Pueblo a Pueblo (De peuple à peuple) est une organisation populaire de production, distribution et consommation d’aliments, qui met en relation les producteurs agricoles et les citadins. Ce faisant, le projet rompt avec le despotisme du marché capitaliste. Dans les parties I, II et III de cet article en quatre parties de la série Communal Resistance, les porte-parole de Pueblo a Pueblo parlent de la méthode et de l’histoire de leur organisation et de la transition vers un modèle souverain et agroécologique. Dans cette dernière partie de la série, nous découvrons l’effort de l’organisation pour distribuer des aliments dans les écoles et ses liens avec la Commune de Chávez et Bolívar.

Par Cira Pascual Marquina et Chris Gilbert – Venezuelanalysis

Photos : Antonio Bracamonte est producteur à Carache et porte-parole de la Commune Chávez et Bolívar | Carmen Marquina est productrice à Carache et porte-parole de la Commune Chávez et Bolívar | Gabriel Gil est membre de l’équipe de coordination de Pueblo a Pueblo | Italo Román est producteur à Carache | Laura Lorenzo est coordinatrice nationale de Pueblo a Pueblo (Voces Urgentes)

Des fruits et légumes pour les écoles

Après une rencontre en 2021 avec le président Maduro, Pueblo a Pueblo est devenu une source de repas frais pour les écoles vénézuéliennes.

Laura Lorenzo : En ce moment même, nous distribuons de la nourriture à près de 300 écoles, leur fournissant ainsi les produits dont elles ont besoin pour préparer des repas équilibrés pour quelque 100 000 enfants. C’est particulièrement important à un moment où le blocus occidental a affecté la nutrition des enfants. Pueblo a Pueblo le fait sans intermédiaire et offre un accompagnement sur place pour diversifier et équilibrer les repas scolaires.

Notre initiative de distribution de nourriture dans les écoles fonctionne actuellement dans sept États [Caracas, Miranda, Lara, Anzoategui, Trujillo, Barinas et Portuguesa]. Bien qu’elle soit gérée en collaboration avec le programme d’alimentation scolaire du gouvernement [connu sous le nom de PAE], notre travail dans ce domaine obéit au principe de base de Pueblo a Pueblo : travailler avec des communautés organisées à la fois sur la production et la consommation d’aliments.
Lorsque nous commençons à travailler avec une nouvelle école, nous ne nous contentons pas de livrer des produits. Nous rencontrons également la communauté, nous l’impliquons dans le processus et nous travaillons avec ceux qui cuisinent, afin que les repas soient équilibrés et sains. Enfin, nous contribuons à la mise en place d’un réseau de livraison de fruits et légumes provenant de producteurs locaux, encourageant ainsi la consommation de produits locaux.

DÉBUTS ET DÉVELOPPEMENT

Laura Lorenzo : La distribution de produits dans les écoles remonte aux débuts de Pueblo a Pueblo. Nous l’avons d’abord fait ici, à Carache [État de Trujillo]. Nous avons commencé par l’école Mesa Arriba et, vers 2017, nous avons étendu notre action à 46 écoles dans le cadre d’un accord avec la Corporation nationale d’alimentation scolaire (CNAE). En d’autres termes, nous avons approvisionné les 35 écoles de Carache plus 11 à Caracas, y compris les écoles des barrios 23 de Enero et San Agustín.

En août 2021, après la publication d’un article sur Pueblo a Pueblo, le président Maduro nous a convoqués à une réunion. Il nous a demandé de fournir de la nourriture à 600 écoles. Plus important encore, le président a demandé que la méthodologie de Pueblo a Pueblo soit « copiée » dans les initiatives de distribution de nourriture promues par le gouvernement. La nouvelle phase a débuté en novembre 2021, après avoir surmonté de nombreux obstacles administratifs et bureaucratiques. En effet, le ministère de l’Alimentation, qui est chargé de la passation des contrats avec les « fournisseurs », ne passe pas de contrat avec des entreprises communales ou d’autres entités non privées.

La demande initiale du Président Maduro était de faire appel à Pueblo a Pueblo pour distribuer 600 tonnes de produits aux écoles. Cependant, la première « commande » du ministère de l’alimentation était inférieure à 300 tonnes, et nous en sommes actuellement à 100 tonnes de produits pour 100 000 enfants. Néanmoins, nous avons la capacité de distribuer 600 tonnes et nous sommes sûrs que nous finirons par distribuer cette quantité. Notre travail avec les écoles permet non seulement de fournir des aliments sains aux enfants tout en bénéficiant aux producteurs, mais il contribue également à renforcer les organisations de base autour des centres éducatifs.

