’adhésion générale. Lors du dernier acte, un policier m’a par exemple gentiment proposé de me crever l’œil qu’il me reste ». (5)

Ce qui ne l’empêche pas de dénoncer avec Priscillia Ludosky le slogan anti-flics et de conclure : « Nous apportons notre soutien total aux familles des vingt-huit policiers et des deux gendarmes qui ont mis fin à leurs jours depuis le début de l’année ». (6) Trente victimes, finalement. Mais victimes de quoi ?

Qui sont les responsables de toutes ces violences ? Le président et son ministre de l’Intérieur, qui confond maintien de l’ordre et jeu de massacre. Un gouvernement incapable de répondre aux légitimes revendications des Gilets jaunes par autre chose que des LBD40 et des grenades GLI F4, pour imposer à toute force des mesures en trompe-l’oeil qui ne trompent personne.

Le bon slogan à lancer aux forces de l’ordre, ce n’est certainement pas « suicidez-vous ! ». Ce n’est pas davantage : « démissionnez ! », car il faut s’appeler Emmanuel Macron pour croire qu’il suffit de traverser la rue pour retrouver un job. Non, ce serait plutôt : « désobéissez ! ».

N’obéissez qu’aux ordres justes, sensés et légitimes. N’obéissez plus aux ordres iniques. Refusez les déplacements épuisants, les journées et les semaines interminables, la vie de famille éclatée, la peur des pavés, l’emploi d’armes mutilantes et le burn out qui risque de vous faire disjoncter et commettre l’irréparable. Ne vous laissez pas acheter par une prime. Vous valez mieux que ça.

Bref, résistez, vous aussi. Laissez donc MM. Macron et Castaner assurer l’ordre eux-mêmes. Ou menacez-les de leur en laisser le soin. Vous pourriez par exemple invoquer la clause de conscience et le droit de retrait – tout à fait justifiés en pareil cas. Sans vous, ils ne sont rien. Sinon pourquoi vous auraient-ils lâché sans discussion une prime conséquente qu’ils refusent aux autres, disons plutôt un gros pourboire, le 18 décembre dernier ?

Sachant qu’ils ne peuvent plus compter sur vous, ils seront prompts à satisfaire les revendications des Gilets jaunes. C’est ainsi que la paix civile sera retrouvée et que vous pourrez de nouveau exercer votre métier dans l’estime générale, comme après les attentats de Charlie et du Bataclan.

ACDN (Assez des haines !)
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(1) https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/video-nous-avons-subi-des-jets-d-acide-un-crs-raconte-les-affrontements-en-marge-des-manifestations-des-gilets-jaunes-a-paris_3082845.html)
(2) https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/video-suicidez-vous-lancent-des-manifestants-aux-forces-de-l-ordre-lors-de-la-manifestation-des-gilets-jaunes-a-paris_3407677.html
(3) https://www.telerama.fr/medias/gilets-jaunes-62-signalements-de-violences-policieres-contre-les-journalistes,-selon-david-dufresne,n6221377.php
(4) https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/suicides-de-policiers-des-gilets-jaunes-font-polemique_3409003.html
(5) https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-les-insultes-qui-choquent_3409033.html
(6) https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/nous-denoncons-avec-vigueur-les-propos-invitant-les-policiers-a-se-suicider-ecrivent-deux-leaders-du-mouvement-des-gilets-jaunes_3408871.html

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