« Quand la violence provoque le silence, alors nous faisons quelque chose de mal », dit une chanson des Cranberries. C’est la première chose qui m’est venue à l’esprit lorsque j’ai vu les chiffres de deux études publiées lundi 12 juin, sur les dépenses en armements (SIPRI)[1] et les dépenses en armes nucléaires (ICAN)[2], alors que je suivais la conférence internationale sur la paix en Ukraine, organisée par des organisations internationales lauréates et non lauréates du prix Nobel de la paix, à Vienne, les 10 et 11 juin.

Par Nikos Stergiou*

Lors de la conférence de Vienne, 300 représentants d’organisations et de mouvements de 32 pays se sont réunis. La conférence a été préparée par des organisations internationales telles que le Bureau international de la paix (prix Nobel de la paix 1910), la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF) (prix Nobel de la paix 1931 et 1946), CODEPINK et Transform ! Europe. J’ai eu l’honneur de représenter la Grèce avec ‘Monde sans guerres et sans violence’, la branche grecque de l’International Physicians for the Prevention of Nuclear War – IPPNW (médecins internationaux pour la prévention de la guerre nucléaire) (Prix Nobel de la Paix 1984), il y avait aussi le bureau grec des Amis de la Nature et OIKOPOLIS. La déclaration finale appelle à l’ouverture immédiate de négociations,  à un cessez-le-feu et  à une mobilisation mondiale entre le 30/9 [2023] et le 8/10 [2023].[3]

Le sommet de Vienne a été pris pour cible par ceux qui souhaitent poursuivre la guerre avec tous les gains économiques et politiques qu’elle implique. En particulier, l’ambassade d’Ukraine a tenu une conférence de presse deux jours avant le sommet, accusant les organisateurs et les participants d’être des partisans de Poutine et de la Russie. En conséquence, le lieu du sommet a été changé et nous avons reçu des appels téléphoniques menaçants au nouveau lieu, de sorte que, pour des raisons de sécurité, les travaux d’ouverture ont été retardés de trois heures. Les sites web du Sommet et de l’IPB ont été attaqués par des pirates informatiques et ne fonctionnent pas à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Le ciblage d’organisations et d’individus luttant pour la paix, la non-violence et le désarmement nucléaire n’est pas nouveau. Je vous rappelle qu’en Grèce, Nikos Nikiforidis a été exécuté par l’État grec en 1951 pour avoir promu le document de Stockholm (sur le désarmement nucléaire) et « pour avoir cherché à mettre en œuvre des idées subversives en recueillant des signatures en faveur de la paix ». Et il n’était pas le seul, ni en Grèce, ni au niveau international. L’histoire semble se répéter en Europe et nous assistons à une nouvelle forme de « guerre froide », avec de nouvelles caractéristiques : Les États-Unis sont en train d’OTANiser l’Europe, les conditions sociales et sociétales se dégradent pour une partie de plus en plus importante de la population, tandis que les droits sociaux et les droits humains, conquis au prix de nombreuses luttes, sont constamment mis à mal.

Toutefois, le sommet n’a pas seulement entendu des voix européennes, et c’est ce qui fait sa richesse. Des représentants du Sud géographique et de l’Asie ont fait part de leurs perspectives à travers leurs propres expériences de luttes de décolonisation, résistant aujourd’hui aux méthodes des politiques néocoloniales : sociétés multinationales, liens coercitifs avec les superpuissances et dettes colossales. Un point important a été la mise en évidence de la contribution des armements militaires au changement climatique, avec la fameuse « empreinte écologique » (ecological “bootprint”)[4].(N.d.T. le terme utilisé pour empreinte, “bootprint” au lieu de “footprint” a une connotation militaire). Parmi les faits marquants du sommet mentionnés par les orateurs, on retiendra les suivants :

– « Les États-Unis ont mis un terme aux processus de signature de cessez-le-feu et de négociations entre l’Ukraine et la Russie en mars 2022. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN était prévue depuis 1992 » (Jeffrey Sachs, universitaire, États-Unis).

– « La guerre est présentée comme patriotique, tandis que la paix est présentée comme antinationale » et « le Sud géographique souhaite désormais être un partenaire égal plutôt qu’un allié unilatéral et propose une coopération internationale plutôt qu’une concurrence internationale » (Anuradha Chenoy, universitaire, Inde).

