Par Daniel Gutman

Les grands projets étant freinés par la crise économique et le manque d’infrastructures, l’Argentine semble voir une autre voie vers une plus grande durabilité de sa matrice énergétique dans les petites entreprises d’énergie renouvelable, promues par les industries, les entreprises et les utilisateurs privés qui sont conscients de l’environnement.

Il s’agit d’initiatives visant à couvrir leur propre consommation, auxquelles s’ajoute parfois ce que l’on appelle la production décentralisée, dans laquelle les utilisateurs-générateurs qui disposent d’un surplus d’électricité peuvent l’injecter dans le système électrique national et générer ainsi un crédit tarifaire.

Les initiatives de production décentralisée viennent de dépasser le millier de projets déjà opérationnels, selon les dernières données officielles.

Parallèlement, le plus grand parc privé d’énergie solaire de la ville de Buenos Aires a été inauguré ce mois-ci, à l’initiative de la Sociedad Rural Argentina (SRA), la chambre de commerce traditionnelle des producteurs agricoles.

Le parc a été installé dans le centre d’exposition que la SRA possède dans la capitale de ce pays d’Amérique du Sud, pour alimenter une partie de sa consommation avec un investissement de près d’un million de dollars et plus de 1000 panneaux solaires.

« Les petits projets privés d’énergie renouvelable et la production distribuée seront ceux qui augmenteront la capacité énergétique installée dans les années à venir, car le système de transmission et de distribution d’électricité fixe de fortes limites pour les projets à grande échelle », a déclaré à IPS (Inter Press Service) Mariela Beljansky, spécialiste des questions d’énergie et de changement climatique.

Mariela Beljansky, qui a été directrice nationale de la production d’électricité jusqu’au début de 2022, a ajouté : « Sinon, il n’y aura aucun moyen d’atteindre les objectifs de croissance des sources renouvelables fixés par l’Argentine, dans le cadre de ses engagements en matière d’atténuation du changement climatique au titre de l’accord de Paris ».

L’Argentine a présenté son plan national d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets, qui comprend 250 mesures à mettre en œuvre d’ici 2030, lors de la 27e Conférence des parties (COP27) sur le changement climatique organisée par les Nations unies dans la ville égyptienne de Sharm El Sheikh en novembre.

Le Secrétariat national au changement climatique a estimé la valeur totale de la mise en œuvre du plan à 185,526 millions de dollars, soit quatre fois plus que la dette contractée par l’Argentine en 2018 auprès du Fonds monétaire international (FMI), qui a généré une forte détérioration de l’économie depuis lors.

Selon les données incluses dans le plan, le secteur de l’énergie est le plus grand générateur de gaz à effet de serre (GES) du pays, représentant 51 % des émissions.

Bien que les sources renouvelables (avec les projets éoliens en tête et l’énergie solaire en second) aient atteint un niveau record en octobre, fournissant 17,8 % de la demande totale d’électricité, la matrice énergétique continue d’être soutenue essentiellement par le pétrole, le gaz naturel et les grands projets hydroélectriques.

En outre, le pays n’a pas décidé d’arrêter l’exploitation des combustibles fossiles. La raison principale est qu’il possède d’importantes réserves de gaz naturel de schiste dans le champ de Vaca Muerta, dans le sud du pays, qui suscitent l’intérêt des investisseurs internationaux depuis des années. Le plan de lutte contre le changement climatique fixe l’objectif d’utiliser le gaz naturel comme carburant de transition pour, autant que possible, remplacer le pétrole.

Le plan comprend également des objectifs visant à développer diverses sources d’énergie renouvelable (éolienne, solaire, petite hydroélectricité, biogaz et biomasse) ainsi que la production distribuée, « directement au point de consommation » et connectée au réseau public, au niveau résidentiel et commercial.

Les grands projets d’énergie renouvelable ont connu un boom entre 2016 et 2019, sur la base d’un plan officiel qui garantissait l’achat d’électricité à des prix attrayants pour les investisseurs, mais depuis, il n’y a pratiquement pas eu de nouvelles initiatives.

Vue aérienne du toit de 5000 mètres carrés rempli de panneaux solaires, dans l’un des pavillons de La Rural, le centre de foires et d’expositions le plus fréquenté de Buenos Aires. Il s’agit du plus grand parc solaire privé de la capitale argentine et il a nécessité un investissement de près d’un million de dollars. Crédit image : La Rural

Subventions aux consommateurs

« Dans la situation actuelle en Argentine, où il n’y a pratiquement pas de financement, où des restrictions sur l’importation d’équipements rendent les choses plus difficiles, où il y a une inflation élevée et une incertitude économique, il est difficile de penser à de grands parcs d’énergie renouvelable, et les petits projets deviennent plus attrayants », a déclaré à IPS Marcelo Alvarez, membre du conseil d’administration de la Chambre argentine des énergies renouvelables (Cader).

