Les élections législatives se sont déroulées cette semaine, alors que le prix du loyer à Berlin atteint des records. La question du logement est-elle au cœur du débat ?

  • Un manque de logement, des prix qui augmentent

On parle depuis quelques années de crise du logement. C’est-à-dire que le nombre d’appartement disponible sur le marché ne suffit plus pour la population qui en cherche. L’offre ne suit plus la demande, toujours plus forte, car la population du Land de Berlin augmente constamment. De plus, le terrain, qui se fait rare, est de plus en plus cher au mètre carré. Les matières premières utiles à la construction voient leurs coûts augmenter à cause de la situation économique mondiale. Construire est plus couteux, alors qu’il faudrait construire vite et pour beaucoup de monde.

Cette crise touche l’ensemble des Bezirke de Berlin depuis la dernière décennie. Dans certains quartiers tels que Kreuzberg et Neukölln les prix augmentent au point que la population historique doit déménager, toujours plus loin du centre-ville. On parle de gentrification. Une population au statut social élevé et favorisé vient s’installer et faire usage d’un quartier où la population historique a un statut social moins élevé et moins favorisé, ce qui entraîne une augmentation des prix général, mais surtout de l’immobilier. Berlin est vue comme la ville de la gentrification en Allemagne. Kreuzberg et Neukölln sont quartiers, historiquement bon marché, accueillant les populations moins fortunées, mais aussi les nouveaux arrivants en Allemagne, des artistes, des associations etc… mais aujourd’hui inabordables pour la majorité des berlinois, nouveaux arrivant ou non.

Le coût moyen du loyer a augmenté en 2024 de 18%, un record. En 2023 le loyer moyen coûtait 13,60 /m2, alors qu’il était de 2,12 /m2 à l’Est et de 3,89 /m2 dans les années 90. La population Berlinoise augmente également. En 1991 on compte 3,4 millions d’habitants, ils ne sont plus que 3,3 millions en 1998, mais 3,9 millions en 2025.

  • De déménagement en déménagement

La question du logement est donc un enjeu d’importance dans la capitale allemande. la recherche d’appartement est un aspect important de ce problème. C’est de cela que nous parle les personnes ayant répondus à notre petit questionnaire entre le 10 et 17 février 2025. Ils et elles n’ont pas grandis à Berlin, sont jeunes adultes (18-35 ans). Ils nous racontent leurs expériences concernant la recherche d’appartement et les conditions dans lesquelles ils vivent. Réussir à trouver un appartement pour un budget abordable, au bon endroit, avec les conditions d’habitation voulues (taille, colocation, appartement seul, esthétique et disposition de l’appartement), voir même décentes devient mission impossible. Sans parler de la charge mentale que cela rajoute. On normalise l’idée qu’il faut avoir des connaissances et de la patience. La chance, le coup de bol joue un rôle central : il faut être au bon endroit au bon moment. C’est également une tâche extrêmement chronophage, ce qui rajoutent des difficultés à celles et ceux qui ont déjà peu de temps ou d’énergie. Ces expériences peuvent être très négatives, éprouvantes physiquement comme mentalement, et peuvent engendrer des traumatismes chez les personnes concernées.

  • « Il y a de moins en moins d’appartements disponibles/ accessibles pour les nouveaux arrivants », ils racontent…

Juan, coursier depuis 4 ans à Berlin nous raconte avoir trouvé des chambres grâce à des amis, ou à des amis d’amis.

« Oui c’était compliqué, et je préfère bouger d’un appartement temporaire à un autre jusqu’à ce que quelque chose de bien et décent se présente, ou au moins avec un bon prix par mètre carré. C’est vraiment frustrant mais je le prends très calmement car je ne suis pas dans une situation d’urgence ou vraiment critique. Donc je vis pour des périodes courtes dans différents endroits, et c’est que qui arrive à beaucoup de gens ici, jusqu’à ce que vous trouviez quelque chose pour une plus longue période ».

