Le 28 mars 2024, en réponse à une nouvelle demande urgente (la troisième) en indication de mesures conservatoires urgentes supplémentaires contre Israël, soumise par l’Afrique du Sud le 6 mars 2024, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a donné raison en grande partie à l’Afrique du Sud.
Il s’agit d’une nouvelle décision, dans laquelle les juges détaillent les nouvelles mesures que doit prendre Israël à Gaza, en plus de celles incluses dans la première ordonnance de la CIJ, adoptée le 26 janvier 2024.
Nous renvoyons nos chers lecteurs à l’analyse – en espagnol – de la troisième requête de l’Afrique du Sud, que nous avions eu l’occasion d’analyser (Note 1).
Pour ceux qui, à un moment donné, ont pu douter de la portée de la requête de l’Afrique du Sud contre Israël, une comparaison entre cette deuxième ordonnance de la CIJ du 28 mars avec la première rendue le 26 janvier 2024 (Note 2) confirme que la plainte de l’Afrique du Sud est plus que fondée d’un point de vue juridique; et qu’Israël se dirige tout seul vers une condamnation sévère de la CIJ pour avoir ignoré ses deux décisions.
Il est également frappant de constater que l’équipe juridique sud-africaine a fait preuve d’une capacité d’anticipation avant bien d’autres, en détectant très tôt dans le discours officiel d’Israël et dans diverses déclarations, des éléments d’intention génocidaire à Gaza de la part du haut commandement militaire israélien.
Le fait que la seule juge titulaire de la CIJ ayant voté contre l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier (accompagnant son vote négatif d’une longue opinion dissidente) ait cette fois-ci voté en faveur du dispositif donne une idée du changement substantiel observé à La Haye (ainsi que dans de nombreuses autres latitudes).
D’un point de vue strictement juridique, il convient de noter que cette deuxième ordonnance de la CIJ constitue une décision préliminaire, de nature urgente, et qu’elle est distincte du jugement ou de l’arrêt sur le fond, qui ne sera rendu que dans quelques années par le juge international de La Haye.
L’action militaire insensée d’Israël contre la population civile de Gaza
Il est à signaler que, quelques jours avant le 28 mars 2024, un nouveau rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits du peuple palestinien a été publié (voir le rapport A/HRC7/55/73, dont la lecture est recommandée dans son intégralité). Dans ce document, il est indiqué (paragraphe 93) que:
« 93. The overwhelming nature and scale of Israel’s assault on Gaza and the destructive conditions of life it has inflicted reveal an intent to physically destroy Palestinians as a group. This report finds that there are reasonable grounds to believe that the threshold indicating the commission of the following acts of genocide against Palestinians in Gaza has been met: killing members of the group; causing serious bodily or mental harm to groups’ members; and deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part. Genocidal acts were approved and given effect following statements of genocidal intent issued by senior military and government officials » (NDA: les italiques sont de l’auteur).
Il est également précisé dans ce même rapport, dans les paragraphes contenant les conclusions et les recommandations finales, que :
« 96. The Special Rapporteur urges member states to enforce the prohibition of genocide in accordance with their non-derogable obligations. Israel and those states that have been complicit in what can be reasonably concluded to constitute genocide must be held accountable and deliver reparations commensurate with the destruction, death and harm inflicted on the Palestinian people.
97. The Special Rapporteur recommends that member states: (a) Immediately implement an arms embargo on Israel, as it appears to have failed to comply with the binding measures ordered by the ICJ on 26 January 2024, as well as other economic and political measures necessary to ensure an immediate and lasting ceasefire and to restore respect for international law, including sanctions ».
Toujours en relation avec le contenu de ce rapport, il faut indiquer qu’un communiqué de presse (voir texte) a été publié par le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme lors de sa présentation : pour des raisons qui nous échappent, il a été très peu diffusé et référencé dans les principaux médias internationaux.
Nous ignorons combien de personnes vont mourir des suites de leurs blessures, mais nous savons qu’un très grand nombre d’entre elles ont dû être amputées. L’État d’Israël organise également la famine.
