Interview du président de Guinée, Alpha Conde par Yordanis Rodríguez Laurencio et Enrique Ubieta Gómez

Le 22 octobre 2014, 38 médecins et infirmiers cubains arrivaient en République de Guinée en réponse à l’appel international des Nations Unies, de l’Organisation mondiale de la santé et du gouvernement de ce pays pour s’intégrer à la bataille contre l’Ebola. Le président de la République de Guinée, Alpha Condé, a eu un entretien avec l’équipe de presse cubaine qui se trouve à Conakry, ce 1er avril. L’occasion de faire un retour sur ces mois écoulés, dont cinq passés au Centre de traitement de Coyah, où les coopérants cubains ont sauvé de nombreuses vies en risquant la leur et de s’interroger sur le devenir et les défis de l’épidémie que cette région d’Afrique de l’Ouest a dû affronter, ainsi que sur l’état des relations entre les deux peuples et les deux gouvernements.

QUESTION : Nous souhaiterions qu’en tant que président de la République et président en exercice de l’Union du rio Mano, vous nous caractérisiez la situation actuelle de l’épidémie d’Ebola dans les trois pays touchés, et en particulier en Guinée.

REPONSE : J’ai toujours dit que pour pouvoir vaincre l’Ebola, il faut arriver à zéro cas dans les trois pays. Tant qu’il y a un seul malade dans l’un d’entre eux, l’épidémie peut resurgir. Comme au début nous avions moins de cas en Guinée, la communauté internationale était surtout attentive à la situation au Libéria. Ensuite, on a dit que la France aiderait la Guinée, la Grande Bretagne, la Sierra Leone et les Etats-Unis le Libéria. Mais nous, nous avons toujours exigé ou demandé une réponse globale parce qu’il y a plus de pays anglophones. La France nous a beaucoup aidés, bien sûr, mais vous savez que les Français sont actuellement dans une situation économique et financière difficile.

Mais, à partir de septembre, la communauté internationale s’est réellement mobilisée. La situation était grave dans la région des forêts et il y a 3 semaines, nous sommes arrivés à zéro cas là-bas. Malheureusement, notre système de santé ne nous permettait pas de faire les analyses de laboratoire pour savoir que c’était l’Ebola si nous avions isolé les gens dans leurs districts.

Seulement quand les malades sont venus à l’Hôpital chinois et que les médecins qui les ont traités sont morts, nous nous sommes posés la question et nous avons envoyé les échantillons à l’Institut Pasteur de Dakar. Mais la maladie avait déjà atteint Conakry.

Au début, nous avons eu beaucoup de problèmes. Le Libéria n’avait pas un système de santé fort parce que ce pays et la Sierra Leone ont subi des guerres civiles. Par conséquent, au début, les malades du Libéria venaient se faire soigner à Guéckédou, ici en Guinée. C’est-à-dire que nous avons eu beaucoup de contamination réciproque. Et maintenant, il arrive la même chose avec la Sierra Leone parce qu’à la frontière, une maison a une porte vers la Sierra Leone et l’autre vers la Guinée. Et comme la Sierra Leone a instauré le confinement et adopté des mesures rigoureuses, les malades fuient vers la Guinée.

Ici, les médecins nous ont toujours dit qu’il faut donner la priorité au dialogue et à la communication, ne jamais utiliser la contrainte et on a reconnu que nous avions réussi dans la région forestière sans cette méthode. Nous savions qu’il y avait des malades à Forécariah et qu’il y avait des gens qui empêchaient les médecins d’y accéder. Il a fallu trouver une solution avec les gendarmes, non pas pour agir sur les malades mais pour bloquer ceux qui empêchaient les médecins d’arriver jusqu’aux malades. Ce sont les malades de Forécariah qui infectent aujourd’hui Conakry. Parce que comme nous n’avons pas mis en place de confinement, les gens circulent. Par exemple, il y en a un qui va de Manferinyah à Siguiri et qui meurt là. Et nous trouvons que c’était l’Ebola et qu’il a infecté deux personnes. Et de Siguiri à la frontière avec le Mali, c’est très loin.

Par conséquent, aujourd’hui, nous pouvons dire que le Liberia est arrivé à zéro cas, sauf pour une dernière infection récente. La Sierra Leone progresse beaucoup, mais a encore des problèmes. Nous, nous progressons aussi mais nous avons encore des problèmes. en tant que président de l’Union du Río Mano, je me suis battu pour les trois pays.

Le deuxième problème que nous avons eu, c’est que beaucoup de gens pensent qu’on en a fini avec l’Ebola. Et ils commencent à être négligents. Il est plus facile de passer de 100 à 10 cas, que de 10 à 0. C’est pour cela que j’ai demandé récemment l’urgence sanitaire renforcée, parce que les gens sont très indisciplinés. A cause de cela, nous avons décidé que quelle que soit la cause de la mort, un examen de laboratoire est exigé, même en cas d’accident de la circulation et que la Croix Rouge certifie que ce n’est pas un décès par Ebola.

Voilà notre situation. Nous devons renforcer la vigilance et la bataille et aussi nous avons demandé que le soutien soit renforcé. Parce que nous avons eu beaucoup de morts, d’orphelins, de veuves. Le coût humain et le coût social ont été très élevés et aussi le coût économique. La Guinée avait presque atteint l’équilibre macroéconomique. Les années 2014 et 2015 devaient nous avoir permis de résoudre d’autres problèmes de la population mais l’Ebola vint briser ces plans.

