Le texte ci-dessous est basé sur une conférence du professeur Julien Pieret de l’Université Libre de Bruxelles, le 29 septembre 2023, et lié à la situation juridique et procédurale actuelle du processus d’extradition de Julian Assange par le Royaume-Uni vers les États-Unis. Il s’agit d’une synthèse sommaire à caractère subjectif (je suis docteur en droit) et non d’un avis d’un service ou d’un bureau juridique en charge de la défense de J. Assange. Elle a donc valeur d’opinion personnelle et aide peut-être à comprendre la complexité du sujet et de la problématique abordée. Et peut-être aussi, en partie, pourquoi le processus d’extradition s’éternise si longtemps.

1) La CourEDH (Cour européenne des droits de l’homme), basée à Strasbourg, et dont les principales fonctions incluent le contrôle du respect de la ConvEDH (Convention européenne des droits de l’homme), a comme l’une de ses caractéristiques les plus pertinentes, la possibilité d’admettre des recours par des individus contre des États, qui ont signé et ratifié la validité de ladite Convention sur leur territoire, pour violation des droits et libertés prévus dans ladite Convention. Et c’est en principe le cas du Royaume-Uni.

2) Le règlement de la CourEDH comporte un article 39 relatif aux « mesures provisoires » qui pourraient servir à paralyser le processus d’extradition pendant que la Cour européenne des droits de l’homme se prononce sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire sur l’éventuelle violation des droits et libertés envisagés dans la ConvEDH.

Cependant, le professeur Pieret évoque le cas de l’État belge lui-même qui n’a pas respecté le mandat de ladite Cour en application dudit article. C’est le cas Nizar Trabelsi qui, malgré la résolution de la CourEDH, a été extradé vers les États-Unis, où après dix ans d’emprisonnement dans des conditions tout à fait déplorables, il a été acquitté des charges portées contre lui. Malgré cela, l’État belge l’ignore complètement et n’exige pas son retour. C’est pourquoi il reste incarcéré de manière incompréhensible et arbitraire aux États-Unis.

De même, le Royaume-Uni a montré dans le passé son peu de sympathie envers ladite Cour bien qu’il ait accepté sa juridiction sur son territoire, tout comme l’État belge. Ainsi, dans le cas où ledit Tribunal ordonnerait la suspension de l’extradition sur base de l’article 39, on pourrait supposer que le Royaume-Uni désobéisse ouvertement audit sursis provisoire à l’extradition malgré qu’il soit formellement obligé de s’y conformer.

3) C’est pourquoi Il faut se garder de l’idéalisation du droit et des lois. Par exemple, malgré des raisons juridiques fondées et des lois en sa faveur, il peut arriver – et cela semble arriver dans le cas de Julian Assange – que ceux qui sont obligés de se conformer à ces lois (en l’occurrence les États qui ont ratifié la ConvEDH) refusent de le faire, entre autres parce que ladite Cour n’a pas la force coercitive (une police judiciaire, par exemple) pour contraindre lesdits États à se conformer aux normes et lois internationales de la même manière qu’un État souverain le fait à l’égard de ses citoyens.

C’est pourquoi il faut partir du principe que le Droit et les lois, bien qu’étant en vigueur, et donc que les États soient formellement obligés de s’y conformer, ont une efficacité limitée, en fonction du contexte politique, et dans la sphère internationale de la situation géopolitique, et surtout s’il existe ou non une réelle force disponible pour les exécuter et les faire respecter.

4) Néanmoins, on peut espérer que la CourEDH admettra tout d’abord le cas de J. Assange, puis procédera dans son cas à l’application de l’article susmentionné 39 de son règlement, relatif aux mesures provisoires, avec pour conséquence l’arrêt du processus d’extradition.

Le professeur Pieret souligne cet aspect comme particulièrement difficile pour la CourEDH. Concernant cet aspect, elle se montre généralement réticente et « timide » quant à son application.

Mais ce que souhaitent également les avocats concernés, c’est que la CourEDH se prononce sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire qu’elle confirme que les libertés et droits fondamentaux prévus dans la ConvEDH ont été violés, par exemple :

- des garanties relatives à la liberté de la presse et de l’information,
- à une procédure judiciaire juste et équitable, ainsi qu’en ce qui concerne la procédure d’extradition,
- l’interdiction de la torture (y compris psychologique) et des traitements inhumains et dégradants,
- etc.

Et c’est là que la CourEDH compromettrait son prestige – comme l’explique le professeur Pieret – c’est-à-dire le Prestige qu’elle a acquis au fil des décennies en tant que garant des libertés et droits fondamentaux prévus par la ConvEDH. Une résolution favorable à J. Assange confirmerait que la CourEDH est le ferme garant de la ConvEDH contre les États et leurs tribunaux nationaux qui ne la respecteraient pas.

Au contraire, une non-admission de son cas ou une résolution défavorable à J. Assange représenterait un revers notable et annulerait toute la jurisprudence menée par ladite Cour depuis des décennies et permettrait à d’autres États de violer plus facilement la ConvEDH et de se comporter de la même manière arbitraire que le Royaume-Uni sur cette question.

5) Le Professeur Pieret explique également que si J. Assange est extradé vers les EE.UU., ledit État ne reconnaît ni la ConvEDH ni la compétence de la CourEDH en la matière pour juger si les libertés et droits fondamentaux ont été respectés ou non. Son équivalent sur le continent américain, la Convention américaine relative aux droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, ne sont pas reconnus non plus par les EE.UU.

Par conséquent, ledit État agira de manière aussi arbitraire, voire plus, si possible, que le Royaume-Uni à l’égard de J. Assange. Cependant, comme cela a été souligné, un arrêt favorable de la CourEDH en faveur de J. Assange soulignerait encore davantage la réticence de ces États à respecter leurs obligations en matière de droit international et notamment en matière de libertés et droits fondamentaux malgré la proclamation de « l’État de droit ».

6) En conclusion, je voudrais souligner que le but de la rédaction de ce texte est avant tout de souligner où se situent les points forts de la défense d’Assange d’un point de vue juridique et procédural aux yeux de l’auteur, c’est-à-dire qu’il existe des raisons solides et des arguments juridiques fondés, et pas seulement éthiques, en leur faveur.

On pourrait dire que les obstacles à sa libération indiqués dans ce texte sont dus davantage à des raisons autres que juridiques, c’est-à-dire à la volonté puissante et perverse de ceux qui s’estiment lésés par les révélations de Wikileaks, qui sont d’ailleurs vraies. Assange n’a pas menti, mais a exercé le droit de l’homme (article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (*) de faire connaître à la communauté internationale des informations qui nous touchent profondément et dont la connaissance nous est privée par les les dirigeants d’États hostiles à la révélation de ces vérités.

Quoi qu’il en soit, malgré les obstacles évoqués, les connaître et les identifier devrait bien nous servir et être utile pour ne pas nous décourager ou être un obstacle au maintien, mais plutôt au renforcement, de notre conviction, de notre capacité et de notre aptitude à soutenir la cause d’Assange non seulement dans le domaine juridique. Nous devons essayer de faire prendre conscience au plus grand nombre des énormes injustices et de l’arbitraire commis à l’égard de Julien et de tout ce que nous gagnerions tous à sa libération. Sa liberté est la nôtre.

(*) Déclaration universelle des droits de l’homme, article 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.