Gabriel Gil : Notre travail dans les écoles n’a pas été facile parce qu’il y a beaucoup d’obstacles bureaucratiques. En outre, une poignée de conglomérats alimentaires contrôle la majeure partie de la distribution des aliments dans les 22 000 écoles réparties sur le territoire national. Quoi qu’il en soit, il en a toujours été ainsi : le mouvement populaire doit se faire de la place pour que les alternatives de base puissent se développer.

Photo : distribution de nourriture à l’école Pueblo a Pueblo (Voces Urgentes)

La commune « Chávez et Bolívar »

Située sur les pentes de Carache, dans l’État de Trujillo, siège de De Pueblo a Pueblo, cette commune (autogouvernement populaire) dispose d’un réseau de champs productifs et, surtout, regroupe 788 familles paysannes.

Antonio Bracamonte : La commune est l’héritage le plus important de Chávez, car elle nous rassemble et ravive l’esprit de communauté, de coopération et de solidarité que le capitalisme arrache aux travailleurs. Lorsque le Comandante a commencé à parler de communes, Chávez et Bolívar a été l’une des premières communes à s’organiser, bien que notre enregistrement « formel » ait eu lieu plus tard, en 2013. Bien sûr, la construction d’une commune n’est pas toujours un processus linéaire. Nous avons connu des avancées et des reculs au fil des ans. Plus récemment, en 2019, nous avons reçu un camion du gouvernement, ce qui est fondamental pour acheminer les récoltes hors de la vallée. Cependant, la commune a perdu le contrôle direct du véhicule : un « mauvais acteur » institutionnel a conspiré contre nous. Aujourd’hui, nous travaillons d’arrache-pied pour récupérer le camion, et tout ce problème sera bientôt résolu. La justice l’emportera !
Italo Román : Hugo Chávez et Simón Bolívar ont fait de grands pas vers la souveraineté, et c’est pourquoi notre commune porte leur nom. Pour moi, la commune est la forme la plus élevée de gouvernement, car c’est là que nous, le peuple, décidons de ce qui doit être fait et de la manière de le faire. Dans une commune, c’est la communauté organisée – et non les patrons, les maires ou les gouverneurs – qui est aux commandes et qui fixe les règles du jeu. De plus, notre expérience montre que les communes sont de bons mécanismes pour résoudre les problèmes plus efficacement. Il y a quelque temps, nous avons obtenu des fonds pour réparer la route de Caingó. En nous appuyant sur l’autogestion et l’autoconstruction, nous avons pu réparer deux fois plus de route que prévu. À peu près au même moment, nous avons obtenu des ressources pour construire deux maisons pour des familles vulnérables, et nous avons pu étendre les fonds et en construire quatre à la place. La commune a été bonne pour nous et nous sommes bons pour la commune !

Carmen Marquina : Je suis l’une des fondatrices de la commune et je me souviens que les premières années ont été à la fois difficiles et merveilleuses. Nous étions habitués à prendre des décisions en assemblée, mais il n’était pas facile de s’y retrouver dans les procédures administratives. Avec le temps, nous avons appris les tenants et les aboutissants de ces processus et, entre autres, notre conseil communal a obtenu un tracteur, qui est un moyen de production important pour la communauté. Mais le plus difficile, c’est de garder les gens motivés. Au début, certains ne voulaient pas s’engager dans la commune, mais cela a fini par changer… et puis, lorsque le blocus est venu nous frapper, la commune a ralenti, pour repartir de plus belle ces derniers mois. A la Commune Chávez et Bolívar, quand nous trébuchons, nous nous relevons et nous allons de l’avant !

Antonio Bracamonte : Nous avons récemment procédé à des élections pour choisir les nouveaux porte-parole des conseils communaux.Nous sommes en règle avec la loi [rires]. Le processus n’a pas été facile car la perte du camion a été un coup moral pour la commune, mais nous avons tiré des leçons et je ne doute pas que nous nous relèverons et que nous irons de l’avant à nouveau.

CIRCUIT ÉCONOMIQUE COMMUNAL

Antonio Bracamonte : Les « circuits économiques communaux » sont une initiative relativement récente [2022] du ministère des communes qui encourage la production de biens spécifiques – des produits frais au café et à la farine de maïs – dans les territoires communaux.

Carache est une région très productive. Aujourd’hui, bien que nous fonctionnions à 50 % de notre capacité de production [en raison du blocus occidental], environ 40 tonnes de produits frais quittent notre commune chaque mois. Une partie est destinée au marché par l’intermédiaire de Cecosesola [un réseau de coopératives] ; une autre partie est destinée aux écoles et aux ménages populaires par l’intermédiaire de Pueblo a Pueblo ; le reste est vendu à des intermédiaires. Le circuit est un mécanisme supplémentaire pour promouvoir la production, tout en veillant à ce qu’une partie du surplus revienne à la commune. Lors de nos réunions avec les représentants du ministère, nous avons déterminé que nous pouvions produire 27 cultures stratégiques – des tomates aux oignons et tout ce qui se trouve entre les deux – sur notre territoire. Cependant, nous avons besoin de ressources pour y parvenir, en particulier de semences et d’intrants. Jusqu’à présent, nous avons reçu un petit crédit non remboursable et les producteurs des sept conseils communaux ont reçu une quantité modérée de semences. Cela nous aidera à augmenter la production, bien que lentement.