– « La guerre sabote la rétroaction complémentaire de la différence, détruit la vie, c’est la culture de la mort » (David Choquehuanca, vice-président de la Bolivie).

– « Les déchets radioactifs contenant du plutonium provenant des centrales nucléaires de la mer Baltique équivalent à 10 000 bombes de type Hiroshima et sont répartis entre 2/3 des juridictions de l’OTAN et 1/3 des juridictions de la Russie et de la Biélorussie. » (Oleg Bodrov, scientifique nucléaire, Russie).

– « Seuls les bellicistes désirent la guerre, car la vie humaine n’a aucune valeur à leurs yeux. Ceux qui refusent de prendre les armes et de se battre, ceux qui souhaitent la paix, sont les voix de la raison et de la conscience. La guerre est un crime par définition. La non-violence est l’arme ultime contre la violence » (Yurii Sheliazhenko – objecteur de conscience ukrainien).

La guerre en Ukraine a remis sur le devant de la scène deux questions existentielles très importantes : le danger posé par les centrales nucléaires et le danger encore plus grand des armes nucléaires. Comme nous l’avons vu au début de cet article, les enquêtes du SIPRI et de l’ICAN montrent toutes deux une augmentation des dépenses en armes nucléaires des neuf pays qui en possèdent, mais aussi une augmentation du nombre d’ogives nucléaires en état de préparation, c’est-à-dire prêtes à être lancées/utilisées immédiatement. Concrètement, ces conclusions signifient que l’industrie militaire a connu une nouvelle année de croissance des bénéfices, que la création de centrales nucléaires comme sources de matières radioactives à usage militaire bénéficie d’un soutien accru et que la planète risque encore plus de revenir à l’ère des organismes unicellulaires. Mais la paix est dangereuse…

La renaissance d’un mouvement pacifiste, non-violent et antinucléaire au niveau local et international n’est toutefois pas une utopie. Le traité d’interdiction des armes nucléaires de l’ONU a déjà montré la voie, car il a été mobilisé par les peuples, et non par les gouvernements, et 68 pays l’ont ratifié et 24 autres l’ont signé, dont 3 membres de l’UE. 65 municipalités grecques et le KEDE (union centrale des municipalités de Grèce) ont publié des résolutions soutenant ce traité et appelant le gouvernement grec à le signer, comme l’ont fait plus de 500 villes dans le monde. [5]

Cependant, pour relancer ce mouvement, il est utile de réactiver la conscience du « public », de développer la solidarité antimilitariste et de réaliser le lien intersectoriel que les dépenses d’armement ont avec les questions de destruction de l’environnement, de réfugiés, de misère économique, de dégradation de la santé publique et de l’éducation, de discrimination sexuelle, de patriarcat et de restriction des libertés sociales et des droits humains. Par exemple, si le ministère de la Défense des États-Unis était un pays, il serait le cinquième pollueur de la planète. Ajoutez-y le reste de l’armée et vous aurez une meilleure idée de ce bourbier qui épuise les ressources humaines et naturelles au nom de la « stabilité » tout en déstabilisant tout ce qu’il « touche ».

Le danger de la Paix réside dans la liberté, dans le désir de vie et d’égalité de toutes les personnes. C’est une bombe à retardement entre les mains de l’industrie militaire qu’elle ne peut ni comprendre ni désarmer. C’est la menace d’une société non-violente. Pour empêcher le silence de la violence, nous devons mobiliser davantage les voix de la paix.


*Nikos Stergiou est président de la branche grecque de l’organisation « Monde sans guerre et sans violence ».

 

[1] https://www.pressenza.com/el/2023/06/sipri-ta-krati-ependuoun-se-purinika-oplostasia/

[2] https://www.icanw.org/2022_global_nuclear_spending_article

[3] https://demilitarize.org/media_news/international-summit-for-peace-in-ukraine/

[4] https://www.pressenza.com/el/2019/12/enas-deinosavros-sto-dwmatio-tis-klimatikis-allagis/

[5] https://cities.icanw.org/

 

Fotos: Nikos Stergiou

Traduit de l’anglais par Evelyn Tischer