Daniel Raventós Pañella (Barcelone, 3 août 1958) est l’une des figures de proue du revenu de base universel. Titulaire d’un doctorat en économie, il est maître de conférences en sociologie à la faculté d’économie et de commerce de l’université de Barcelone, et président de l’Associación Red Renta Básica, créée en 2001 (www.redrentabasica.org). Certains de ses livres : El derecho a la existencia (Ariel, 1999), (Le droit à l’existence), La Renta Básica de Ciudadanía : una propuesta viable para Cataluña (Mediterrània, 2005) (Le revenu de base de la citoyenneté : une proposition viable pour la Catalogne), En contra de la Caridad (Icaria Editorial, 2019) (Contre la charité). Renta Básica, por qué y para qué ? (La Catarata, 2021) (Le revenu de base, pourquoi et pour quoi faire ?) Il a présenté sa thèse de doctorat sur le revenu de base en 1998 et a été qualifié d’excentrique pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, et surtout à la suite de la pandémie, le revenu de base universel est un sujet de débat public dans de nombreux pays. Le droit fondamental des êtres humains à voir leur existence matérielle garantie est mis sur la table.

Il y a des gens qui sont en avance sur leur temps, des gens lucides, engagés socialement, qui œuvrent avec détermination et permanence pour un monde plus juste et plus libre. J’ai l’honneur d’interviewer Daniel Raventós, qui nous donne rendez-vous à La Higuera, un bar réputé du quartier Fort Pienc à Barcelone, afin qu’il nous explique de première main ce qu’est le revenu de base universel et les avantages économiques et sociaux qu’il apporterait à tous s’il était mis en œuvre.

Il y a vingt ans, parler du revenu de base universel c’était « une histoire de fous ».

Ça l’était, c’est comme ça que c’était perçu par les gens. Pensez que j’ai en fait présenté ma thèse de doctorat sur le revenu de base en 1998, il y a vingt-quatre ans. Mais oui, à l’époque, lorsque je donnais une conférence ou un séminaire c’était vraiment considéré comme une quasi-folie.

A propos de votre thèse de doctorat, Ernest Lluch présidait le jury d’examen à l’époque.

Oui, il n’était pas d’accord avec le revenu de base, mais il a reconnu qu’il avait des points d’intérêt et il m’a dit : « ce qui serait intéressant, c’est que ce sujet ait une continuité, que votre recherche ne s’arrête pas là ». Je ne pensais pas qu’elle aurait une telle continuité… (rires).

Elle fait l’objet d’un débat dans de nombreux pays aujourd’hui. Qu’est-ce que le revenu de base universel ?

La définition la plus courte est : une allocation monétaire publique individuelle inconditionnelle et universelle. Monétaire, nous parlons d’argent. Publique, c’est-à-dire de l’État. Individuelle, c’est perçu par des individus, et non par des familles ou des ménages. Inconditionnelle, c’est-à-dire qu’aucune condition n’est requise à la différence de toute allocation conditionnelle où vous devez prouver que vous êtes pauvre, ou que vous avez des problèmes psychologiques, etc. Et universelle car elle s’adresse à l’ensemble de la population ou à une zone géographique où le revenu de base sera mis en œuvre. L’idéal serait le monde, mais si nous pensons à un pays, par exemple la Catalogne, alors ce serait pour toute la population de la Catalogne. Cela n’a rien à voir avec les prestations conditionnelles que nous connaissons, ni avec la Rente garantie de la citoyenneté en Catalogne, ni avec ce désastre qu’est le revenu minimum vital espagnol, pour lequel vous devez fournir une série de conditions et dont la perception n’est pas non plus garantie même si vous pouvez fournir des preuves.

Le fait totalement distinctif est ce concept d’Inconditionnel, qu’aucune condition ne soit requise.

