Nous l’appellerons Camille. Avec un groupe d’activistes belges, ils sont partis pour soutenir la manifestation contre les méga-bassines d’eau à Soline.  Il nous raconte la manifestation et, surtout, l’extrême violence policière face à une lutte légitime.  

Bonjour Camille, tu reviens de Sainte-Soline, près de Poitiers où tu as passé le week-end en compagnie de paysans français et internationaux.  L’objectif de la manifestation et de l’évènement était de dénoncer la politique de l’eau actuelle.

Peux-tu te présenter et nous expliquer le sens de ta présence à Poitiers ?  Qu’espérais-tu (vous) de cette action ?

Cela fait quelques années que je milite dans le milieu agricole en Belgique, pour une agriculture respectueuse de la terre, pour une alimentation plus saine et locale, pour la rétribution juste des paysans locaux et bien sûr, contre l’agro-business qui détruit nos ressources naturelles. La lutte contre les méga-bassines fait partie de la lutte agricole en France et l’agro-business.  En solidarité paysanne, cela m’a semblé important d’y aller.  De plus, j’étais intéressé de mieux connaître les pratiques et modes d’actions des activistes français.

Le but de l’action était de détruire la bassine, tout du moins, la rendre dysfonctionnelle ; d’en arrêter sa construction (celle-ci n’est pas encore opérationnelle).

Comment se sont déroulés les évènements ?

Au départ, nous avions prévu de partir de Bruxelles avec un car.  Les organisateurs nous l’ont déconseillé dès lors que les bus sont systématiquement bloqués par la police (parfois pendant toute une journée, rendant la participation à la manifestation impossible).  Nous sommes donc partis à une quarantaine de Bruxelles, en convois de voitures.  Sur le chemin, nous nous sommes retrouvés environ à 80 de Belgique.

L’association « Les soulèvements de la Terre » étaient les organisateurs.

À la dernière minute, nous avons reçu l’adresse du campement où nous allions passer la nuit et, par Telegram, un réseau de contact informait en situation réelle où se trouvait la police.

Sur la carte, en temps réel, on peut voir en bleu foncé, les barrages policiers et en vert les passages non contrôlés.

Grâce à l’application, nous avons pu esquiver une centaine de barrages – à chaque barrage, au moins 5 voitures de police bloquaient la route, avec fouilles systématiques et amendes s’il manquait le triangle et les chasubles fluo ; contrôlé à l’un de ces barrages, un ami suisse a été arrêté et mis au cachot pendant deux jours car il était « interdit de territoire » alors qu’il n’était pas au courant !

Nous sommes arrivés au campement vendredi  à 1 heure du matin.

La terre sur laquelle se trouvait le campement appartient à un agriculteur : à cause des méga-bassines qui puisent dans les nappes phréatiques, les agriculteurs n’ont plus d’eau.

Vers 2 heures du matin, dodo et à 7h30, réveil pour pouvoir partir à 8h.  Finalement, le départ s’organise à 10h, en trois convois à pied vers la bassine (une dizaine de kilomètres).  Au moins trois mille personnes se trouvaient au campement et plus de 20 000 personnes ont participé à l’action.

Après avoir marché, nous sommes arrivés aux alentours de la bassine. Des cordons de policiers nous attendaient, avec casques et boucliers, derrière des barrières anti-émeutes.  Des hélicoptères nous survolaient.  Impressionnant, mais nous étions nombreux.

À notre arrivée, le premier « cordon » de manifestants était déjà arrivé ; il s’agissait d’un  groupe qui avait pour but d’apaiser et de négocier.  De loin, nous avons vu les nuages de gaz … ils avaient déjà été pris sous les bombes lacrymogènes.

Notre groupe s’est alors avancé vers une autre zone, tentant de forcer le passage. Nous avons été pris par les bombes, les grenades de désencerclement(1). Ces dernières éclatent en provoquant des explosions de sons et envoient des projectiles.  Tout cela dans le but de disperser les manifestants.

Une vraie boucherie !!! Nous étions spectateurs des manifestants de « première ligne » avec boucliers et protections,  qui essaient de forcer le passage et se faisaient tirer dessus.

J’ai vu des gens blessés à la tête, écroulés sur le sol, qui subissaient encore des tirs policiers, les « street-medic » (médecins sur place) appelés de tous côtés… Une voiture de police a flambé, ce qui a donné de l’espoir pour potentiellement rentrer.  Sans succès.  La police n’arrêtait pas de tirer sur les gens.

Ce bouchon de bombe lacrymogène explose avec la bombe, se retrouve projeté sur le visage de l’assaillant, le blessant gravement.