Lison, étudiante française nous explique qu’elle a fait le choix d’habiter en résidence étudiante. Arrivée à l’automne dernier, elle a eu son appartement via son université d’accueil, et a fait le choix d’habiter hors du centre-ville, dans une quartier pas forcément attractif, mais pour beaucoup moins cher. Et surtout nous dit-elle, pour « éviter de se retrouver dans le marché immobilier berlinois effrayant. »

Timo est coursier à Berlin depuis plusieurs années, allemand mais non originaire de Berlin. Il nous raconte : « J’ai perdu mon appartement en 2020. Le type voulait de nouveau y vivre. J’ai dû me rendre à la mairie Yorckstrasse (Kreuzberg). Là-bas le service sociale est un point de contact pour les personnes menacées de perdre leur logement. J’avais besoin d’un certificat de certificat d’autorisation de logement, le WBS, et je devais me présenter chaque semaine à 8 heures le lundi à la mairie et attendre 1 à 2 heures pour un rendez-vous. C’est assez fiable, beaucoup de gens de toutes conditions et de tous horizons culturels y attendent. On y fait une sélection, en fonction de la fiabilité et des besoins.

J’ai aussi demandé, en tant qu’indépendant, à d’autres coopératives de logement. J’ai été refusé par toutes en raison de mes dettes et de ma faillite financière. Mais la Howoge Fennfuhl m’a fixé un rendez-vous. J’ai enfin pu parlé à une personne. J’ai expliqué ma situation. En même temps j’ai reçu une offre d’appartement de la part des services sociaux. Quand j’ai visité ce logement social (c’était déprimant, un grand immeuble, à une heure et demie de vélo du centre, derrière le quartier de Marzahn, collé au Brandenburg) j’ai enfin eu une réponse de Howoge. Un beau et grand appartement à quinze min de Boxhagener Platz.

C’est dommage que les gens avec des problèmes dans leurs vies obtiennent des logements aux bordures de Berlin et se voient éloignés par contraintes. J’ai eu une chance pas croyable, un super logement et un bon prix. Donc surtout ne pas abandonner à Berlin. Et pendant presque deux mois où je n’avais pas d’appartement, j’ai squatté chez des amis et fait du bikepacking dans le Brandenbourg pendant deux semaines. Donc vraiment sans domicile fixe mais pas de façon hardcore. Une vie de sans abris qui fait un voyage à vélo l’été, quoi.  Ce n’était pas si dur que ça, juste désagréable. Pour ça je suis très reconnaissant et je trouve ça super qu’il y ai un minimum d’aide de la part de Berlin. Je suis passé remercier la mairie récemment, il y a des gens super aux services sociaux. »

Aurélie est une personne queer de 34 ans, à Berlin depuis 10 ans et originaire de France :

« Je suis une personne queer (elle/iels), blanc.he et socialisé.e comme femme de 34 ans célibataire (sans partenaire avec qui je partage mon budget, sans enfants) et de nationalité française. Je viens de la classe ouvrière. J’ai pu étudier en France grâce à une scolarité publique et j’ai fait un master en arts appliqués. Toutefois, si j’ai pu augmenter mon capital culturel par une éducation plus haute et en déménageant dans une capitale étrangère internationale, mon capital économique et mes conditions de vie restent basses. J’ai déménagé il y dix ans à Berlin pour faire de l’art (du théâtre, de la danse, du design de costume et de scène) et pour vivre mon identité queer.

Comme tu peux l’imaginer je ne peux pas gagner ma vie avec l’art. Pour payer mon loyer et mes impôts je travaille à temps partiel comme agent de nettoyage. Si il n’y a pas de revenu en plus, occasionnels de mes activités artistiques en freelance, mon revenu est environ de 900 par mois. Sans aide de la part du Jobcenter ou de la Agenture für arbeit. Il y a dix ans tu pouvais vivre modestement mais décemment avec cet argent. Je vivais même avec moins (comme 600-700 euros). Parce que j’ai appris de mon passé comment vivre avec un petit budget. Aujourd’hui malgré la hausse du salaire minimum légal, je n’ai même pas à t’expliquer pourquoi c’est bien plus dur…

J’ai décidé de travailler en temps partiel parce que je n’ai pas déménagé à Berlin pour épuiser mon corps et mon cerveaux quarante heures par semaine dans un quelconque job alimentaire. Je sais ce que je veux et ce dont j’ai besoin dans ma vie et où je mets mes priorités : du temps libre ! Pour ma pratique créatrice et mes projets, pour les activités culturelles, pour mon bien-être propre et ma santé mentale. Mais cette quantité de temps personnel et de force de travail que je garde précieusement pour moi et que je ne vends pas au marché du travail a un prix, n’est-ce pas ?  Souvent cela rend la vie encore plus compliquée et précaire sur le marché du logement.  Parce qu’un revenu moyen égal à moins de chance de trouver un logement décent.