En effet, nous la comparons au suffrage universel, c’est-à-dire que lorsque vous allez voter, personne ne vous demande quelle est votre religion, combien d’argent vous avez, si vous êtes vicieux ou vertueux, on ne vous demande rien, juste avec votre carte d’identité vous pouvez voter, donc ce serait ça l’idée.

Tout citoyen ou résident attitré aurait accès à ce revenu de base, nous parlons de tout le monde.

De tous ceux qui vivent sur un territoire où le revenu de base serait mis en œuvre, disons la Catalogne, disons l’Espagne, disons l’Union européenne, etc.

Tout le monde la recevrait ?

Oui, tout le monde, mais tout le monde ne gagne pas. Le revenu de base doit être financé. Et comme il doit être financé, l’une des propositions est qu’une réforme fiscale doit être faite pour que, tout simplement, Amancio Ortega reçoive aussi le revenu de base, mais Amancio Ortega devrait payer beaucoup plus que ce qu’il recevrait comme revenu de base. De sorte que, avec la proposition que nous faisons, les 20 % les plus riches en revenus seraient perdants. Moi, par exemple, je perdrais, je fais partie des 20% les plus riches, pourquoi ? Parce que je suis professeur titulaire dans une université publique, mon salaire est connu, je suis fonctionnaire, et je fais officiellement partie des 20% les plus riches en revenus, pas en patrimoine ou en richesse, mais en revenus, en ce que nous déclarons chaque année à l’IRPF (impôt sur le revenu des personnes physiques). En d’autres termes, les 80% les plus bas, y gagneraient. Les 20 % les plus riches y perdraient.

Les riches continueraient à être riches même avec cette réforme fiscale.

Oui, effectivement.

Donc, les deux piliers de ces aides…

N’appelez pas cela une aide, nous préférons, si vous le permettez, je préfère l’appeler droit humain, qui est le droit humain à une existence matérielle garantie. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une aide, ce serait un droit de la population à exister socialement. Celui qui n’a pas la garantie d’une existence matérielle ne peut être libre. C’est une idée de base, une personne pauvre n’est pas et ne peut pas être libre. Par conséquent, un revenu de base égal au moins au seuil de pauvreté, on peut évidemment démontrer, mathématiquement, que toute la pauvreté disparaît, ce qui représente 25% de la population, légalement, dans le Royaume d’Espagne.

Toutes les prestations publiques en espèces inférieures au revenu de base seraient supprimées.

Oui, elles disparaîtraient. Imaginez que vous recevez maintenant une pension de sept cents euros par mois. Et le revenu de base est de neuf cents par mois. J’imagine que vous ne seriez pas fâché si on vous en prenait sept cents et vous en donnait neuf cents, n’est-ce pas ?

Evidemment.

Mais imaginez qu’au lieu de sept cents, vous recevez une pension de mille cinq cents. Et le revenu de base est de neuf cents. Vous ne gagnez pas, mais vous ne perdez pas. Vous continueriez à percevoir mille cinq cents. Neuf cents comme revenu de base et un supplément de six cents pour que vous n’y perdiez pas. Avec la réforme de l’IRPF (impôt sur le revenu des personnes physiques) et ces économies, on pourrait parfaitement financer un revenu de base pour toute la population, avec un montant équivalent au seuil de pauvreté.

Et ce serait un droit pour tous sans distinction, comme le sont les soins de santé publics.

Oui, tout le monde y a droit, mais tout le monde a aussi le droit d’y renoncer. Si, pour une raison quelconque, quelqu’un pense « Je considère que c’est immoral, de recevoir de l’argent en échange de rien… », alors ne vous inquiétez pas, vous pouvez abandonner. Mais je ne pense pas que beaucoup de gens abandonnent.

Quelles différences avec le MMI, le revenu minimum vital ?

L’inconditionnalité : le revenu de base. Conditionnalité extrême : le revenu minimum vital. Universalité : le revenu de base. Anti-universalité : le revenu vital minimum. Même le montant est différent. Nous disons qu’il devrait être au moins égal au seuil de pauvreté. L’IMV, revenu minimum vital est inférieur au seuil de pauvreté.