Le troisième problème, ce sont les contradictions que cela a provoqué. Par exemple, quand les médecins cubains sont venus, il y a des gens qui ont dit : « Cuba n’a pas d’expérience dans l’Ebola ». Mais nous, nous savons que les meilleurs médecins en Afrique, ce sont les Cubains. Je suis allé au Venezuela, j’ai visité les communautés populaires, tous les médecins et les dentistes étaient cubains. Au Brésil, c’est la même chose. Et la Guinée, en 1960, fut l’un des premiers pays d’Afrique à établir des relations avec Cuba et depuis lors, nous avons eu des médecins cubains.

Quand le laboratoire russe est venu, certains ont dit qu’il n’était pas opérationnel. Mais quand ils ont fait le contrôle, nous avons vu que oui, comme les autres. Les différentes organisations ont continué à réagir comme elles avaient l’habitude de réagir auparavant. Et l’Ebola était quelque chose de particulier. Tout le monde devait se mettre d’accord et s’unir. Nous avons eu beaucoup de difficultés pour obtenir une véritable coordination. Mais avec l’aide de nombreuses organisations, Cdc, Médecins sans frontière (Msf), la Banque mondiale, et surtout les Nations Unies, nous avons atteint un certain niveau de coordination.

Au début, nous envoyions des étrangers membres des Ong pour faire le travail de sensibilisation. Mais si vous êtes étranger et si vous allez dans une région dans laquelle vous n’êtes pas connu, vous aurez du mal à convaincre les gens. Il faut utiliser des gens qui sont de ces régions. Par exemple les guérisseurs, les sages, les imams, parce qu’ils peuvent parler plus facilement à la population.

« Heureusement, maintenant, nous avons corrigé cette erreur. Par conséquent, nous pensons qu’avec toutes ces mesures, nous pourrons arriver, nous et la Sierra Leone, à zéro cas parce que tant qu’il y a ce mouvement de populations, c’est très difficile. Nous avons décidé d’établir une coordination des deux côtés de la frontière. Le Premier ministre guinéen a rencontré le vice-président de la Sierra Leone pour mettre cela en pratique. Notre espoir était d’en finir avec l’Ebola en mars, malheureusement, on n’a pas pu y arriver. Nous espérons que les gens soient plus coopératifs. »

QUESTION : Les médecins cubains ont sauvé plus de 150 vies. Comment estimez-vous le travail qu’ils ont fait au Centre de Coyah ?

REPONSE : Nous sommes très satisfaits de la coopération avec les médecins cubains. Au début, comme Coyah était un peu loin, certains se sont demandés s’ils pourraient prêter des services. Finalement, on a accepté et à Coyah, aujourd’hui, il y a un grand Centre de Traitement de l’Ebola. Les gens disaient aussi : les Cubains ne parlent pas français. Mais on répondait que beaucoup de Guinéens ont été formés à Cuba, par conséquent, s’ils travaillaient avec ces Guinéens, il n’y aurait pas de problème de langue. Tout ce que les gens ont mis comme obstacles n’existait pas dans la réalité. Les médecins cubains font un très bon travail.

Nous accordons beaucoup d’importance au travail des médecins cubains à Coyah. Je sais que c’est très dur parce que la lutte contre l’Ebola est très difficile. Mais nous souhaitons que Cuba continue. A Coyah, parfois, il y a des problèmes avec la population. C’est très stressant pour un médecin et à cause de cela nous sommes reconnaissants. Malgré ces conditions de travail difficiles, ils continuent comme s’il n’y avait aucun problème. »

QUESTION : L’amitié entre les peuples et les gouvernements de Cuba et de Guinée a une belle histoire. Comment qualifieriez-vous l’état actuel des relations entre les deux pays ?

REPONSE : La Guinée a été l’un des premiers pays d’Afrique à reconnaître le Gouvernement de Fidel Castro. Quand éclata la guerre d’Angola et que l’Afrique du Sud intervint, il y eut une rencontre à Conakry entre les présidents Castro, Sekou Toure et Agostinho Neto, au cours de laquelle on décida que les militaires cubains qui iraient en Angola feraient escale à Conakry. De plus, très tôt, Cuba nous a envoyé des médecins. La Guinée fut l’un des principaux artisans de la Tricontinentale qui se réunit à Cuba, une réunion préparée par le défunt Ben Barka.

J’ai prévu de me rendre à Cuba. Malheureusement l’Ebola a fait obstacle à mon programme. Le vice-président cubain m’a rappelé cela en Angola et à Malabo. Je lui ai dit que j’irai à Cuba. Par conséquent, nous souhaitons renforcer nos relations. Pas seulement y aller, mais aussi rendre hommage à Fidel Castro pour tout le soutien qu’il a apporté non seulement à la Guinée, mais à toutes les luttes de libération en Afrique. Nous nous sommes toujours opposé à l’embargo (blocus) contre Cuba et nous avons toujours demandé aux Nations Unies la levée de l’embargo de Cuba. Nous avons été l’un des premiers pays à condamner l’invasion de la Baie des cochons (Playa Girón). Notre solidarité avec Cuba a toujours été totale.

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