En refusant de fournir l’aide humanitaire qu’il est obligé de fournir, en tant que puissance occupante, en bombardant, en détruisant tout ce qui permet de survivre – les infrastructures, les terres arables –, en ciblant les convois humanitaires, il sait pertinemment qu’il va causer la mort de personnes, en particulier d’enfants« .
Risque « plausible » de génocide (CIJ) depuis le 26 janvier 2024, transfert d´armes et droit international public
Dans le cas de l´appel à établir un embargo sur les armes à destination d’Israël, la question se pose pour nombre d´Etats, notamment pour les Etats-Unis, le Canada et plusieurs Etats européens, tous Etats Parties à la Convention pour la prévention et la sanction du crime de génocide de 1948: voir état officiel des signatures et ratifications).
Dans le cas du Canada et des Etats européens, ils sont aussi Parties au traité sur le commerce des armes de 2013 (voir texte complet et état officiel des signatures et ratifications) dont l´article 6, paragraphe 3 est des plus clairs et ne présente aucun doute sur l’interprétation de son contenu :
« 3. Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4 s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie« .
La clarté de ce paragraphe 3 peut expliquer les contorsions sémantiques de toute sorte et les ambigüités que permet parfois le langage, observées aux États-Unis, au Canada, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni lorsqu´un journaliste demande à un porte parole ou directement à un ministre, de dire si Israël viole le droit international humanitaire à Gaza.
En Europe, pour ce qui est des armes que la France exporte vers Israël, une question très précise posée le 7 mars 2024 par un sénateur au ministère français de la Défense concernant l’utilisation de composants militaires de type « ML4 » exportés vers Israël (voir question) est en attente de réponse. Une précédente question plus générale posée en novembre 2023 avait reçu une réponse en février 2024. La réponse concluait (voir hyperlien) que :
« La France a rappelé le droit d’Israël à se défendre, qui doit s’exercer dans le respect du droit international humanitaire. Le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire par le pays destinataire, de même que les conséquences pour la paix, la sécurité et la stabilité régionales, sont pleinement pris en compte dans le cadre de l’examen des exportations de matériel de guerre par la CIEEMG. Cette stricte grille d’analyse n’a pas conduit à suspendre intégralement le flux d’exportations de matériels de guerre depuis le 7 octobre 2023« .
« The US and Germany accounted respectively for 69% and 30% of arms imports by Israel, which is currently fighting a deadly war against Hamas in Gaza which killed over 30,000 people, most of whom were civilians« .
A ce jour, il n’existe pas de rapport technique ou de tableau comparatif accessible au public, publié par un centre spécialisé dans les transferts d’armes, sur l’origine exacte des armes, munitions et composants électroniques qu’Israël importe pour équiper son armée (et nous serions reconnaissants à nos estimés lecteurs de bien vouloir en indiquer l’auteur s’ils en connaissent l’existence en envoyant un message à : cursodicr(a)gmail.com). Si les informations ci-dessus sont confirmées, l‘Allemagne serait le deuxième fournisseur d’armes d’Israël après les États-Unis.
Précisément dans sa requete contre l’Allemagne pour complicité de génocide présentée le 1er mars 2024, le Nicaragua a précisé aux juges de la CIJ (paragraphe 53) :
« 53. /…/ By the end of 2023, the German Government had granted military exports to Israel in the amount of 326,505,156 euros. On January 2024, German media reported that Israel had made a request for tank shells, especifically 10,000 120-millimeter Rheinmetall precision rounds. Der Spiegel reported that Germany had agreed to deliver the request from its own stocks in order to be able to comply with the “urgency”. According to information made available by the German Government, export licences granted between January 2024 and 15 February 2024 concerned military equipment worth 9,003,676 euros ».
Le commerce des armes est un domaine spécifique du droit international public, avec des ramifications pour le droit national lorsqu’il existe un risque d’abus, et avec un régime juridique qui entraîne des responsabilités nationales pour les États exportateurs d’armes, comme l’explique un document publié en 2021 qui conclut (page 53) :
« Legal challenges are gradually becoming a pragmatic response in the face of apparently unlawful decisions by arms exporting states. Governments should recognise this shift and the possibility that their decisions on arms exports will increasingly be subject to legal challenges before domestic courts. Their decisions must be able to withstand judicial oversight and must conform with obligations under both international and domestic law » (Note 3).
