Depuis l’hiver 2016, et trois fois par semaine, les “Mahassine” se retrouvent entre Porte de la Chapelle et Jaurès, à Paris, autour d’une voiture remplie de thermos de thé, café, de biscuits, chocolat, sacs de pain, gobelets en plastique. La distribution de sourires et de chaleur aux migrants de Paris commence vers 20h30. “Mahassine”, de hassana (حسن), en arabe, c’est ce qui est bon, beau, vertueux. C’est aussi un prénom, que la dizaine de membres de cette association se renvoient joyeusement : au Soudan, c’est le nom qu’on donne aux femmes qui vendent du thé dans la rue.

Note des auteur(e)s : Les prénoms ont été modifiés.

Tous les membres de Mahassine se nomment donc Mahassine !

Ce weekend, Mahassine a eu la chance de récupérer des cagettes entières de fruits et légumes bio : ce sera soupe de légumes et compote de poires.

L’organisation s’annonce difficile, entre la préparation du repas, et le trajet pour aller chercher le pain à la boulangerie, le renflouement des stocks de gobelets et de bols. Mahassine craint d’ailleurs manquer de bras pour la distribution. Mais qu’à cela ne tienne, on ne loupe pas un rendez-vous pour si peu.

La journée n’avait pas bien commencé. Le matin, Mahassine avait cherché à joindre Mourad, afin de l’accompagner à son rendez-vous à la préfecture. C’était très important pour lui car un renvoi vers l’Italie (Mourad y a laissé ses empreintes) paraissait inévitable et Mourad était très stressé. Finalement, c’est au moment de partir distribuer que Mourad montrera les documents remis. Il a déjà consulté le juriste d’une autre association et nous expose l’alternative qui s’offre à lui : la première option consiste à se soumettre à l’arrêté préfectoral de transfert vers l’Italie, ayant relevé ses empreintes digitales, avec assignation dans une résidence. Dire que pendant plusieurs mois, il en a cherchée une sans succès et soudain, elle lui est attribuée au moment où on le pousse vers la sortie, vers son pays “Dublin”*. Une fois en Italie, il pourra y faire une demande d’asile, qui sera sûrement refusée, et revenir en France pour en faire une troisième…

La seconde option consiste à rester sous les radars pendant 18 mois avant de refaire sa demande en France. 18 mois ! Un an et demi sans ressource, sans toit ? Mourad est très fatigué, Mahassine se demande combien de temps le jeune homme pourra encore tenir dans l’incertitude du lendemain, alors qu’il est depuis des mois dans le pays dont il désire ardemment se placer sous la protection !

Souhaitant échapper à cette alternative, Mourad envisage de partir en Espagne où il pense être mieux accueilli, quitte à apprendre une nouvelle langue, repartir de zéro… Mahassine se creuse les méninges pour lui donner les clefs qui l’aideront à prendre au mieux sa décision : sur les conseils d’amis espagnols, nous contactons le Cear. Vie à suivre…

Le soir, le point de ralliement est fixé devant France Terre d’Asile, à Jaurès. À peine arrivée, Mahassine voit une file d’attente disciplinée s’installer alors que la table n’est même pas encore dépliée. La distribution commence tranquillement, on sera finalement bien assez nombreux avec les nouveaux bénévoles de ce soir. Quel calme ! Mahassine distribue des “bonjour ! ça va ?” à tout va. Une personne remplit les bols, une autre y met la cuillère, une autre les dispose dans chaque paire de mains. Une autre encore coupe les baguettes, et une dernière distribue les morceaux de pain. Un peu plus loin, un homme demande de l’eau. Bien sûr ! On a quelques bouteilles dans le coffre. Une nouvelle file se crée rapidement devant la voiture, où des canettes de soda sont aussi proposées.

La soupe finit par s’épuiser : on passe à la compote. Rapidement, efficacement, les 25 litres de compote partent comme des petits pains. Il est à peine 21h45, Mahassine a épuisé ses stocks et nourri une bonne cent-cinquantaine de personnes. Mahassine remballe ses affaires, remercie tous ces exilés à l’accueil si chaleureux et reconnaissant.

Des soirs comme ceux-ci nous renforcent dans notre motivation.


*en savoir plus sur La procédure Dublin

 

Chroniques précédentes :

Chronique de Mahassine : Samba

Chronique Mahassine ll : La Bulle