Le IMV revenu minimum vital concerne la pauvreté la plus extrême.

Et même pas ça, selon les chiffres officiels dont nous disposons, je crois qu’en ce moment elle atteint moins de 10% de la population officiellement pauvre. Et évidemment, ces 10% sont les plus pauvres. Mais voyons, la conditionnalité a une logique, l’inconditionnalité en a une autre. La conditionnalité, c’est que vous avez décru, pour quelque raison que ce soit, vous avez perdu votre emploi, etc., et l’État doit vous aider à vous remettre sur pied, et c’est soumis à d’énormes conditions. Mais pas le revenu de base, le revenu de base existe, vous avez le droit d’exister socialement. C’est la vieille conception républicaine de la liberté selon laquelle elle n’est pas indépendante des conditions matérielles d’existence. A l’époque républicaine, il y a deux mille trois cents ans, un pauvre ne pouvait pas être libre, et pourquoi ? Parce qu’il n’en avait pas les conditions et était à la merci des riches.

Recevoir le revenu de base pourrait décourager la recherche d’un emploi.

C’est précisément ce qui se dit faute de comprendre ce qu’est le revenu de base. Ce problème, la démotivation, est inhérent aux avantages conditionnels, car il est incompatible. Je reçois le revenu vital minimum, très bien, et je reçois la proposition d’un emploi de misère. Si je ne l’accepte pas, je perds le revenu vital minimum, mais si je l’accepte, je le perds aussi. Cela ne se produirait pas avec le revenu de base. Ainsi, penser, par exemple, que la grande majorité de la population serait satisfaite de vivre avec huit ou neuf cents euros, alors qu’il y a des gens riches qui, avec ce qu’ils gagnent, continuent à gagner plus, c’est avoir une conception psychologique de notre espèce qui est contraire à ce que disent les faits.

Ce serait tout le contraire, un encouragement…

Et puis dans notre vie nous passons par des étapes très différentes ; quand on est jeune, qu’on est étudiant et qu’on veut étudier, on peut se réunir avec deux ou trois amis, prendre une consommation peu couteuse et en contrepartie avoir beaucoup de temps pour étudier. Quand on est un peu plus âgé, on peut avoir envie de faire d’autres choses, par exemple vivre seul ou vivre avec quelqu’un d’autre, ce qui signifie que l’on a besoin de plus de temps pour gagner de l’argent… En d’autres termes, ce que le revenu de base permettrait, c’est que, dans une vie plus ou moins moyenne, les gens aient aussi une plus grande liberté de faire ce qu’ils veulent dans ces étapes…

L’éducation et la santé publique ne seraient donc pas affectées.

En effet, avec le financement que nous proposons, nous ne touchons pas un seul euro de ce que l’IRPF collecte (impôt sur le revenu des personnes physiques). Mais pas non plus de la santé publique ni de l’éducation, ni des choses auxquelles on pourrait toucher, comme la famille royale, qui pour l’hygiène publique ferait mieux de disparaître, ou de l’armée, on ne touche pas non plus un seul euro.

Certains affirment que la solution n’est pas un revenu de base, mais la création d’emplois, la réactivation de l’économie.

C’est curieux… là, il faudrait que je vous explique un certain concept de liberté républicaine, mais l’idée est que le marché du travail est soumis à certaines conditions. Quand on parle de la dignité du travail, seuls les professeurs d’université disent cela. Mais quand on demande aux travailleurs eux-mêmes, la réponse qui est donnée est brutale. Dans le cas du Royaume-Uni, même les travailleurs les mieux payés ont été interrogés : quelques 40% ont déclaré que leur travail ne servait à rien, qu’il était parfaitement inutile et superflu, des travaux effectués par exemple, pour que quelqu’un se sente supérieur. C’est ce que l’auteur David Graeber a appelé les « jobs de merde », et ça en tant que concept académique, qui n’est pas une « merde de travail » avec de mauvaises conditions, d’horaires, etc. non, un « job de merde » est un travail qui peut être très bien payé, mais qui est parfaitement inutile.