Selon M. Alvarez, ce qui conspire contre les petits projets de production privée et distribuée, ce sont les subventions que l’État argentin accorde depuis des années à la consommation d’énergie, y compris aux familles à fort pouvoir d’achat qui n’en ont pas besoin.

« Les tarifs d’électricité artificiellement bas et la rareté du crédit découragent la croissance des énergies renouvelables », a déclaré M. Alvarez.

« La preuve en est que plus de la moitié des projets de production décentralisée en fonctionnement se trouvent dans la province de Córdoba (au centre du pays), où le prix de l’électricité est trois fois plus élevé qu’à Buenos Aires, et où il existe une ligne de crédit spéciale de la banque locale (Bancor, qui accorde des « prêts éco-durables ») pour les équipements renouvelables », a-t-il expliqué.

En effet, selon les données du Secrétariat à l’énergie, il existe 1051 entreprises utilisatrices qui produisent leur propre électricité et injectent leur surplus dans le réseau, et 573 d’entre elles se trouvent dans la province de Córdoba, au centre du pays.

Les subventions énergétiques de l’État argentin ont atteint 11 milliards de dollars en 2021 et cette année 2022, jusqu’en octobre, elles ont déjà dépassé 7 milliards, selon les données de l’Association argentine du budget et de l’administration financière publique (Asap).

En termes de sources de financement, il existe une ligne de crédit dotée de 160 millions de dollars de la Banque interaméricaine de développement (BID) (Banco Interamericano de Desarrollo) et de la Banco de Inversión y Comercio Exterior (Bice), partiellement financée par le Fonds vert pour le climat (Fondo Verde para el Clima). Cette ligne de crédit est orientée vers les projets d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique pour les petites et moyennes entreprises. Cependant, la plupart des entreprises ne sont pas conscientes de son existence.

Un camion qui fait office de centre de santé et se déplace dans les villes de Patagonie, dans le sud de l’Argentine. Le toit du véhicule est recouvert de panneaux solaires qui fournissent de l’électricité aux quatre cliniques mobiles et aux équipements d’imagerie diagnostique. Crédit image : Utorak

Entreprises privées

Le 15 décembre, la Société rurale a inauguré le plus grand parc solaire privé de Buenos Aires, sur le site couvert de 42 000 mètres carrés où se tiennent les foires et expositions les plus populaires du pays. L’investissement se serait élevé à près d’un million de dollars.

« Nous avons 42 000 mètres carrés de toits dans nos pavillons. Il s’agit d’une surface plane très importante pour le placement de panneaux solaires, c’est pourquoi nous en avons eu l’idée depuis plusieurs années. Nous avions fait un projet pilote en 2019, mais tout a été retardé à cause de la pandémie, qui nous a obligés à fermer le lieu », a déclaré à IPS Claudio Dowdall, directeur général de La Rural.

« À ce stade, nous avons utilisé 5 000 mètres carrés de toits, sur lesquels nous avons placé       1 136 panneaux photovoltaïques, pour une puissance totale de 619 kilowatts. C’est l’équivalent de la consommation moyenne de 210 foyers familiaux et, pour nous, cela représente entre 30 et 40 % de l’électricité que nous utilisons », a-t-il ajouté.

Andrés Badino, fondateur d’Utorak, une entreprise qui se consacre depuis plus de cinq ans aux énergies renouvelables pour les familles et les entreprises, confirme que les demandes et les besoins sont en augmentation dans le secteur.

« L’intérêt des gens est croissant en raison de la sensibilisation accrue à l’environnement et aussi des économies qui peuvent être réalisées sur les factures d’électricité pour les utilisateurs résidentiels, mais aussi pour les établissements d’enseignement et les centres de santé », a déclaré M. Badino.

« L’Argentine dispose d’une industrie nationale pour la production de chauffe-eau solaires, mais pas pour la fabrication de panneaux, d’onduleurs ou de batteries, malgré le fait que le pays possède l’une des plus grandes réserves au monde [du] composant principal. Mais nous sommes convaincus que les prix internationaux vont baisser et stimuler la demande », a-t-il conclu.

 

Traduit de l’espagnol par Evelyn Tischer

L’article original est accessible ici