Depuis l’hiver 2016, et trois fois par semaine, les “Mahassine” se retrouvent entre Porte de la Chapelle et Jaurès, à Paris, autour d’une voiture remplie de thermos de thé, café, de biscuits, chocolat, sacs de pain, gobelets en plastique. La distribution de sourires et de chaleur aux migrants de Paris commence vers 20h30. “Mahassine”, de hassana (حسن), en arabe, c’est ce qui est bon, beau, vertueux. C’est aussi un prénom, que la dizaine de membres de cette association se renvoient joyeusement : au Soudan, c’est le nom qu’on donne aux femmes qui vendent du thé dans la rue.

Note des auteur(e)s : Les prénoms ont été modifiés.

Tous les membres de Mahassine se nomment donc Mahassine !

 

La soupe a pris un temps fou à cuire, les œufs récupérés dans la journée n’ont pas eu le temps de durcir complètement… Mais Mahassine se presse pour arriver à Porte de La Chapelle au moment prévu, ou presque, pour distribuer ses victuailles. Le lieu de rassemblement est noir de monde, une file affamée se crée dans le désordre mais une fois les premiers bols servis, elle se détend. Les bras tendent, comme d’habitude, le pain, les bols, les poignées de main.

Dans le grand thermos, le niveau baisse mais la file d’attente ne cesse de s’allonger. La marmite pleine d’œufs s’ouvre, les compotes de pommes sont déballées, le lait remplit les gobelets à la place de la soupe. Mahassine a prévu de quoi remplacer la soupe, mais ne parviendra pas à satisfaire l’appétit de tout le monde…

Un homme arrive et souhaite parler à un responsable. Ici, Mahassine est le responsable, et Mahassine, c’est chacun des membres de notre petite association. L’homme ne semble pas bien comprendre, et Mahassine ne comprend pas ce qu’il cherche à savoir. Le ton monte dans cette petite discussion : l’homme cherchait simplement à savoir combien de repas nous distribuons car il en a aussi à distribuer. Mais le dialogue est parfois difficile dans la tension des distributions, le brouhaha continuel, les oreilles qui “mésinterprêtent” les paroles.

Nous ne nous comprenons pas.

L’homme souhaite en fait installer la voiture exactement là où nous avons posé nos tables. Pourquoi ici ? peut-il attendre 10 minutes, le temps que nous épuisons nos stocks et que les file se disperse pour que soit dégagée la place, et qu’il puisse y installer sa voiture ? Ses 500 repas seront alors plus que bienvenus, vu que nous n’avons pas pu donner à tout le monde…

Incroyable, mais ces jeux entre associations, qui ont pourtant le même but : aider son prochain, deviennent parfois contre-productifs. Les différents acteurs qui agissent dans ce petit milieu tendent à se tirer dans les pattes ; il est parfois extrêmement difficile de s’organiser en bonne entente. Mahassine a toujours souhaité rester hors de ces “enjeux de pouvoir”, de ces volontés de s’approprier des “territoires de distribution”. Quel intérêt, pour des entités qui prônent pourtant la “chute des frontières, la libre circulation des hommes” ?

Ce soir, Mahassine a vu à quel point la communication, l’écoute, et surtout le contrôle de soi étaient importants. Il faut à la fois pouvoir gérer une centaine, voire parfois deux cent ou trois cent personnes qui attendent un repas, mais gérer aussi le regard inquisiteur de la police, ainsi que, apparemment, les initiatives, les volontés des associations avec qui il faut bien sûr “cohabiter”, coopérer.

 

Chroniques précédentes :

Chronique de Mahassine : Samba

Chronique Mahassine ll : La Bulle

Chronique de Mahassine III : France terre d’asile