Il convient de préciser que le dernier rapport sur la situation dans la bande de Gaza des Nations Unies (voir rapport au 3 avril 2024) fait état de 32.975 morts et de 75.557 blessés palestiniens. Dans le rapport précédent (voir rapport au 29 mars 2024) il était indiqué que :
« Key Highlights
– Access impediments have severely compromised the ability of humanitarian actors to reach people in need across the Gaza Strip.
-Since 1 March, 30 per cent of humanitarian aid missions to northern Gaza and 10 per cent of missions to southern Gaza were denied access by the Israeli authorities.– Nearly 40 per cent of school buildings in Gaza have been directly hit, according to an updated assessment of satellite imagery by the Education Cluster.
Gaza Strip Updates
– Intense Israeli bombardment and ground operations as well as heavy fighting between Israeli forces and Palestinian armed groups continue to be reported across much of the Gaza Strip, resulting in further civilian casualties, displacement, and destruction of houses and other civilian infrastructure.
– Between the afternoon of 27 March and 11:30 on 29 March, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 133 Palestinians were killed, and 203 Palestinians were injured, including 71 killed and 112 injured in the past 24 hours. Between 7 October 2023 and 11:30 on 29 March 2024, at least 32,623 Palestinians were killed in Gaza and 75,092 Palestinians were injured, according to MoH in Gaza.
– Incidents resulting in the killing of journalists and media workers in Gaza continue to be reported. On 26 March, at about 22:30, a Palestinian journalist was reportedly killed along with her husband and children when a house in Rafah was hit. On 28 March, at about 4:55, a Palestinian journalist was allegedly shot and killed in Al Shifa Hospital in Gaza city. »
De l’avis d’un commentateur français fort sollicité, ancien militaire spécialisé dans les bombardements aériens, le nombre de morts et de blessés à Gaza est en réalité bien plus élevé que celui enregistré par les Nations Unies et les autorités sanitaires de Gaza. Dans l’un de ses derniers billets de son blog (voir sa note intitulée « Hiroshima sur Gaza : peut-on encore arrêter l’offensive de Netanyahou ?« , dont la lecture intégrale est recommandée), on peut lire que :
« Les bombardements israéliens combinés aux actions militaires terrestres et à la catastrophe humanitaire ont tué près de 60,000 Palestiniens auxquels il faut rajouter trois fois plus de blessés (180,000 personnes), soit un total de 240,000 victimes, dont les membres du Hamas ne représentent qu’une infime minorité. /../ Mon décompte s’appuie sur l’importance des bombardements menés au quotidien par Tsahal, l’armée israélienne, combinés aux actions terrestres et maintenant aux victimes de la catastrophe humanitaire générée par le blocus de la bande de Gaza. Soit 10,000 morts par mois en projection linéaire.
/../ Début mai, le nombre de morts dépassera donc 70,000, soit autant que la destruction de la ville d’Hiroshima par une bombe atomique en 1945. La question est désormais de savoir si nous acceptons qu’un tel massacre perdure car dans un mois il aura atteint le niveau de dévastation d’Hiroshima, sans que le Hamas ne soit éliminé, ni que les otages israéliens encore en vie ne soient relâchés » (NDA: les italiques sont de l’auteur).
Ce 3 avril 2024, un article publié en Israël sur « Lavender« , un programme d´intelligence artificielle utilisé par les militaires israéliens depuis le 7 octobre pour mener des frappes soi disant « ciblées » sur Gaza, alerte l’opinion israélienne (et internationale) sur la dérive du haut commandement militaire israélien.
La crédibilité des autorités israéliennes mise à mal
On se doit de mentionner la perte de toute crédibilité qu’Israël observe de la part de nombreux membres de la communauté internationale : après la Finlande, le Canada, la Suède, l’Australie, l’Allemagne (voir communiqué de presse du 25 mars) et la France (voir article du Times of Israel du 28 mars), c’est le Japon qui a annoncé récemment qu’il finançait à nouveau l’Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les Réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (plus connu par ses sigles en anglais UNRWA) : voir communiqué de presse officiel du 2 avril.
