Les enjeux des barrages anthropiques

Le bassin versant de la rivière du Nord est riche de quelque 3 000 lacs dans la région des Laurentides au Québec. Et de ces 3 000 lacs, il n’y en a pas moins de 465 qui n’auraient jamais existé, sauf du fait de l’homme. Dans les 50 à 100 dernières années, ceux qui ont occupé le territoire ont installé des barrages, créant des lacs, parfois petits, parfois grands, inspirés par le travail des castors ou par la géographie des lieux.

Si ces lacs sont généralement appréciés des résidents et des villégiateurs, Johanna Riboulet, chargée de projet chez Abrinord, a raconté au Journal comment, au fil du temps, ils se sont trouvés au cœur d’enjeux importants. À tel point que certains d’entre eux ont carrément disparus et d’autres se retrouvent dans une situation extrêmement précaire. L’organisme Abrinord, qui est responsable de la gestion intégrée de l’eau sur le territoire, a récemment organisé un atelier de concertation invitant tous les acteurs concernés par les barrages anthropiques afin de tenter d’apporter des solutions aux problèmes vécus sur le terrain.

Une idée qui revient toujours

L’idée de traiter des barrages anthropiques « revient depuis toujours », annonce d’entrée de jeu Johanna Riboulet : « Il y a souvent des idées non fondées qui reviennent sur les barrages et on avait besoin de ramener un peu de véracité. Les gens se lancent la balle lorsqu’il y a des problèmes. Mais le barrage n’est pas toujours à l’origine des problèmes ».

L’organisme a donc animé, en novembre dernier, un atelier réunissant plusieurs acteurs autour des barrages. Les participants se sont vu proposer des mises en situation tirées de faits réellement vécus sur le terrain.

« Le problème central, c’est souvent la communication entre les gestionnaires de barrages et les riverains. Il y a aussi le partage des responsabilités, le fardeau légal et les impacts environnementaux qui préoccupent le milieu ».

Lorsqu’un ouvrage devient vieillissant et qu’il doit subir des réparations ou même être refait, cela devient vite problématique : « Les normes ont changé. On ne peut plus faire n’importe quoi, n’importe comment. Ça prend des autorisations, des expertises, ça coûte beaucoup plus cher qu’avant ».

Il n’est donc pas surprenant que de nombreux propriétaires de barrage questionnent l’étendue de leurs responsabilités quant aux coûts de réfection comme des risques encourus en cas de dysfonctionnement. Johanna Riboulet en a volontiers parlé au Journal :

« Il est certain qu’un propriétaire de barrage en fin de vie, qui se fait dire que ça va lui coûter des dizaines, ou même des centaines de milliers de dollars pour effectuer les travaux, peut décider de simplement démolir l’ouvrage. Il y a même parfois des personnes qui achètent des propriétés qui incluent un barrage sans savoir la responsabilité qu’ils auront de l’entretenir et le fardeau financier que ça risque de représenter ».

L’exemple du lac la Sapinière

À Val-David, l’année dernière, le lac La Sapinière est disparu, complètement asséché suite à la non-réinstallation du barrage qui devait être monté au printemps et démonté en automne afin d’éviter les dégâts causés par les crues printanières.

Il s’agit, comme bien d’autres, d’un barrage privé en fin de vie utile. Un conflit entre la propriétaire et la municipalité semble avoir été à l’origine du problème, en plus de la fermeture de l’auberge qui appartenait également à la propriétaire du barrage.

Le gouvernement provincial offre maintenant un programme de subventions pour les municipalités qui souhaitent remplacer les barrages sur leur territoire, mais lorsqu’il s’agit d’un barrage privé, dont la municipalité n’est pas propriétaire, c’est une autre paire de manches.

Madame Riboulet précise également :

« Même lorsque le propriétaire du barrage consent à le vendre à la municipalité dans le but qu’il soit refait, ce n’est pas simple. Il s’agit parfois de lacs dont les berges sont entièrement privées. La question du partage des coûts entre les citoyens se pose et il n’y a pas de réponse unique, chaque cas est différent ».

D’autres lacs voués à la disparition ?

Comme la grande plupart des barrages ont été construits il y a 50, ou même 100 ans, alors que la villégiature prenait du gallon dans la région, il est évident que la problématique se présentera ailleurs qu’au lac la Sapinière.

« Nous avons fait une revue de la documentation, pour voir si la science a travaillé sur la gestion des barrages, pour voir les solutions qui ont été appliquées lorsque des enjeux similaires sont rencontrés ailleurs », d’expliquer madame Riboulet.

Selon elle, les États-Unis sont beaucoup plus avancés dans les processus de gestion des barrages anthropiques que le Québec ou le Canada :

« Ici, on ne s’entend pas encore complètement sur l’impact environnemental que cause le maintien d’un lac artificiel, versus l’impact de le laisser s’assécher et revenir à son état naturel – un milieu humide. Une chose est certaine, aux États-Unis, on fait plus généralement le choix de démolir les ouvrages et de laisser les milieux revenir à leur état de départ ».

La balance des inconvénients

Il n’y a de toute évidence pas de solution unique, ni aucune qui soit parfaite dans le dossier des barrages anthropiques. La modification des patrons de précipitations, causée par les changements climatiques, devient une préoccupation de plus en plus pressante pour les propriétaires et les gestionnaires de barrages, qui engagent leur responsabilité dans les dommages causés aux biens d’autrui.

Par ailleurs, qu’un barrage soit refait ou démoli, il y aura dommages. En cas de démolition, on parle de dommages à la faune et à la flore qui occupent l’espace, ainsi qu’aux riverains et aux villégiateurs. Mais il y a aussi une contrepartie : les milieux humides qui étaient là avant jouaient également un rôle environnemental précieux pour d’autres espèces et ils se rétabliront une fois les lacs asséchés. Des coûts importants sont évités et la question de la responsabilité en cas de dommages tombe d’elle-même.

Verrons-nous des centaines de lacs disparaître de notre paysage ? « Je ne sais pas. Chose certaine, il y aura autant de solutions différentes qu’il y a de barrages. Des municipalités décideront peut-être de les prendre en charge. Des associations de lacs vont peut-être voir le jour et trouver des sources de financement, comme au lac Croche, à Sainte-Marguerite. Il n’y a pas de solution universelle. L’année prochaine, il y aura un deuxième atelier lors duquel les solutions novatrices qui ont été trouvées seront présentées ».

Émilie Corbeil

L’article original est accessible ici