Et si vous avez une opportunité, ce sont seulement les options les plus précaires et les moins attractives qui sont atteignables. Comme du court-terme, des appartements partagés, de la location illégale, des collocations avec des gens que tu n’apprécies peut-être pas, sans possibilité de se déclarer, sans contrat, pas rénové, peu isolé, si ce n’est malsain… et souvent déjà menacé d’expulsion par le propriétaire. Et quand tu n’es qu’un sous-locataire illégal tu n’as évidemment pas de pouvoir du tout contre les propriétaires hostiles qui veulent mettre dehors toute la colocation (si ce n’est l’immeuble), pour leurs profits. Je ne parle même pas de l’augmentation du loyer. (Comme je l’ai déjà écrit, le prix d’une chambre dans un WG a plus que doublé en 10 ans). Mais à mon avis, ce n’est même pas une question de revenus faibles ou élevés, ou de conditions de vie stables et confortables. Serait-ce plus facile si j’avais de belles fiches de paie à 4 chiffres et une SCHUFA, et si je gagnais 3 fois le loyer ! Je n’en suis même pas sûr.

Le plus gros problème est qu’il y a de moins en moins d’appartements disponibles/accessibles pour VIVRE !  Alors que nous sommes de plus en plus nombreux à chercher et à nous retrouver piégés dans une boucle de solutions non durables, à courts termes. Les appartements sont retirés aux gens, soit pour être rénovés et embourgeoisés, soit pour être retirés du marché de la location à des fins de spéculation (je suppose), soit pour être transformés en hébergements touristiques ou pour voyages d’affaires (les conneries d’Airbnb). Et les expulsions sont terriblement stressantes, parfois mentalement et économiquement dévastatrices. Cela peut prendre plusieurs années pour plus ou moins stabiliser vos conditions existentielles après un déménagement forcé… pour lequel vous n’avez eu que 2 mois de préavis, parce que vous n’avez pas l’agence ou les ressources pour faire un procès.

Je veux dire, ce n’est même pas le pire scénario, bien sûr ! Certaines personnes n’ont probablement pas de préavis et se retrouvent avec leurs biens dans la rue ! Je suis assez privilégiée pour ne pas vivre ce scénario. Depuis ma première expulsion en 2019, mes conditions de vie n’ont cessé de se dégrader, déménagement après déménagement. Les expulsions multiples et le court-termisme sans fin des seules options que je peux trouver ont laissé un certain traumatisme, en plus de la difficulté de trouver un endroit stable pour vivre dans la ville où je veux rester ! »

*Ces témoignages ne sont que quelques-uns parmi plusieurs. Nous précisons que les questions posées étaient assez ouvertes pour permettre aux personnes de raconter leurs expériences à leur façon, avec autant de détails qu’ils ou elles le souhaitaient. Nous avons aussi fait le choix de respecter la façon qu’ils et elles avaient de s’exprimer lors de la retranscription.

  • Vers de nouvelles perspectives ?

Mais comme certain.es l’ont dit, il ne faut pas se décourager. Les élections parlementaires ont offert une lueur d’espoir du côté des partis élus. A Neukölln le partie Die Linke (gauche) arrive en tête. Leur programme électoral est fort de mesures concernant la construction rapide de logement sociaux. Ils abordent également le gel des loyers et des mesures contre la spéculation immobilière. D’autres tels que le SPD (parti social-démocrate) proposent aussi des mesures de contrôle du prix des loyers, de constructions de logements sociaux et un contrôle du marché des logements. Des associations pour le droit au logement se développent. Elles continuent de faire pression sur les pouvoirs publics pour obtenir d’eux des mesures face à l’augmentation des prix et aux comportements abusifs de certains propriétaires ou agences de location.

D’autres solutions, moins étatiques sont aussi très efficaces à Berlin. Des groupes de solidarité entre étudiants, ou entre jeunes se développent sur les réseaux sociaux. Il y a de nombreuses conversations de groupe concernant les colocations.  Des projets d’habitats collectifs se développent ces dernières années. Des coopérations d’habitations permettent aussi de faciliter la location d’appartement.

En général la situation Berlinoise est assez représentative de beaucoup de grandes villes européennes, qui deviennent de plus en plus chères, et donc excluantes. Peut-être au fond que le modèle de la ville capitale et de ses habitations doivent être repensés, et avant tout par ses habitant.es.