Ces Etats (et bien d’autres) avaient pris la décision de suspendre sine die leur contribution à l’UNRWA suite à un « rapport des services secrets » accusant une douzaine de fonctionnaires de l’UNRWA de collaborer étroitement avec le Hamas: Le tableau ci-contre permet de connaitre en détail le montant de la contribution de chaque Etat à l’UNRWA.
La France, avec les Etats-Unis avait été l´un des tout premiers Etats à s´empresser de suspendre sa contribution (voir communiqué du 26 janvier du Quai d´Orsay et communiqué officiel de Etats Unis également du 26 janvier). Le Secrétaire Général des Nations Unies avait pour sa part annoncé des mesures internes afin d´en savoir un peu plus (voir communiqué de presse, également du 26).
Comme détail non négligeable (passé sous silence par de nombreux commentateurs), ce rapport secret a été transmis par Israël aux États qui contribuent au fonctionnement de l’UNRWA quelques heures avant le 26 janvier 2024 à 13h00, heure à laquelle la CIJ a lu sa première ordonnance sur les mesures conservatoires.
Dans le cas du Royaume-Uni, qui persiste avec les Etats-Unis, dans la cessation de son appui financier à l’UNRWA, le réseau d’information AlJazeera a conclu un rapport détaillé publié le 13 mars, dont la lecture est recommandée (voir hyperlien), en déclarant que : « »Al Jazeera will continue to pursue its request that the UK Foreign, Commonwealth and Development Office share the Israeli allegations against UNRWA it received « . En ce qui concerne toujours AlJazeera, un rapport intéressant – rarement référencé dans les médias internationaux européens ou nord-américains – publié en Israël par le journal Haaretz explique le réseau d’information pro-israélien qui a concentré une grande partie de ses efforts afin de discréditer l’UNRWA (voir le reportage d’AlJazeera du 19 mars 2024).
On signalera la position de la Norvège, qui s´est démarquée de la précipitation de certains Etats en Europe, en décidant de ne pas suspendre ses contributions à l’UNRWA tant que les accusations israéliennes ne sont pas confirmées par des preuves crédibles (voir communiqué officiel) : une démarche à notre avis prudente et exemplaire, fort peu diffusée dans les grands médias en Europe et aux Etats-Unis.
Au 4 avril 2024, les financements norvégiens à l’UNRWA se sont maintenus de manière ininterrompue, indiquant qu’Israël a été incapable de prouver les accusations lancées contre des fonctionnaires de l’UNRWA.
Le contenu de l’ordonnance en bref
Dans leur ordonnance du 28 mars (voir texte en français et en anglais), les juges de la CIJ considèrent que l’aggravation de la situation à Gaza justifie d’ordonner d’urgence de nouvelles mesures conservatoires à Israël en plus de celles spécifiées le 26 janvier 2024 dans leur ordonnance.
On y lit notamment que pour les juges de la CIJ :
« 21. La Cour observe que les Palestiniens de Gaza ne sont plus seulement exposés à un risque de famine, ainsi qu’elle l’a relevé dans son ordonnance du 26 janvier 2024, mais doivent désormais faire face à une famine qui s’installe, puisque, selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), au moins 31 personnes, dont 27 enfants, ont déjà succombé à la malnutrition et à la déshydratation (OCHA, « Hostilities in the Gaza Strip and Israel — reported impact, Day 169 », 25 mars 2024).
22. La Cour considère que les développements mentionnés ci-dessus, qui sont d’une gravité exceptionnelle, constituent un changement dans la situation, au sens de l’article 76 du Règlement.
../..
21. The Court observes that Palestinians in Gaza are no longer facing only a risk of famine, as noted in the Order of 26 January 2024, but that famine is setting in, with at least 31 people, including 27 children, having already died of malnutrition and dehydration according to the United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA) (OCHA, “Hostilities in the Gaza Strip and Israel — reported impact, Day 169”, 25 March 2024).
