Nous reprenons cet article (publié initialement en octobre 2012), car il rappelle très bien et d’une manière synthétique le contexte du processus de paix qui se poursuit en Colombie.

Carlos Lozano, le rédacteur en chef de « Voz », l’hebdomadaire du Parti Communiste Colombien était l’invité d’intal à ManiFiesta. Nous avons saisi l’occasion pour l’interviewer sur la situation exceptionnelle que vit son pays.

intal : On parle beaucoup des négociations de paix qui vont débuter à Oslo en octobre prochain entre la guérilla des Farc et le gouvernement colombien. Comment voyez-vous ce processus de négociation ? De quelle manière pensez-vous qu’il est différent de ceux qui ont échoué  par le passé ?

CL : Le fait que le gouvernement et les Farc se soient mis d’accord pour commencer à négocier est un énorme pas en avant car il s’agit d’un dialogue indispensable pour le pays. Dix ans se sont écoulés depuis les dernières négociations de paix. Ces années ont été marquées par la guerre, la « sécurité démocratique » sanglante, avec l’appui total des USA. Malgré cela, le gouvernement n’a pas réussi à faire tomber la guérilla, bien qu’il lui ait asséné des coups durs. La guérilla est là, c’est une réalité nationale. Et le pouvoir colombien est contraint à négocier la paix vu qu’il n’a pas réussi à s’imposer militairement.

intal: Pourquoi le gouvernement accepte-t-il aujourd’hui d’ouvrir un nouveau processus de négociation ?

Il y a aujourd’hui de meilleures conditions pour établir un dialogue. Le pays en a besoin. Le gouvernement veut rentrer dans l’Histoire comme étant un gouvernement de paix. Il a également besoin d’argent pour ses réformes politiques et économiques. Et il n’en a pas beaucoup car il dépense plus de 30 % de son budget pour la guerre !

La guérilla a aussi besoin d’une négociation de paix car le cadre du conflit s’est modifié : aujourd’hui c’est le gouvernement qui est à l’offensive, sans toutefois avoir réussi à liquider les Farc.

Il est dès lors important qu’ils se soient mis d’accord sur l’agenda du dialogue de paix qui donne les conditions de base pour construire une paix avec justice sociale, comme nous n’en avons jamais eu auparavant en Colombie.

intal: Le peuple colombien n’a-t-il pas, lui aussi, joué un rôle prépondérant dans la volonté des deux parties de s’asseoir autour de la table ?

Il est clair que l’irruption de nouvelles forces sur la scène politique est un facteur déterminant. L’une d’entre elles est la Marcha Patriótica. Mais c’est le mouvement Colombianos y Colombianas por la paz  qui a le plus contribué à ce que des groupes importants de la population se prononcent en faveur de l’obtention de la paix au travers de la négociation politique.

Tout çà a fait comprendre aux deux parties qu’elles devaient s’asseoir autour de la table pour négocier. Nous savons que ces négociations seront longues et difficiles même si  le gouvernement pense que çà ira vite. Il s’agit d’une guerre qui a quand même duré plus de 60 ans! Mais avec les mouvements sociaux qui ont surgi ces derniers mois, je pense que les conditions sont réunies pour que ce processus avance et obtienne des accords.

intal: Ne donnerait-on pas plus de chances à ces négociations de paix si, au préalable, on arrivait à signer un cessez-le feu ?

Evidemment ! Le cessez-le-feu est indispensable pour commencer à négocier. Colombianos y Colombianas por la paz et Marcha patriótica l’ont proposé, tout comme le Parti communiste colombien. Il faut s’assurer que les négociations puissent se faire en toute tranquillité. Tant qu’en Colombie la guerre subsiste, la possibilité que les négociations soient interrompues suite à un revers militaire infligé à l’une des deux parties reste présente.

Mais le gouvernement ne veut pas de cessez-le-feu, il pense que poursuivre les combats durant les négociations vont contraindre les Farc à accepter certains aspects plus facilement. Mais la paix n’est pas un problème militaire. La paix est un problème essentiellement politique. S’il veut la paix, le gouvernement doit changer les causes qui furent à l’origine du conflit armé. Ce qui sera déterminant c’est la nature des changements qui vont être négociés: la réforme agraire, les réformes politiques et économiques, le renforcement de la démocratie. C’est çà qui est fondamental pour la Colombie ! Et ceci ne sera atteint qu’au sein d’un climat serein, obtenu grâce à un cessez-le-feu.

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Repères historiques [1]

– En 1948, l’assassinat d’Eliecer Gaitán, leader libéral qui mobilise les classes populaires contre l’oligarchie, marque le début d’une guerre civile – la Violencia – qui fera 300 000 morts. 

–  Face à la violence de l’oligarchie, des mouvements guérilleros font leur apparition, notamment au sein de zones d’autodéfenses paysannes, durement réprimées par l’armée régulière soutenue par les USA.

– Les Farc (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) se forment en 1964. Elles vont jusqu’à compter 20.000 membres, présents dans 40% des communes de Colombie. La réforme agraire [2] a toujours été leur revendication principale.

– Dans le même temps, Les paramilitaires naissent à la fin des années 60 à l’initiative des conseillers américains pour «  casser  » toute velléité de transformation sociale. Ils sèment la terreur dans les campagnes en constituant le bras armé des groupes narcotrafiquants.

– En 1984, un premier cessez-le-feu intervient. L’Union Patriótica, lancée à l’initiative des Farc, devient un parti politique obtenant de très bons résultats aux élections de 1986. Une vague d’assassinats inédite tue 4000 de ses membres en quelques mois.

– En 1998, le président Pastrana décide de négocier avec les Farc. Une zone démilitarisée, grande comme la Suisse, est établie. En vain. En 2002, force est de constater que les négociations ont échoué par la faute des forces réactionnaires.

– De 2002 à 2010, le président Uribe mène une politique guerrière et sans concessions vis-à-vis des Farc. Elles perdent au combat et par désertion la moitié de leurs membres.

– En 2010, le Président Santos arrive au pouvoir avec la ferme volonté d’en terminer avec la guerre. Il poursuit d’abord la politique de son prédécesseur  Les Farc ne plient pas. De massifs mouvements populaires surgissent pour obtenir la paix par la négociation ainsi que des changements fondamentaux dans l’organisation de la société colombienne.

 

[1] Inspiré de : « 50 ans de guerre en Colombie »  http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/ameriquelatine/guerillacolombie-histoire

[2] Une réforme agraire consiste à redistribuer les terres en possession des grands propriétaires terriens aux paysans qui la cultivent.

 

Source : http://www.intal.be/fr/blogs/andre/le-bout-du-tunnel-est-il-en-vue-en-colombie