Si un évènement « glamour » s’efforce d’accorder ses actes à ses réflexions sur un monde en pleine crise climatique, c’est bien la Berlinale. 10 jours intensifs de projections du 16 au 26 février viennent d’avoir lieu dans la capitale allemande et la Berlinale 2023, pour sa 73e édition, a encore une fois innové : contrairement à ce que l’on pourrait croire, le changement n’a pas eu lieu cette fois au niveau du tapis rouge, mais d’un partenariat entre le Festival International du film de Berlin et Oatly, producteur suédois de produits à base d’avoine. Exit les produits laitiers !

Après la suppression des produits carnés et la reconversion aux repas et canapés végétariens depuis 2020, c’est au tour du lait de disparaître du catering du festival. Le lait d’avoine version barista a moussé sur les capuccinos des stars et au stand des glaces, on pouvait également goûter à des produits 100 % végétaux. Après deux ans de pandémie, la joie des retrouvailles ne semble pas avoir été affectée par cette nouveauté. En effet, pour de nombreux acteurs et actrices, c’est un pas dans la bonne direction sur ce plancher international et l’occasion de montrer l’exemple, la Berlinale s’inscrivant dans les Objectifs de Développement Durable :

« Année après année, il (le festival) poursuit ses efforts en vue de réfléchir et d’agir de manière durable selon une perspective sociale, écologique et économique. »

Dans un manifeste laissant entrevoir que ce n’est qu’un début encouragé par les progrès accomplis les années passées et publié sur le site du Marché européen du film (EFM) — le cœur de la Berlinale à côté de la remise des prix — les mesures touchant à de nombreux domaines liés aux objectifs 7 et 12 dans un premier temps, puis 4, 5, 9 et 10, et pour finir 3 et 8, sont évoquées et seront complétées au fur et à mesure.

La fondation allemande Albert Schweitzer (Albert Schweitzer Stiftung für unsere Mitwelt) qui plaide pour un monde sans souffrance animale, salue cette nouvelle étape vers une alimentation végétalienne comme un message clair d’une orientation vers l’avenir et renvoie vers l’article de l’économie végétalienne, Vegconomist.

Jeter de la poudre aux yeux

Mais les membres de Letzte Generation, le mouvement militant allemand pour le climat, qui en ont profité pour se coller sur le tapis rouge lors de l’inauguration afin d’attirer, une nouvelle fois, l’attention sur la situation dramatique actuelle, trouvent que ces efforts n’atteignent pas l’impact supposé. Pour l’activiste Raphael Voellmy (26), ce n’est qu’un mirage : « Des évènements comme celui-ci incitent à éclipser le danger imminent. Mais si nous continuons comme jusqu’à présent, ce genre d’évènement n’aura plus lieu. Promouvoir la durabilité à une petite échelle comme le fait la Berlinale, c’est important, mais ce n’est pas cela qui nous sauvera. Nous devons changer de cap. (…) »

Les contradictions flagrantes

Si les efforts de la Berlinale sont louables, au-delà de la controverse efforts utiles vs. inutiles, il y a néanmoins deux bémols principaux : pourquoi avoir choisi Oatly, qui commercialise ses produits dans des emballages Tetra Pak, alors que des firmes allemandes font du lait d’avoine frais en bouteilles consignées ? Tant que le système de distribution et sa logistique ne seront pas améliorés, les emballages à jeter seront favorisés. La technologie dans ce domaine n’est pas inactive et s’efforce de trouver des solutions pour continuer à écouler de tels conditionnements. Et ceci toujours sous des auspices nordiques avec un label évoqué sur le site allemand, « Nordic Swan », rappelant les racines suédoises de l’entreprise. C’est la preuve que l’innovation nous sauvera, le mantra habituel du green washing ; c’est donc aussi la preuve que c’est le marché qui intéresse, pas l’environnement ni le climat. Il s’agit ici de rester une entreprise pionnière, capable de surpasser les autres concurrentes dans la course à la soi-disant préservation de notre environnement.

Ensuite : d’où proviennent toutes les avoines nécessaires à produire autant de lait végétal ? Le site de Oatly répond à cette question : Suède et États-Unis. Est-ce bien raisonnable d’importer de l’avoine d’outre-mer pour faire face aux Objectifs de Développement Durable, auxquels l’entreprise Oatly semble elle aussi attachée ? La branche bio en Europe est actuellement en déclin, la guerre en Ukraine a dévoilé la dépendance alimentaire dans laquelle nous nous trouvons toutes et tous étroitement imbriqués aux quatre coins du monde, rien que ce deux critères devraient faire réfléchir pour établir une souveraineté alimentaire basée sur les circuits courts et l’importance de la consommation locale.

Quant au Deutscher Bauernverband, le plus grand syndicat agricole allemand, et au Bund Deutscher Milchviehalter, qui regroupe les producteurs laitiers allemands, la nouvelle de cette Berlinale n’a pas été pour leur plaire : ce n’est pas la publicité dont ils pourront se vanter.