22. The Court considers that the above-mentioned developments, which are exceptionally grave, constitute a change in the situation within the meaning of Article 76 of the Rules of Court ».
Outre la situation dramatique de famine à Gaza, les juges de la CIJ considèrent que les plus de 6 500 morts et près de 11 000 blessés à Gaza depuis le 26 janvier justifient une action supplémentaire (sur la base des chiffres indiqués dans les rapports de situation de l’ONU) :
« 39. La Cour rappelle que, depuis le 26 janvier 2024, l’opération militaire d’Israël aurait fait plus de 6 600 morts et près de 11 000 blessés supplémentaires dans la population palestinienne de la bande de Gaza (OCHA, « Hostilities in the Gaza Strip and Israel — reported impact, Day 169 », 25 mars 2024).
40. Au vu de ce qui précède, et compte tenu des mesures conservatoires indiquées le 26 janvier 2024, la Cour estime que la situation actuelle dont elle est saisie entraîne un risque accru qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits plausibles revendiqués par l’Afrique du Sud et qu’il y a urgence, c’est-à-dire qu’il existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire.
../..
39. The Court recalls that, since 26 January 2024, Israel’s military operation has reportedly led to over 6,600 additional fatalities and almost 11,000 additional injuries among Palestinians in the Gaza Strip (OCHA, “Hostilities in the Gaza Strip and Israel reported impact, Day 169”, 25 March 2024).
40. In light of the considerations set out above, and taking account of the provisional measures indicated on 26 January 2024, the Court finds that the current situation before it entails a further risk of irreparable prejudice to the plausible rights claimed by South Africa and that there is urgency, in the sense that there exists a real and imminent risk that such prejudice will be caused before the Court gives its final decision in the case. »
La CIJ décide d’ordonner à Israël les nouvelles mesures conservatoires suivantes, qui se lisent comme suit au paragraphe 51, alinéas 2 et 3 de son ordonnance, dans laquelle la CIJ :
« 2) Indique les mesures conservatoires suivantes :
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions de vie auxquelles sont soumis les Palestiniens de Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l’inanition :
a) À l’unanimité,
Prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller sans délai, en étroite coopération avec l’Organisation des Nations Unies, à ce que soit assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, notamment la nourriture, l’eau, l’électricité, le combustible, les abris, les vêtements, les produits et installations d’hygiène et d’assainissement, ainsi que le matériel et les soins médicaux, aux Palestiniens de l’ensemble de la bande de Gaza, en particulier en accroissant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en maintenant ceux-ci ouverts aussi longtemps que nécessaire ;
b) Par quinze voix contre une,
Veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation de l’un quelconque des droits des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, y compris en empêchant, d’une quelconque façon, la livraison d’aide humanitaire requise de toute urgence ;
…
3) Par quinze voix contre une,
Décide que l’État d’Israël devra, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance.
../..
(2) Indicates the following provisional measures:
The State of Israel shall, in conformity with its obligations under the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, and in view of the worsening conditions of life faced by Palestinians in Gaza, in particular the spread of famine and starvation:
(a) Unanimously,
Take all necessary and effective measures to ensure, without delay, in full co-operation with the United Nations, the unhindered provision at scale by all concerned of urgently needed basic services and humanitarian assistance, including food, water, electricity, fuel, shelter, clothing, hygiene and sanitation requirements, as well as medical supplies and medical care to Palestinians throughout Gaza, including by increasing the capacity and number of land crossing points and maintaining them open for as long as necessary;
(b) By fifteen votes to one,
Ensure with immediate effect that its military does not commit acts which constitute a violation of any of the rights of the Palestinians in Gaza as a protected group under the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, including by preventing, through any action, the delivery of urgently needed humanitarian assistance;
(3) By fifteen votes to one,
Decides that the State of Israel shall submit a report to the Court on all measures taken to give effect to this Order, within one month as from the date of this Order ».