Travaux inutiles, dénués de sens…

Oui, de l’avis des travailleurs eux-mêmes. Donc, si la solution est le travail, que se passe-t-il si nous obtenons la liberté de décider quel travail on veut faire et quel travail on ne veut pas faire ? Le revenu de base vous donne la liberté de choisir un emploi qui convient à vos conditions, à vos connaissances, à vos goûts, ou vous pouvez vous retirer momentanément de ce marché. En outre, parler de plein emploi ici, dans le Royaume d’Espagne, est tout simplement risible. Parce que le Royaume d’Espagne est, aussi loin que remontent les données de l’OCDE, le pays dont le taux de chômage est le plus élevé de tous les pays de l’OCDE, dépassant les deux chiffres. Alors, dire que la solution c’est le marché du travail et le plein emploi… On est comme ça depuis quarante ans, alors, en attendant que la solution arrive, un revenu de base ne serait pas mal, non ?

A quoi est dû le fait que les femmes soient plus favorables au revenu de base que les hommes ?

Nous avons réalisé une enquête en Catalogne il y a six ou sept ans et nous avons constaté une augmentation faible, mais très faible, du soutien des femmes par rapport aux hommes. Ce qui est vrai, et nous l’avons quantifié, c’est que s’il y a une redistribution, les femmes en bénéficieraient plus que les hommes, en moyenne, pour une raison évidente, à cause de l’écart salarial, parce que les salaires des femmes sont inférieurs à ceux des hommes en moyenne, elles gagnent moins.

La situation des femmes qui sont économiquement dépendantes de leur conjoint mal traitant s’améliorerait également.

Oui, c’est le pouvoir de négociation que donnerait le revenu de base. J’ai rencontré plusieurs fois des femmes qui sont dans des foyers d’accueil et qui, après une semaine ou dix jours, retournent auprès de leur agresseur. « Et comment se fait-il que tu reviennes ? » La réponse d’une partie d’entre elles est « Et de quoi vais-je vivre ? » C’est pourquoi nous avons dit que le revenu de base permettrait à certaines femmes de vivre indépendamment de leur conjoint maltraitant.

Sans parler des maladies mentales, des suicides, résultant de la violence économique, qui a également augmenté de façon spectaculaire en raison de la pandémie.

Il y a eu des manifestations, même parmi les groupes touchés par la santé mentale, en faveur d’un revenu de base, précisément à cause de ce que vous dites. Dans de nombreuses expériences pilotes qui ont eu lieu, le résultat commun est que la santé mentale des personnes s’améliore de manière très significative. Le fait de ne pas être confronté à cette angoisse existentielle de trouver un emploi, que peut-être vous ne trouverez pas, le fait de se libérer de cela… ce n’est pas très mystérieux, n’est-ce pas ? Mon frère Sergi, qui est responsable du plan pilote de revenu de base en Catalogne, a fait sa thèse de doctorat sur la santé mentale en relation avec le revenu de base. Et c’est évidemment l’une des choses sur lesquelles ce plan pilote en Catalogne a attiré beaucoup d’attention, pour voir comment il affecte la santé mentale des gens.

La souffrance générée par l’absence d’avenir est terrible.

