15/12/2022 – Guy Valette
« Quel est le premier objectif de la société ? C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? Celui d’exister. Tous les autres droits ne peuvent s’exercer que dans les limites posées par ce droit fondamental. »- Robespierre
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Quand le travail ne permet plus de gagner sa vie et que l’État doit consacrer un pognon de dingue pour venir en aide à toutes les victimes d’une distribution de la richesse de plus en plus erratique,

Quand la nécessaire transition écologique exige d’en finir avec une économie productiviste, il est temps de dissocier droit universel à l’existence et droit à un emploi avec l’allocation d’un revenu de base universel.
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Le mouvement des gilets jaunes, la pandémie de COVID-19 et le retour de l’inflation des produits de premières nécessités (+12 % en décembre 2022) ont révélé la détresse de millions de personnes, chômeurs, travailleurs pauvres, artisans, commerçants, paysans, mères célibataires, jeunes sans ressources qui, avec ou sans travail, n’arrivent plus à vivre décemment dans une société où la richesse produite n’a jamais été aussi grande.
Jusqu’à présent les droits humains fondamentaux définis par la déclaration universelle de 1948 sont conditionnés au droit à un emploi correctement rémunéré, droit qui est loin d’être universel, et c’est là que le bât blesse. Avec la dévalorisation et la déréglementation du travail, les cotisations sociales adossées sur les salaires ne suffisent plus à financer notre système de sécurité sociale. Cet assèchement de la distribution de la richesse par la rémunération du travail se manifeste à la fois par l’augmentation du chômage, par la précarité dans l’emploi, par de grandes inégalités et des droits sociaux qui s’érodent.

Cet assèchement de la distribution de la richesse par la rémunération du travail a conduit l’État à venir en aide à une part de plus en plus importante de la population avec des aides sociales financées par l’impôt. Au fil des crises de nouvelles aides sont mises en place en urgence. La dernière en date est le chèque carburant qui remplacera à partir de janvier 2023 la réduction de 10 euros sur le prix du litre d’essence. Mais ces aides sociales curatives, à postériori, conditionnées, complexes à mettre en œuvre, familiarisées et stigmatisantes, qui assujettissent, ne réussissent pas à s’attaquer aux causes de la pauvreté. Aujourd’hui il y encore plus de 10 millions de personnes dont 2 millions de travailleurs qui vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian.

L’insécurité sociale règne.  « En quatre décennies on est passé d’un système de Sécurité sociale fondé sur le principe de solidarité à une protection sociale fondée sur la charité publique. » Alain Supiot
Beaucoup d’organisations d’entraide et de solidarité réclament un revenu minimum garanti pour les plus démunis. C’est une première étape urgente, nécessaire, mais il faut être plus ambitieux. Car un système qui n’aide que les pauvres creuse encore l’écart qui les sépare du reste de la société.

Face à une distribution de la richesse par le travail de plus en plus erratique et face aux défis environnementaux à affronter, il est nécessaire de garantir de manière préventive, en toutes circonstances, à tous les membres de la communauté, des conditions d’existence décentes avec l’allocation d’un revenu de base universel fondée sur le principe de solidarité universelle : Chacun contribue en fonction de ses moyens (en revenus et en patrimoine) à la satisfaction des besoins élémentaires de l’ensemble de la communauté. A revenu universel, contribution universelle.
Revenu d’existence non pas conçu comme une aumône de survie mais bien comme un droit humain inaliénable, émancipateur, attaché à la personne et non à des conditions sociales, familiales ou professionnelles.

Que devons-nous attendre de ce revenu d’existence ?
Il doit être protecteur.
Par son montant il doit immuniser à toutes les étapes de la vie contre la pauvreté et les accidents de la vie et libérer l’individu de la charité publique et privée.

Mais surtout il doit être émancipateur.Ce véritable salaire socialisé dissocié de l’emploi individuel, doit permettre de répondre aux mutations en cours dans le monde du travail comme aux défis environnementaux à surmonter dans les années à venir.

• Il doit permettre d’aller vers la civilisation du temps libéré chère à A. Gorz avec un meilleur partage des emplois et une réduction drastique du chômage avec la réduction du temps de travail. Pour cela lorsqu’on est au SMIC on doit pouvoir, avec le revenu universel, gagner plus en travaillant moins pour vivre mieux.

• Il doit permettre aussi d’envisager une transition écologique vers un monde plus frugal, à la fois respectueux des êtres humains comme de l’environnement et des ressources terrestres. Il doit offrir la possibilité à chacun et chacune de faire les choix les plus pertinents pour la collectivité, tant dans son rôle de producteur comme celui de consommateur. Quand la vie n’est plus soumise au chantage de l’emploi, le revenu universel permet de se libérer d’une économie productiviste nocive pour l’environnement pour aller vers une économie plus qualitative.

• L’allocation, comme la contribution, sont individuelles, émancipant la personne de toute contingence. Elle permet ainsi de dire non à des conditions dégradantes que ce soit dans le cadre de la vie privée ou dans celui de l’entreprise.
« Il s’agit de construire un État social qui mise intelligemment sur l’épanouissement du capital humain plutôt que sur l’astreinte d’un emploi non choisi. » Philippe Van Parijs, philosophe, fondateur du B.I.E.N (Basic Income Earth Network).

Partout, l’idée d’un revenu de base universel fait son chemin. En Argentine des milliers de personnes ont manifesté jeudi 28 juillet dernier à Buenos Aires pour réclamer l’instauration d’un revenu universel dans un pays en pleine crise économique où l’inflation galopante appauvrit de nombreux ménages. En Catalogne une expérimentation débutera le 1er janvier 2023, elle concernera 5000 personnes.

Après la crise sanitaire de 2020-2022 qui a révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, l’ensemble des forces sociales ne peuvent continuer à être spectatrices. Il faut être force de propositions pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toute circonstance. Car il ne peut y avoir de liberté ni de démocratie réelle sans égale considération, sans égalité des droits humains et sans la solidarité des uns envers les autres pour garantir l’égale participation à la vie sociale et politique de l’ensemble des citoyens. Pour ne plus subir mais pouvoir choisir pour pouvoir agir.

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Guy Valette est un des membres fondateurs du Mouvement Français du Revenu de Base
(MFRB). Il est l’auteur du livre : « l’allocation universelle d’existence, la protection sociale du XXI° siècle, » Éditions Utopia, 2021