Tout à coup, une dizaine de Quad (motos à 4 roues) ont surgi, avec un conducteur et un passager muni d’une arme  destiné à tirer sur tout le monde. Malgré les Quad, les manifestants ne se sont pas dispersés.  Les organisateurs ont alors proposé une pause pour se restaurer avant de reprendre. Cependant, au moment de retourner sur le terrain, les street-medic ont prévenus que,  submergés par les blessés et sans ressources, ils ne pourraient plus assurer de nouveaux soins. Les organisateurs ont suivi leur demande et nous sommes rentrés au campement, en cortège.

Dans les grenades, de la peinture invisible était diffusée. Ainsi, après la manifestation, les policiers contrôlaient les voitures et pouvaient sanctionner par une amende toute personne ayant été touchée par la peinture.

Vers 18h30, retour au campement et départ en convoi vers Melle.

Samedi soir, le petit village de Melle résonnait de la musique des  concerts et dimanche, le cinéma et lieux culturels acceuillaient conférences, débats et témoignages.  L’appel était international et les témoignages, documents audiovisuels permettaient de comprendre l’ampleur de la situation partout dans le monde.

Le maire de Melle soutenait l’action ; pourtant, la préfecture n’a pas hésité à passer au-dessus de son autorité et envoyer la police sur place. Ce déferlement policier de tous les instants m’a vraiment choqué ; c’était démesuré et dangereux.

Que retiens-tu de cette expérience ?

  1. Déjà, il faut dénoncer l’énergie policière et l’argent dépensé, pour protéger un bien privé !
  2. Toute cette violence aurait pu être évitée s’il n’y avait pas eu l’intervention de la police. Je n’ai jamais vécu de ma vie une telle violence policière.  J’ai vu ce jeune allongé par terre, recevant une grenade, d’autres blessés par les bouchons des bombes lacrymogènes. Ces explosions de tous côtés…  En Belgique, il y a très peu de confrontation avec la police.
  3. J’ai été touché de constater la solidarité entre manifestants, pourtant avec des modes d’action parfois très différents. Des personnes plus âgées, pacifistes, se retrouvaient avec des jeunes plus violents, prêts à faire flamber les voitures. Sans prôner l’usage de la force, tous se retrouvent autour de la nécessité de mettre des moyens en action pour changer le système injuste (ici, les bassines). L’organisation était super efficace ; avec l’application Telegram, avec les Street-Medics, avec le soutien de personnes ressources, concernées par le sujet.

Une politique respectueuse du travail de la terre et des paysans, ce serait quoi ? Peux-tu nous donner des exemples d’actions concrètes ou de perspectives positives mises en place ? Que peut-on faire en tant que citoyen lambda ?

La sécurité sociale alimentaire : le principe est le même que la sécurité hospitalière ; il s’agit d’un accès à tous d’une alimentation saine et locale. Aujourd’hui, en Belgique et en France, des groupes de travail se penchent sur cette idée.  La Confédération Paysanne française y contribue activement.

Dans cette action à Poitiers, de nombreux paysans étaient présents.  Une action solidaire donc mais aussi légitimisée puisque ce sont les agriculteurs qui manifestent alors que les bassines sont soi-disant pour eux.  En réalité, c’est un mensonge : ces bassines ne servent que pour la culture intensive du maïs et la nourriture pour animaux, destinée à l’exportation.  Donc, pour l’agro-business et non pour l’agriculture locale.

À Bruxelles, des fermes locales proposent des Paniers à prix solidaires pour les quartiers moins favorisés.

Tout citoyen peut déjà s’informer autrement que par les informations venues de l’État.

J’invite à venir à une manifestation, parler avec les agriculteurs et ainsi, constater la manipulation de l’information officielle.

Organiser quoi que ce soit qui permette de retrouver la solidarité entre les gens, l’esprit communautaire.  Et ça, on peut le faire dans son quartier, dans son école, dans son lieu de travail.

Merci Camille, pour ton témoignage et ton engagement.

Scoop de dernière minute : Demain matin, 28 mars, à Bruxelles, manifestation au Mont des Arts où se rassemblent les responsables de l’agro-business.  Ce sont eux qui décident de notre futur et dictent les lignes de la PAC (Politique Agricole Commune).

(1) Une grenade de désencerclement (appelée sting-ball grenade en anglais) est une grenade à main utilisée par les forces de l’ordre dans certains pays pour repousser les manifestants. Leur utilisation est généralement régie par des règles précises car elles peuvent blesser très gravement.Wikipedia

Pour plus d’info :

Sur la police en France et la fin de l’État de droit

UN ANCIEN SOUS-PRÉFET MET MACRON EN GARDE : « TOUT ÇA VA MAL FINIR »

Sur la « bataille des méga-bassines »

https://www.youtube.com/watch?v=LMJK2YZEa4M&ab_channel=PartagerC%27estSympa

À lire ci-dessous :  Première synthèse – Observations des 24-26 mars 2023 à Sainte-Soline

Première synthèse – Observations des 24-26 mars 2023 à Sainte-Soline

Ce document est publié à titre de première synthèse des faits les plus saillants relevés par les équipes d’observation. Le rapport d’observation complet fera l’objet d’une publication ultérieure.