Sans parler d’une question à laquelle certains auteurs ont consacré du temps à la réflexion : les coûts qui ne sont pas inclus dans un plan de financement et qui seraient également économisés, qui sont très difficiles à quantifier, en termes de santé mentale et d’emprisonnements. Un agent pénitentiaire m’a récemment dit sans ménagement : « Arrêtez de tourner autour du pot, 99,99 % des gens ici sont pauvres ». Il arrive qu’un prisonnier politique vienne ici, vous savez qu’en Catalogne c’est courant, mais c’est circonstanciel, 99% des gens ici sont pauvres. Et si une personne riche entre, la télévision vient prendre des photos, ce qui est extraordinaire. Et il y a beaucoup de gens qui répètent : « Je vais y retourner, parce que je vais voler à nouveau avant que mes enfants aient faim ». Je ne dis pas simplement que tous ceux qui sont en prison sont là parce qu’ils volent pour leurs enfants, non, je ne dis pas cela. Je dis que pour de nombreux auteurs qui ont traité de cette question, il est clair qu’avec un revenu de base, beaucoup d’entre eux n’iraient pas en prison. Quel pourcentage ? Comme nous ne pouvons pas le quantifier, car ça dépend d’autres éléments, nous ne l’avons pas financé.

Quel est le déploiement de la pauvreté, dans la santé, dans la mort, dans la maladie ?

Quand on parle de pauvreté, c’est un ensemble de choses qui affectent la santé mentale, la santé physique. Qui sont les plus gros, les riches ou les pauvres ? Les pauvres. Leur régime alimentaire est différent. Les pauvres sont très gros, ils ont un type de nourriture qui est très mauvais. C’est pourquoi lorsque j’entends « pauvreté énergétique, pauvreté de je ne sais quoi… ». La pauvreté est un manque d’argent, et à partir de là, ajoutez ce que vous voulez.

Daniel Raventós. Revista Acelobert Barcelona

Dans cette société où tout se mesure en termes de réussite ou d’échec, le pauvre est le grand « perdant ».

Et les subventions conditionnelles servent précisément à essayer de relever le  » défaillant « , ce qui n’est pas réalisé pour les raisons que nous avons évoquées. D’autre part, le revenu de base n’est pas une tentative pour relever les personnes en échec, mais préalablement, avant qu’elles ne cessent d’avoir une existence matérielle garantie.

Respecter la dignité de l’être humain dès sa naissance.

Je n’utiliserais même pas ces mots, mais simplement, en termes républicains, une personne, lorsqu’elle naît dans la société, pour exister socialement, doit avoir une existence matérielle garantie. Je ne dis pas que le revenu de base soit la seule solution, mais je n’en connais pas d’autre pour le moment.

Nous sommes dans un véritable changement de paradigme.

Le vote : qui a voté il n’y a pas si longtemps, je ne veux pas dire ici, parce que c’était une dictature fasciste, je veux dire dans d’autres endroits ? Ce sont les plus riches qui votaient. Ils payaient un certain taux d’imposition, chaque pays fixait un pourcentage. Et c’étaient des hommes, évidemment. Lorsqu’une chose aussi simple que le droit au suffrage universel était réclamé : « Vous êtes fous ? Vous voulez dire que les pauvres votent pour élire leurs représentants ? l’État est à nous », disaient-ils.

Sans doute les grandes conquêtes sociales ne sont jamais venues d’en haut, mais toujours des mouvements sociaux.

Imaginez-vous, le suffrage universel n’a pas été instauré par le libéralisme. Le libéralisme était anti-démocratique. Le libéralisme nait au début du 19e siècle, contre les principes fondamentaux de la Révolution française. « Je suis libéral parce que je suis anti-démocratique » disaient les libéraux. Quelle ânerie que de dire que le libéralisme est en faveur de la démocratie… Le suffrage universel a été obtenu grâce au mouvement ouvrier et à ses grandes luttes.

Le revenu de base, qui était considéré comme barbare il y a quelques années, fait désormais l’objet d’un débat public.