Le contenu de cette ordonnance (qui répond en grande partie à la demande de l’Afrique du Sud) et la quasi-unanimité obtenue au sein de la CIJ constituent un nouveau revers pour Israël, dont les arguments juridiques n’ont pas convaincu les membres de la CIJ. La seule dissidence – assez faible par ailleurs – observée dans le débat inter pares est celle du juge ad hoc désigné par Israël.
A propos de l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024, on a pu lire (Note 4) que:
« Enfin, il faut relever, dans le même sens, la quasi-unanimité des juges dans cette ordonnance. Alors que le sujet est diplomatiquement des plus sensibles, les mesures ont été votées par quatorze des quinze juges permanents, y compris la présidente de la Cour, de nationalité américaine. Seule la juge ougandaise, qui considère que le différend est strictement politique et que la Cour ne saurait se prononcer à ce propos, a voté contre l’ensemble des mesures. Il est sur ce point remarquable que le juge ad hoc nommé par Israël, en l’absence de juge de nationalité israélienne à la Cour, s’est prononcé en faveur de plusieurs mesures – y compris celle concernant l’aide humanitaire d’urgence« .
Une lecture complète de cette seconde ordonnance du 29 mars 2024 est recommandée afin de mieux comprendre le raisonnement suivi par les juges de La Haye et de mieux comprendre la logique qui sous-tend le paragraphe 51 du dispositif de cette décision.
Il est très probable que, au moins en partie, l’attitude de défiance des plus hautes autorités israéliennes depuis le 26 janvier ait convaincu certains des juges de la CIJ de la nécessité d’adopter des mesures supplémentaires à celles déjà ordonnées par le juge international de La Haye.
Enfin, il est intéressant de noter que dans une déclaration jointe à l’ordonnance (voir texte en anglais et en français), le Président de la CIJ précise que :
« 7. On est donc face à une situation dans laquelle les conditions d’existence des Palestiniens de Gaza sont de nature à entraîner la destruction partielle ou totale de ce groupe. Il est important de rappeler ici que cette conclusion est sans préjudice de toute décision sur le fond de l’affaire dont est saisie la Cour. Quant au but des mesures conservatoires, il est de préserver les droits que la Cour a reconnus plausibles dans son ordonnance du 26 janvier 2024, notamment le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes visés à l’article III de la convention sur le génocide.
../..
7. We are therefore faced with a situation in which the conditions of existence of the Palestinians in Gaza are such as to bring about the partial or total destruction of that group. It is important to remember that this conclusion is without prejudice to any decision on the merits of the case before the Court. As to the purpose of the provisional measures, it is to preserve the rights which the Court recognised as plausible in its Order of 26 January 2024, in particular the right of the Palestinians of Gaza to be protected against acts of genocide and related prohibited acts referred to in Article III of the Genocide Convention« .
Une semaine particulièrement chargée
A cette nouvelle ordonnance de la CIJ datée du 29 mars, à la déclaration précitée du Président de la CIJ, s’ajoute la récente résolution 2728(2024) du Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée le 25 mars 2024 (voir hyperlien vers les versions officielles) : cette résolution ordonne à Israël un cessez-le-feu immédiat (Note 5). Il convient de signaler que cette résolution fait l’objet d’une référence au paragraphe 37 de l’ordonnance de la CIJ.
Il est à remarquer que lors de l’adoption de la résolution 2728, la représentante nor-américaine au Conseil de Sécurité en a surpris plus d’un au sein du Conseil de Sécurité (et bien plus à l’extérieur…) en affirmant que cette résolution n’est pas contraignante. Á cet égard, le compte-rendu de séance S/PV.9586 du 25 mars 2024, se lit comme suit (p. 5) :
« However, as I said before, we fully support some of the critical objectives in this non-binding resolution ».
Il s’agit d’une affirmation jamais entendue auparavant de la part d’un Etat membre du Conseil de Sécurité. Un Etat membre (et qui plus est, est permanent …) du Conseil de Sécurité soutenant qu’une résolution, adoptée avec 14 voix pour et une abstention (Etats-Unis), dont le premier paragraphe du dispositif appelle à un cessez-le-feu immédiat à Gaza après trois tentatives infructueuses dues au veto américain … n’est désormais plus contraignante ? Cette position insolite de la personne avec le plus haut grade au sein de la représentation nord-américaine au siège des Nations Unies à New York montre à quel point les diplomates américains se sentent obligés de faire preuve de créativité pour protéger Israël. Une juriste chilienne n´a pas manqué de qualifier de véritable « leguleyada » la position nord-américaine (Note 6), terme castillan dont la traduction en langue française s’avère délicate.
