Par Julien Maria

Imaginez les Vosges ou même la France envahie par des milices armées faisant régner la terreur sur toute la métropole : viols, enlèvements, tortures, villages brûlés…

​Que feriez-vous ?

Alors ? Quelle est votre réponse à cette question ? La fuite ?

​Il est difficile de se mettre en situation et d’imaginer un seul instant que cet environnement si hostile peut être le nôtre un jour et pourtant…

​Pourtant ce tableau d’horreurs fut celui de Djibril à Chakara, son village natal au Soudan, dans la région du Darfour. C’est là qu’il a grandi avec ses 3 sœurs, ses 2 frères, son père et sa mère.

​Ce jeune soudanais au parcours difficile m’a accueilli chez lui, un appartement de la ZUP à Épinal où il vit depuis près d’un an avec 5 jeunes soudanais aux destins similaires. Les jeunes migrants se posaient beaucoup de questions sur ma venue et je les remercie pour leur accueil, leurs sourires et ce repas partagé.

Chambre de 2 migrants à Epinal
Chaque jour, les jeunes migrants soudanais se réunissent, ils vivent dans plusieurs appartements mais se retrouvent pour les repas. Pour la cuisine c'est chacun son tour
Le regard vide, perdu dans ses pensées. Le jeune soudanais est ici mais ailleurs !
Djibril, migrant vosgien qui m'a accordé sa confiance pour le reportage
La cuisine à tour de rôle et le repas toujours partagé autour de la grande table du salon où ces destins croisés "savourent" leur nouvelle vie
Jeu puissance 4 entre migrants, cela les amuse énormément et ça se voit
L'hiver est long, on tue le temps avec des jeux : le puissance 4 et le sourire est sur toutes les lèvres, ou presque !
Idriss, notre traducteur et ami de Djibril depuis qu'ils se sont rencontrés à Epinal

Djibril, à quoi ressemblait ta vie avant ?

J’ai grandi dans le petit village de Chakara au Soudan, dans la région du Darfour avec mon père, ma mère, mes 3 soeurs et mes 2 frères. A l’âge de 7 ans, j’ai dû quitter l’école pour travailler avec mon père afin de subvenir aux besoins de notre famille.

Mais quel métier peut-on faire à 7 ans ?

Je gardais des moutons pour les agriculteurs voisins. C’est un métier là-bas mais à 13 ans, mon père et moi avons quitté le foyer familial pour trouver du travail plus loin et continuer à pouvoir nourrir notre famille restée à Chakara.
Cela a duré presque 10 ans et c’était très difficile !

En quoi c’était difficile ?

La vie là-bas n’est pas comme en Europe, il y a beaucoup d’insécurité. Tous les jours le danger est là, partout.

De quel(s) danger(s) me parles-tu ?

On appelle ça les Janjawids, des milices armées et intégrées dans les forces d’action rapides du gouvernement en 2006. Ces Janjawids font régner la terreur au Darfour : viols, razzias, enlèvements, tortures, villages brûlés…

A quel moment tu te décides de quitter le Soudan ?

En 2010, un de mes frères est parti le premier. Il voulait aller en Europe. Je n’ai jamais eu de nouvelles de lui. Je ne sais pas où il est, je ne sais pas s’il est encore en vie !
En 2015, j’ai appris le décès de ma mère et je voulais rentrer à Chakara pour assister aux obsèques mais durant mon périple, j’ai été enlevé par les Janjawids et placé en prison. Sans raison.
Après quelques jours en prison, je parviens à m’évader et à partir en Libye. La vie est aussi très difficile là bas alors je décide de partir en Europe.

Tu es là aujourd’hui, tu as donc réussi…

Ce n’était pas facile, 2 jours de bateau entre la Libye et l’Italie. Un petit bateau où nous étions très nombreux, peut-être 600, 700 je ne peux pas dire exactement mais nous étions les uns sur les autres. Certains meurent autour de nous, un voyage interminable et enfin on voit les côtes au loin. Nous voilà en Italie. J’y reste 2 mois en camp à Vintimille avec des centaines d’autres migrants.
J’ai fait 3 tentatives pour partir en France mais à chaque fois la police m’a attrapé pour me ramener en Italie.
La 4ème tentative était la bonne, j’ai marché durant plusieurs jours, pris le train pour
rejoindre Paris. Au quartier de la Chapelle durant 4 jours, dehors. Un bus nous a ensuite amené à Calais. J’y suis resté 4 mois avant de venir dans les Vosges mais j’avais peur chaque jour, il y avait beaucoup de violences dans ce camp…

C’est beaucoup plus calme dans les Vosges…

(rires de Djibril) Oui, j’aime les Vosges. Je suis d’abord arrivé à Monthureux sur Saône et maintenant à Épinal depuis le 24 avril 2017. On se sent vraiment en sécurité ici et c’est ce que nous voulons tous, nous les migrants, vivre en sécurité.

Comment vous arrivez à vivre avec tes « colocataires » ?

Le logement nous est mis à disposition par l’association ADOMA. Je ne les remercierai jamais assez pour tout ce qu’ils font pour nous ! Ils nous aident en nous apportant de quoi manger. Les voisins aussi nous aident avec de la nourriture.

A quoi ressemble une journée d’un migrant vosgien ?

On se retrouve tous dans mon appartement, on apprend le français, on sort parfois en ville et dès qu’on peut on va jouer au foot mais le climat ici n’est pas facile alors souvent on reste à la maison, on joue ensemble, on discute…
Nous sommes en janvier, c’est le moment des vœux alors que peut-on te souhaiter ?
Je souhaite rester en France, trouver du travail, n’importe quel travail et ne jamais retourner au Soudan. Ici nous sommes en sécurité et c’est ça le plus important pour nous…

Tu as encore des rêves dans la vie ?

Petit je rêvais de devenir médecin un jour, mais les Janjawids m’ont volé ce rêve. Aujourd’hui la seule chose que je souhaite c’est de rester en France et que les gens ne me jugent pas sans me connaître.
La nuit je ne rêve plus mais chaque soir avant de m’endormir je me pose beaucoup de questions sur mon avenir et sur ce que pense les gens de moi et mes copains migrants.
Et en fait j’ai un rêve c’est de jouer au foot à l’olympique de Marseille, Barcelone et pourquoi pas en équipe de France…

Merci beaucoup Djibril, d’autres choses à ajouter ?

Je veux dire merci à la France de m’accueillir. Merci aux soldats français pour leur aide à certains moments de ma vie. Merci à l’association ADOMA et à toutes les personnes qui nous aident chaque jour.
Merci à la commune de Monthureux-sur-Saône, à son club de foot pour lequel j’évolue. J’aimerais beaucoup un jour habiter là-bas…

 

L’article original est accessible ici