Le Brésil va être pourvu d’un nouveau ministère pour les peuples autochtones, il n’a jamais eu autant de députés indigènes et la nomination de Sônia Guajajara intronise la première ministre indigène. Qui est cette femme et quels changements vont à présent en découler pour le peuple indigène ?

Ingo Geiger

Au Brésil vivent plus de 256 peuples indigènes différents. Néanmoins, leurs demandes et leurs intérêts n’ont pratiquement jamais été respectés jusqu’à présent. L’histoire de la population indigène du Brésil est en partie une histoire d’expulsion, d’exploitation et d’ostracisme. Sous l’ex-président Jair Bolsonaro, l’accaparement illégal des terres et des ressources a renouvelé d’ampleur. Avec sa désastreuse politique environnementale, il a non seulement détruit l’espace vital, mais aussi les moyens de subsistance de nombreux peuples indigènes.

Avec l’entrée en fonction du nouveau président de gauche, Lula da Silva, il semblerait que les choses bougent : car avec cinq députés, jamais auparavant ne sont entrés autant de politiques indigènes au Congrès national brésilien.

De plus, un ministère nouvellement créé s’occupe des affaires et des intérêts de la population indigène. Le ministère des Peuples autochtones sera dirigé par l’activiste Sônia Guajajara. Il s’agit là d’un autre jalon dans l’histoire du pays, puisqu’elle est la première ministre indigène du Brésil.

Sônia Guajajara s’engage pour les droits à la terre et à la reconnaissance des peuples indigènes du Brésil. D’abord en tant qu’activiste, maintenant en tant que ministre. (Photo : Midia Ninja/Wikipedia, CC BY-SA 2.0)

SÔNIA GUAJAJARA : LA PREMIÈRE MINISTRE INDIGÈNE

Le magazine nord-américain TIME compte Sônia Guajajara, 48 ans, parmi les 100 personnes les plus influentes de l’année 2022. Elle est l’une des militantes les plus connues du Brésil. Sônia Guajajara lutte pour les droits de la population indigène, pour la préservation de ses cultures, et également contre la destruction environnementale et l’accaparement des terres et des matières premières.

Lors de la Conférence de l’ONU pour le climat en 2019 à Rio, elle s’est manifestée aux côtés de Greta Thunberg et de Javier Bardem, tandis qu’Alicia Keys lui avait demandé de venir sur la scène de Rock in Rio (2017) pour articuler ses revendications sur la protection de l’Amazonie.

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Sônia Bone de Souza Silva Santos, qui porte le nom de son peuple Guajajara, est née en 1979 à Arariboia, une réserve dans l’État du Maranhão. À l’âge de dix ans, elle a quitté son village pour pouvoir aller à l’école. Après avoir suivi des études secondaires, elle a obtenu un diplôme en littérature et suivi des études de troisième cycle dans le domaine de l’éducation spécialisée.

En mars 2022, elle faisait partie des 151 féministes internationales qui ont signé le manifeste Feminist Resistance Against War: A Manifesto en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Au cours des dernières élections en 2022, Sônia Guajajara a été élue au Congrès national de l’État de São Paulo. Elle est à présent l’une des cinq députés indigènes au Congrès.

Au début du mois de janvier, le président Lula da Silva l’a nommée ministre du nouveau ministère des Peuples autochtones. Elle est l’une des 37 ministres du nouveau gouvernement – dont seules 11 femmes en font partie.

LES REVENDICATIONS DES INDIGÈNES : METTRE FIN À L’EXTRACTIVISME DANS LEURS TERRITOIRES, DAVANTAGE DE PARTICIPATION ET SIMPLIFICATION DES REVENDICATIONS TERRITORIALES

Avant la prestation de son serment en tant que ministre, elle avait coordonné les campagnes de la fédération des Indigènes du Brésil (APIB – Articulação dos Povos Indígenas do Brasil). Cette fédération a publié lors de l’entrée en fonction de Da Silva un plan de 10 points portant sur les revendications adressées au nouveau gouvernement.

Dès le début, la nouvelle ministre a donc l’opportunité de faire ses preuves en répondant aux revendication de l’APIB, qui réclame l’annulation immédiate des sept actes juridiques normatifs du gouvernement précédent, parmi lesquels le décret qui autorise l’extractivisme sur les territoires des populations indigènes.

L’une des plus importantes revendications est l’annulation du décret « Marco Temporal », selon lequel les peuples indigènes ne peuvent revendiquer un territoire que s’ils sont en mesure de prouver qu’ils y vivaient déjà avant l’entrée en vigueur de la constitution brésilienne de 1988. Toutefois, apporter une telle preuve est de facto impossible. Car si les indigènes ont déjà été expulsés, ils doivent prouver qu’à ce moment-là, ils avaient déjà déposé une demande de réoccupation de la terre.

Jusqu’en 1988, la population indigène se trouvait cependant sous la tutelle de la FUNAI (Fundação Nacional do Índio). Elle n’avait donc aucun recours juridique à disposition pour s’adresser à la justice par l’intermédiaire d’une représentation propre. La FUNAI devait assurer le respect des droits des populations indigènes. Depuis 2019, elle est subordonnée au ministère de la Femme, de la Famille et des Droits humains.

BOLSONARO A EMPÊCHÉ LA RESTITUTION DE LA TERRE – LULA VEUT TRENDWENDE

L’ex-président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, a bloqué et reporté par le biais du Marco Temporal toute tentative des populations indigènes pour protéger leur habitat légal ou pour le récupérer. Le gouvernement de Lula da Silva annonce que la politique inhumaine de son prédécesseur est terminée et veut s’engager à l’avenir pour les droits de tous les Brésiliens et de toutes les Brésiliennes. Les peuples indigènes en font également partie.

Plus de 1 000 territoires sont actuellement revendiqués par les populations indigènes. 731 demandes sont actuellement traitées.

JAMAIS AUPARAVANT AUTANT DE DÉPUTÉS INDIGÈNES N’ÉTAIENT ENTRÉS AU CONGRÈS NATIONAL

Mario Juruna fut en 1983 le premier député indigène au niveau national. Il aura fallu attendre encore 35 ans pour que Joênia Wapichana soit élue première femme indigène au Congrès.

Les dernières élections font ainsi entrer cinq députés, représentant les populations indigènes, au Congrès national. Parmi eux, Sônia Guajajara et la militante pour les droits de l’humain, Célia Xakriabá. C’est peu, mais davantage que jamais auparavant.

 

Traduit de l’allemand par Laurence Wuillemin, Munich