En ce qui concerne le Conseil de Sécurité, le fait qu’Israël n’ait pas modifié ses actions à Gaza depuis le 25 mars l’expose à des mesures coercitives au titre des articles 41 et 42 de la Charte des Nations unies. Ainsi qu’ à une pression supplémentaire pour les diplomates des Etats-Unis, allié indéfectible d’Israël au sein du Conseil de Sécurité : ils pourront difficilement, en tant que représentants d’un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, opposer leur veto à une résolution exigeant d’Israël qu’il respecte l’autorité des décisions émanant du Conseil de Sécurité (a moins que l´on assiste de nouveau à … une autre « leguleyada« ).
Il convient enfin d’ajouter que le 2 avril 2024, la Banque Mondiale a publié une première estimation des dommages causés aux infrastructures de Gaza, qui s’élèvent à plus de 18,5 milliards de dollars américains (voir le communiqué de presse et les détails de l’estimation dans le tableau de la page 10 du rapport intitulé « Gaza Strip Interim Damage Assessment« ).
En guise de conclusion
Comme on peut le constater, cette dernière semaine du mois de mars 2024 et ces premiers jours d’avril montrent que pour les principaux organes des Nations Unies, les actions d’Israël à Gaza sont inacceptables et indéfendables.
Et ce malgré toutes les manœuvres intentées par les Etats-Unis (ainsi que par certains cercles pro-israéliens dans différentes parties du monde, à travers divers avis, articles d’opinion divers et variés), afin de rendre justifiable ce qui est injustifiable à tout point de vue.
Comme aucun changement majeur n’a été observé de la part des plus hautes autorités israéliennes depuis l’ordonnance de la CIJ du 26 janvier, ni depuis le 29 mars 2024, cette deuxième ordonnance de la CIJ pourrait donner lieu à une nouvelle initiative devant le Conseil de Sécurité ; elle pourrait également être utilisée par le Nicaragua dans sa requête contre l’Allemagne pour complicité de génocide à Gaza, dont les audiences auront lieu les 8 et 9 avril prochains à La Haye (Note 7). A cet égard, cet intéressant article publié en Israël dans le Magazine+972 du 21 mars, sur les bizarreries de la politique allemande en matière de soutien illimité à Israël, conclut que :
« As the absurdity intensifies, it has also become harder for international observers to ignore how Germany’s obsessive pro-Israelism has been twisted into a tool of authoritarianism and xenophobia. As a result, the country’s self-image — civilized, cosmopolitan, and open — is fast becoming a story Germans can only tell themselves. And with attempts underway in many other countries to clamp down on criticism of Israel in the name of protecting Jews, the German travesty is a warning that must echo far beyond its borders« .
Outre l’usage qui peut être fait de cette nouvelle ordonnance devant le juges de la CIJ elle-même, il ne faut pas sous-estimer l’usage qui peut en être fait dans le cas du réferré urgent déposé, d’abord par le Bangladesh, la Bolivie, les Comores, les Maldives et l’Afrique du Sud en novembre 2023 (voir texte), puis par le Chili et le Mexique en janvier 2024 (voir communiqué officiel) auprès d’une autre instance juridictionnelle : la Cour Pénale Internationale (CPI). Le silence assourdissant du Bureau du Procureur de la CPI depuis le début de l´année 2024 risque de miner sa crédibilité aux yeux de bon nombre d´Etats, qui gardent tous en mémoire la rapidité avec laquelle un mandat d’arrêt international contre le Président de la Russie a été délivré par la CPI pour transfert d´enfants ukrainiens vers le territoire russe (voir communiqué de presse de la CPI du 17 mars 2023).