Du vendredi 24 mars au dimanche 26 mars, 22 membres des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières du 93, de Gironde, de Paris, du Poitou-Charentes et de Toulouse étaient présent-es pour observer le maintien de l’ordre sur la zone de Sainte-Soline dans le cadre des mobilisations contre les « méga-bassines ».

Dès nos premières observations le vendredi, nous avons constaté le bouclage ultra-sécuritaire de la zone avec des barrages routiers assortis de contrôles d’identité et de fouilles de véhicules généralisés, ainsi que la présence d’un camion doté d’un dispositif de renseignement. Ces opérations se sont poursuivies jusqu’au dimanche.

Six équipes d’observateur-ices étaient présentes sur le terrain de la manifestation le samedi 25 mars.

Dès le départ des cortèges depuis Vanzay jusqu’à leur retour, ceux-ci ont été surveillés de manière constante par un à deux hélicoptères.

Avant l’arrivée des manifestant-es sur le site de la bassine de Sainte-Soline, des binômes de gendarmes armés et coiffés de casque de moto, montés sur 20 quads, sont venus à leur contact. Les cortèges ont dès lors fait l’objet de tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, créant une mise en tension importante.

Dès l’arrivée des cortèges sur le site de la bassine, les gendarmes leur ont tiré dessus avec des armes relevant des matériels de guerre : tirs de grenades lacrymogènes, grenades assourdissantes, grenades explosives de type GM2L et GENL, y compris des tirs de LBD 40. Nous avons observé des tirs au LBD 40 depuis les quads en mouvement.

Des grenades ont été envoyées très loin et de manière indiscriminée dans les cortèges, à l’aide de lanceurs et de dispositifs de propulsion à retard. Les détonations très rapprochées de grenades explosives étaient régulièrement suivies de cris d’appel au secours pour assistance médicale. Certaines grenades lancées n’ayant pas explosé, le terrain était miné, donnant lieu à des explosions différées.

A été également observé l’usage de 2 canons à eau. Par ailleurs, nous avons observé la présence de fusils (FAMAS) ainsi qu’au moins un fusil à type produit marquant codé EMEK EMF 100, PMC.

Le dispositif a mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place, occasionnant de très nombreuses blessures souvent graves allant même jusqu’à plusieurs urgences absolues.

Lorsque les élu-es ont fait une chaîne humaine autour des blessé-es pour les protéger et permettre leur évacuation, des tirs de grenades lacrymogènes ont été observés dans leur direction, les contraignant à reculer. À ce moment, en contradiction avec ce que prétend la préfète des Deux-Sèvres, rien ne justifiait l’utilisation de la force à l’encontre de ces personnes. En particulier, nous n’avons observé aucun tir d’engin incendiaire au niveau de cette zone.

Nous avons constaté plusieurs cas d’entraves par les forces de l’ordre à l’intervention des secours, tant Samu que pompiers. Le Samu a indiqué ne pouvoir intervenir pour secourir un blessé en état d’urgence vitale dès lors que le commandement avait donné l’ordre de ne pas le faire, dans une conversation téléphonique à laquelle ont assisté trois avocats de la LDH. Or, nous avons observé que la zone où se trouvait ce blessé était totalement calme depuis plusieurs dizaines de minutes, lorsque cette indication a été donnée. Cette zone se situait à 200 mètres au nord-ouest du dispositif de gendarmerie entourant la bassine et à 500 mètres de l’ensemble des manifestants.

Comme souvent, les forces de l’ordre étaient difficilement identifiables. Nous avons constaté la dissimulation de visages par des cagoules, combinée à l’absence de RIO visibles.

En amont des observations, le 22 mars 2023, la préfète des Deux-Sèvres avait notifié à la Ligue des Droits de l’Homme que les observateurs et observatrices présentes sur les lieux seraient assimilées à des personnes manifestantes et devraient se conformer aux ordres de dispersion, leur déniant la protection que leur reconnaît le droit international et en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d’État. Le matériel d’observation d’une équipe a été confisqué.

De manière générale, nous avons constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain.

Au regard de la gravité de la situation et compte tenu des observations menées ces derniers jours, un rapport d’analyse complet et détaillé sera produit ultérieurement.