En arrivant à Athènes, j’ai pu constater sans trop de difficulté que la ville est déjà loin, très loin, des grandes manifestations qui se sont déroulées entre 2010 et 2015. Cet incroyable élan citoyen, que le monde entier a suivi en direct grâce aux médias internationaux, semble s’être transformé en une sorte de résignation collective. Une question envahit mon esprit, la Grèce a-t-elle servi de terrain d’expérimentation sociale, grandeur nature, pour préparer le possible avenir d’autres pays européens ?

Une politique européenne qui affecte négativement le fonctionnement de la société

Manque d’homogénéité fiscale

L’Europe est confrontée actuellement à une grande disparité fiscale, une sorte d’hyper-concurrence entre les états membres de la communauté. Chaque pays est libre de mettre en place ses propres mesures pour attirer des entreprises et des capitaux afin de garantir de meilleures rentrées fiscales.

Au sein même de l’Europe, on compte de nombreux « paradis fiscaux » (Malte, Luxembourg, Irlande, etc.), et cela se fait ouvertement, en toute impunité. Certaines multinationales profitent des largesses de l’Europe pour « optimiser » leur taxation, en faisant des transactions a priori légales, mais qui ont pour conséquence d’empêcher certains pays d’avoir les rentrées fiscales nécessaires à leur développement social.

Parmi ceux qui ont fait le plus « d’efforts » pour attirer les multinationales, l’Irlande est en tête avec une diminution de presque la moitié de son taux d’IS sur la période 2010-2016.

Pression fiscale sur la base de la société

Pour compenser ce manque à gagner, les états n’ont d’autre choix que de se tourner vers les plus petites entreprises et des particuliers. Selon Éloi Laurent : « Depuis la création du marché unique, l’imposition sur les hauts revenus et les entreprises n’a cessé de baisser, tandis que l’imposition indirecte et les prélèvements sociaux ont continûment augmenté. Cette tendance s’est accentuée encore avec l’euro, qui a fluidifié encore davantage le grand marché financier européen. » (1) Ainsi, la concurrence fiscale mise en place par les pays européens ferait reculer les rentrées fiscales des bases mobiles (entreprises et haut revenus) et pénaliserait les bases immobiles (travail, consommation).

Selon le journal Les Echos, en 2018, les Grecs – dont tous les économistes reconnaissent qu’ils sont déjà hyper-taxés – verront augmenter leurs contributions à la Sécurité sociale et le taux des taxes immobilières, baisser les subventions au chauffage et supprimer les dernières dérogations au taux plein de TVA dans les îles grecques. (2)

Austérité ne rime pas avec prospérité

Un autre effet de cette concurrence fiscale Européenne, c’est la mise en place de plans de réduction budgétaire, et cela pour répondre aux critères budgétaires européens. Ces mesures finissent par affecter  l’équilibre de la société toute entière.

En effet, une diminution drastique du budget de l’état affecte immédiatement l’équilibre social. Lorsque les biens publics ne peuvent plus être financés, ce sont toutes les couches de la population qui se voient affectées, mais principalement les classes les plus défavorisées. Déremboursement des soins médicaux, réduction des aides aux associations, durcissement des aides aux chômeurs.  

Selon un article publié par Le Point le 27/01/2018 (3) :

  • Plus de 35 % des gens se trouvent sous le seuil de pauvreté, fréquemment obligés d’accepter des salaires inférieurs à 500 euros
  • La moitié des Grecs vivent d’une pension de retraite, la leur ou celle d’un parent
  • Le taux de chômage, toujours le pire d’Europe, s’élève à 20,5 % en 2017
  • 40 % des ménages repoussent leurs visites chez le médecin pour raisons financières.

Un zoom sur la situation de la jeunesse Grecque

En discutant avec des jeunes Grecs, Je me suis rendu compte à quel point la situation est critique. Certains multiplient leurs formations pour rester actifs, mais ce qui les attend à la sortie de l’école : un marché du travail inadapté, un chômage massif et la surqualification par rapport aux emplois proposés.

Pour Augustine cette situation devient insoutenable: “En 2007, j’ai fini ma formation d’architecte à l’Université polytechnique d’Athènes, avec un diplôme en poche j’étais déterminée pour trouver un emploi, mais deux ans après la situation est devenue critique, pas seulement d’un point de vue économique, mais aussi psychologique. J’ai donc décidé de retourner à l’école pour poursuivre un master en finances. Entre 2007 et 2016,  j’ai enchaîné les petits boulots pour m’en sortir. En 2016, encouragée par mon entourage, j’ai pris la décision de retourner à l’école pour suivre un doctorat, je me concentre actuellement sur ma thèse de fin d’études. Je continue à chercher des opportunités professionnelles en lien avec ma formation et mes passions, mais mon profil n’est pas assez concret aux yeux des possibles employeurs. A 34 ans, j’habite toujours chez mes parents, et j’ai fait le choix de rester à la maison, plutôt que d’aller gagner un salaire de misère, en tant que serveuse. Je suis vraiment inquiète pour mon avenir. Je songe même à quitter la Grèce, comme beaucoup d’autres jeunes de mon pays.” Selon Le Point, sept jeunes sur dix âgés de 18 à 35 ans rêvent de partir à l’étranger. (3)

Lors de ma visite dans la capitale grecque, j’ai également rencontré Glykeria, une jeune de 30 ans ayant fait le choix de retourner dans son pays après une expérience professionnelle de 2 ans aux Pays-Bas. Elle était déterminée à créer et développer la filiale de son ancien employeur à Amsterdam, mais deux ans après le démarrage de l’activité, son affaire n’est pas encore viable et elle songe déjà à l’abandonner : « Le marché grec n’est pas adapté aux nouvelles méthodes, les dirigeants souhaitent des résultats concrets, rapidement. C’est super frustrant de ne pas pouvoir travailler sur des sujets de fond qui demandent du temps pour être développés ».

Conclusion

La Grèce a peut-être servi de terrain d’expérimentation pour l’Europe. Les mesures que ce pays endure depuis quelques années commencent déjà à devenir monnaie courante dans d’autres pays de l’Union Européenne. Soumise à des fortes pressions, pendant une longue période, la société Grecque semble être déjà préparée pour faire face à des dérèglements économiques, sociaux et même environnementaux majeurs à venir. L’avenir nous dira si l’Europe sera capable, dans les années futures, de s’appuyer sur les enseignements de la Grèce, pour bâtir une véritable politique économique et sociale, que favorise la coopération active entre ses différents membres. 

(1) L’Impasse Collaborative. Pour une véritable économie de la coopération. Eloi Laurent. Éditeur: Les liens qui libèrent

(2) Les Echos. Article publié le 19/12/17  Grèce : un budget ambitieux mais risqué.

(3) Le Point. Article publié le 27/01/2018. La Grèce sort de la crise mais les Grecs pas encore