Enfin, il faut savoir qu´un premier projet de résolution à examiner au Conseil de Sécurité, présenté par la France, circule depuis le 1er avril 2024 (voir texte circulant sur les réseaux sociaux) : de portée assez générale, il est très probable que la menace d’un veto américain oblige à une reformulation laborieuse de plusieurs de ses dispositions, et que finalement l’Algérie et d’autres Etats choisissent de présenter une proposition alternative plus centrée sur le non-respect par Israël de l’ordonnance de la CIJ et de la résolution 2728 adoptée le 25 mars dernier. En ce qui concerne le projet de résolution présenté par la France, on notera l´inversion des verbes « Call » et « Demand » dans le paragraphe OP1 par rapport au texte la résolution 2728 adoptée le 25 mars dernier, qui « demands » un cessez-le-feu et « calls » pour une libération des otages. Cette inversion notoire doit avoir une explication que seuls les diplomates français doivent pouvoir justifier.
Notons également que le paragraphe préliminaire PP9 du projet de résolution français se lit comme suit :
« PP9. Noting that 139 Member States have recognized the State of Palestine and that other Member States are considering such recognition, and expressing its intent to welcome the State of Palestine as a full member of the United Nations« .
Le même 2 avril, l’État de Palestine a envoyé une demande formelle au Secrétaire Général, faisant référence à une initiative similaire prise en 2011, à laquelle le Conseil de Sécurité n’a jamais donné suite (voir le texte de la lettre du 2 avril 2024 et de la demande formelle de septembre 2011).
– – Notes – –
Note 1: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de la tercera solicitud de Sudáfrica de medidas provisionales urgentes ante la Corte Internacional de Justicia (CIJ) contra Israel« , 6 mars 2024. Texte disponible ici.
Note 2: En langue francaise cf. MAISON R., « A la Cour internationale de justice, un revers pour Israël« , Orient XXI, 30 janvier 2024. Texte disponible ici. Et notre article BOEGLIN N., « Gaza / Israël : quelques réflexions concernant l’ordonnance de la Cour Internationale de Justice (CIJ)« , site de la Société Québécoise pour le Droit International (SQDI), 2 février 2024. Texte disponible ici; ainsi qu´en langue espagnole BOEGLIN N., « Gaza / Israel: a propósito de la ordenanza de la Corte Internacional de Justicia (CIJ)« , 26 janvier 2024. Texte disponible ici.
Note 3: Cf. ATT Expert Group, Domestic accountability for international arms transfers: Law, policy and practice, Saferworld, 2021, 54 pages. Texte disponible en faisant clic sur « donwload » ici. Cf. aussi sur les régulations de l’Union Europénne (UE) dans ce domaine précis MERLIN J.-B., « Les contentieux nationaux relatifs à la vente interétatique d’armes« , Vol. 65 Annuaire Français de Droit International, Année (2019) pp.71-103. Texte intégral de cet artícle disponible ici. Au Canada, et le débat sur l’illégalité des tranferts d’armes en direction de la coalition menée par l´Arabie Saoudite dans la guerre civile au Yemen, cf. AZAROVA V., DAVID E., TURP D., WOOD B., Opinion on the International Legality of Arms Transfers to Saudi Arabia, the United Arab Emirates and Other Members of the Coalition Militarily Involved in Yemen, IPIS, 102 pages, décembre 2019. Texte intégral disponible ici.
Note 4: Cf. MAUREL R., « Afrique du Sud contre Israël : retour sur l’ordonnance de la Cour internationale de justice« , Le Club des Juristes, édition du 6 févier 2024, Texte disponible ici.
Note 5: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: Consejo de Seguridad adopta una resolución exigiendo cese al fuego », 25 mars 2024. Texte disponible ici.
Note 6: Cf. ASTROZA P., « En Derecho las cosas son lo que son y no lo que se dice que son« , Agenda Pública, 1er avril 2024. Texte disponible ici.
Note 7: Cf. BOEGLIN N., « Gaza / Israel: Gaza / Israel: Corte Internacional de Justicia (CIJ) fija audiencias en demanda de Nicaragua contra Alemania« , 15 mars 2024. Texte disponible ici.