Depuis l’hiver 2016, et trois fois par semaine, les “Mahassine” se retrouvent entre Porte de la Chapelle et Jaurès, à Paris, autour d’une voiture remplie de thermos de thé, café, de biscuits, chocolat, sacs de pain, gobelets en plastique. La distribution de sourires et de chaleur aux migrants de Paris commence vers 20h30. “Mahassine”, de hassana (حسن), en arabe, c’est ce qui est bon, beau, vertueux. C’est aussi un prénom, que la dizaine de membres de cette association se renvoient joyeusement : au Soudan, c’est le nom qu’on donne aux femmes qui vendent du thé dans la rue.

Note des auteur(e)s : Les prénoms ont été modifiés.

Tous les membres de Mahassine se nomment donc Mahassine !

Ce soir, pas assez de temps pour préparer de la soupe, ce sera du thé ! Au Hangar, Mahassine prépare les 3 thermos de thé à la cannelle et aux clous de girofle.

Arrivés au Rond-point de La Chapelle, des distributions sont déjà en cours : le petit coin entre deux bancs sera notre point d’ancrage pour ce soir. Parmi la deux-centaine de personnes présentes, le jeune mineur d’avant-hier, Amin, se retrouve à nouveau dans la file d’attente pour le thé : Mahassine se réjouit de le voir mais s’inquiète ; pourquoi n’est-il pas au chaud, dans le centre pour migrants, comme le lui avait promis Utopia 56, deux soirs plus tôt ?

Amin avait dormi dans la voiture, mais le lendemain, le centre, “la Bulle”, ne lui a pas ouvert ses portes. Pourquoi ? Tentant de se renseigner, Mahassine l’accompagne de nouveau devant ce dôme orange. Dommage, il est déjà 23h, non seulement la bulle est fermée, mais les policiers invitent Mahassine à quitter les lieux car la zone de Porte de la Chapelle doit être dégagée jusqu’à 5h le lendemain matin.

Un homme est allongé par terre : les forces de l’ordre lui enjoignent de se lever et de suivre le groupe qui se dirige aux abords de Paris. Impossible pour lui de se mettre debout, il souffre du thorax et sort de l’hôpital le jour-même. Mahassine sort son téléphone pour appeler une ambulance. Quelques minutes de rab nous sont données, mais le cas d’Amin et de quatre autres mineurs trouvés là, laissés pour compte devant le centre, n’est pas encore réglé. On nous informe qu’il n’y a plus de place dans le centre, qui d’ailleurs n’accueille pas les mineurs, un jeune d’Utopia plein de bonne volonté part se renseigner et revient avec une tente, dans laquelle les jeunes pourront, s’ils l’acceptent, passer la nuit ce soir, mais si possible loin de la “bulle” car le quartier ne leur est apparemment pas autorisé…

L’ambulance arrive enfin, mais l’homme refuse d’y monter. Il compte bien faire la queue toute la nuit devant l’entrée pour être sûr d’y être accepté au matin. Mais les ordres sont formels. Personne ne doit rester devant le centre. À nous de faire le travail de la police et de l’accompagner sous le pont, à 200 mètres plus loin, là où déjà une dizaine de personnes est installée au milieu des effluves révélant l’absence de toilettes.

Mahassine retrouve la voiture et le lieu de distribution, accompagnée des mineurs. Samba, le jeune homme rencontré deux jours auparavant, a tenu à être présent pour aider à la distribution : bien souvent, ces migrant(e)s demandent à aider après avoir été aidé(e)s. Mahassine emmène les jeunes planter leur tente et leur souhaite vivement d’enfin pouvoir rentrer dans ce centre si proche, si inaccessible… dont les portes semblent si souvent hermétiquement fermées.

 

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Chronique de Mahassine I : Samba