Oui, tout le monde en parle aujourd’hui. Le Pape, le chef d’Etat du Vatican, il y a quelques mois, dans un discours en Amérique latine, a parlé du revenu de base très bien expliqué. J’ai été impressionné parce qu’il a aussi dit de manière idiomatique « revenu du citoyen », ce que l’Argentine, le Brésil et le Mexique appellent le revenu de base, car là-bas le mot « revenu » a la connotation de loyer. En avril 2021, l’éditorial du Financial Times déclarait : « des mesures jusqu’ici excentriques telles qu’un revenu de base et un impôt sur les grandes fortunes devraient commencer à être envisagées ». Évidemment, je ne sais pas quelles étaient leurs intentions et ils n’ont pas beaucoup insisté, mais ils l’ont dit. Et ensuite le secrétaire général des Nations unies, dans un discours très important, il y a environ un an, a parlé de la nécessité d’un revenu de base.

L’un de vos derniers livres s’intitule « Contre la charité ».

Il a d’abord été publié en anglais, puis en catalan et en espagnol, en collaboration avec Julie Wark. La charité est en tout cas une atteinte à la liberté, car la charité est donnée par celui qui aime un autre qui est inférieur. En contrepartie de la charité, le revenu de base, est un droit.

Et le dernier que vous avez publié, « Le revenu de base, pourquoi et pour quoi faire ».

Je suis satisfait de celui-ci parce que dix ou douze personnes très compétentes ont collaboré au sujet et qu’elles traitent d’une perspective générale du revenu de base, des fondements philosophiques et politiques, du financement, de la relation avec le féminisme, de la mauvaise relation avec les syndicats, de la santé mentale, d’un certain bilan des expériences pilotes, de la relation du revenu de base avec les différents emplois : salarié, domestique, soins et bénévolat. Il résume assez bien, pour autant que je puisse en juger, les questions liées au revenu de base dans le débat de ces vingt dernières années.

Au niveau international, y a-t-il des pays où les avancées sont plus importantes ?

Ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a des pays où les débats sont plus avancés que dans d’autres. Par exemple, ici au Royaume d’Espagne, le débat, pour diverses raisons – quelque chose à voir avec nous – notre association, est assez avancée. Mais aussi dans d’autres pays, il y a eu des discussions sur le revenu de base en Colombie, au Mexique, aux États-Unis. Et en Corée du Sud ! Il s’avère que celui qui a failli devenir président là-bas, a échoué de 0.05%, c’est un type qui a traduit l’un de mes livres en coréen. Et j’ai plusieurs photos avec lui. Quand je l’ai découvert… (rires). Cela dépend de chaque pays, en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni, aussi.

Et le test pilote ici en Catalogne ?

L’idée est de le lancer en janvier 2023 pour deux ans. Il y aura deux expériences en une, deux municipalités avec une faible population et une autre avec une population plus aléatoire.

Le gouvernement espagnol vient d’annoncer une augmentation des dépenses militaires à partir des fonds publics. Qu’en pensez-vous ?

« Le monde a changé en février de cette année », a déclaré Pedro Sánchez. Oui, en effet, et rien n’a été appris du siècle dernier, qui a été, comme on le sait, le théâtre de grandes guerres. Le militarisme a gagné, les grands fabricants d’armes transnationaux ont gagné, et les États-Unis ont gagné en amenant l’Europe à faire ce qu’ils veulent. Ainsi, les droits humains sont perdus, la démocratie est perdue, la paix est perdue. C’est le grand dramaturge allemand Bertolt Brecht qui a écrit que « l’injustice est humaine, mais la lutte contre l’injustice est encore plus humaine ». Mais pour l’instant les choses ne vont pas dans ce sens ; de toute façon le gouvernement espagnol est en train de faire ses valises, jamais un PSOE parti socialiste ouvrier espagnol qui a fait une politique de droite n’a gagné une élection, ses partenaires se contentent de suivre tant bien que mal. L’extrême droite, et la droite espagnole extrême se frottent les mains, le PSOE leur ouvre la voie. Des temps difficiles s’annoncent pour la paix, la démocratie et la liberté.

 

Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet

L’article original est accessible ici