Le circuit communal ouvrira également de nouvelles voies de distribution. Actuellement, la commune, en tant qu’entité, ne peut pas vendre légalement sa production, car des obstacles administratifs et bureaucratiques l’empêchent de le faire. L’objectif est d’éliminer ces obstacles et de promouvoir ainsi la distribution communale ici et dans tout le pays. L’idée du Circuit Communal est similaire à la philosophie de Pueblo a Pueblo : les deux visent à supprimer la logique du marché et à remettre l’accent sur le monde de la production. En fait, Pueblo a Pueblo fait partie de ce circuit économique. Bien sûr, le Circuit Communal est nouveau ici, et il y a des processus qui doivent être améliorés. Chaque territoire a ses particularités, ses cycles de production et ses besoins. De plus, le financement est faible et n’arrive qu’une fois par an. L’année dernière, nous avons reçu 13 000 dollars en bolivares, mais lorsque nous avons pu y accéder, la somme était tombée à 4 000 dollars en raison de la dévaluation. Nous comprenons les difficultés économiques du gouvernement et nous sommes reconnaissants pour le soutien, mais les processus doivent être rationalisés. Néanmoins, nos espoirs restent grands. Une fois que nous aurons les ressources et les infrastructures nécessaires, nous pourrons augmenter notre production, ce qui sera bénéfique pour la commune et pour le pays.

Tout comme Pueblo a Pueblo, le circuit vise à supprimer les intermédiaires.Une partie de la production ira à d’autres communes par le biais du troc, mais nous voulons aussi approvisionner les écoles et les hôpitaux. Enfin, il y a un obstacle qui découle du blocus économique des USA et de l’UE. Le gouvernement doit répondre à l’urgence suivante : il n’est pas facile d’obtenir du carburant ici. L’une de nos demandes est donc que les petits et moyens producteurs – ceux qui nourrissent réellement le pays – aient accès aux quotas de carburant. Bien entendu, cette demande va au-delà de l’initiative du circuit économique communal et du ministère des communes. Cependant, pour que notre production arrive dans les assiettes des Vénézuéliens, nous avons besoin de carburant.
Dans l’ensemble, le circuit économique communal est une initiative bienvenue. Il permettra de résoudre certains des problèmes auxquels nous sommes confrontés en tant que paysans dans un pays en état de siège, mais il encouragera également l’organisation communale.D’ailleurs, la réactivation actuelle de la Commune de Chávez et Bolívar est liée à l’initiative du Circuit.

Photo : Une assemblée du Circuit économique communal à Carache (Voces Urgentes)

Chávez et les paysans

La loi des terres d’Hugo Chávez [2001] a ouvert la voie à une réforme rurale radicale. Pour conclure cette série d’articles, les porte-parole de Pueblo a Pueblo nous parlent de l’héritage de Chávez dans le campo.
Laura Lorenzo : Chávez a rendu visibles ceux qui étaient invisibles, en particulier les paysans. Le droit à la terre était au cœur de son programme, et il l’a fait alors que tous les pouvoirs politiques et économiques au Venezuela et à l’étranger s’opposaient à une redistribution équitable des terres.

Si vous vous souvenez bien, de nombreux programmes télévisés où Chavez expliquait les politiques publiques, les rouages économiques, les relations internationales, etc…(Aló Presidente) se sont déroulés à la campagne, dans des familles de paysans qui travaillaient dur pour produire. La révolution a donné de nombreux outils aux paysans – de la terre aux semences en passant par les tracteurs et l’enseignement technique – et Chávez lui-même a éduqué les producteurs sur les questions politiques et législatives. En ce qui concerne le campagne, il n’est pas exagéré de dire que Chávez marque un avant et un après.

Antonio Bracamonte : Le « Plan de la Patrie » est notre boussole. Chávez y a tracé une feuille de route pour la souveraineté et le socialisme, et il a répondu avec beaucoup de précision aux besoins des paysans. Il est intéressant de constater que, même si plus de dix ans se sont écoulés depuis la publication du plan – et que de nombreux malheurs sont survenus, comme la mort de Chávez, la guerre économique et le blocus -, lorsqu’on prend le plan et qu’on le lit, on s’aperçoit que le modèle qu’il a développé est toujours d’actualité. Le chemin est long et l’ennemi a fait sa part pour ralentir notre révolution, mais je ne doute pas que nous réussirons tôt ou tard !

 

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

Révolution dans la révolution au Venezuela : le peuple organise la souveraineté alimentaire

L’article original est accessible ici