La protection du patrimoine mi’gmaq, c’est l’affaire de quelques personnes à Gesgapegiag. Jeannette Martin, Bernard Jerome et William Jerome en sont les promoteurs les plus enthousiastes.

Âgée de 45 ans, Jeannette Martin s’occupe de protection du patrimoine en partie grâce à ses fonctions d’agente de communications au bureau administratif des Mi’gmaq de Gesgapegiag. Mais il y a beaucoup plus. En revenant dans sa communauté en 2014 après 16 ans passés en Outaouais à l’emploi de ce qui s’appelait alors le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, elle s’est engagée à changer des choses.

« Je me suis donné le mandat de travailler en amont, de faire comprendre l’importance de notre culture. Je rencontrais des gens qui avaient des préjugés. D’autres personnes me demandaient : “Est-ce qu’on a le droit d’aller à Gesgapegiag?” Je voulais faire valoir qui nous sommes », souligne Mme Martin.

Née en 1977, la plus jeune d’une famille de sept enfants, « où les parents se parlaient en mi’gmaq entre eux, et nous parlaient aussi en mi’gmaq, alors que nous, on répondait en anglais », elle avoue avoir vécu un choc quand ces mêmes parents l’ont envoyée à l’école Bois-Vivant, de New Richmond.

« Je ne comprenais pas un mot de français. Nous étions seulement deux de Gesgapegiag en prématernelle, puis en maternelle », se souvient-elle.

Jeannette Martin a connu un parcours académique varié, passant, après ses années à Bois-Vivant, à l’école secondaire Antoine- Bernard, de Carleton, puis à l’éducation des adultes avant de se diriger vers l’école Police Foundation, de Sault-Sainte-Marie, en Ontario, afin de devenir policière. Elle a choisi une autre voie, la fonction publique fédérale, à la conclusion de ses études.

Elle parle le mi’gmaq, l’anglais et le français, des outils fort utiles pour rassembler les gens de cultures différentes. Elle se retrouve conséquemment au centre des activités visant à créer des liens entre les citoyens de la Baiedes-Chaleurs. Le 21 juin, lors de la Journée nationale des peuples autochtones, quelques centaines de personnes des environs de Gesgapegiag ont rejoint les Mi’gmaq pour diverses activités extérieures, le tout couronné par un repas de homard et de saumon.

« Mon emploi aide, mais c’est personnel, l’intérêt pour réunir les gens, l’importance de rendre ça plus grand, de valoriser notre langue. Les gens veulent nous connaître », souligne Jeannette Martin, qui se réjouit aussi de voir l’intérêt des allochtones pour des activités comme la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le 30 septembre.

Depuis quelques années, les citoyens de Gesgapegiag participent de façon enthousiaste à plusieurs mouvements nationaux, dont la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, tenue le 29 septembre dernier, 24 heures avant la date officielle du 30 septembre. Photo : Gilles Gagné

Une vocation tardive

Bernard Jerome constitue aussi une référence à Gesgapegiag. Presque toujours appelé « Pn’nal », un mot qui veut dire garçon, il est une encyclopédie vivante sur les traditions et l’histoire des Mi’gmaq, comme William Jerome (voir l’article « Les archives, un puissant instrument de protection du Patrimoine », de Gilles Gagné).

« Ça m’a pris un peu de temps avant de m’intéresser à nos traditions. Je viens d’une famille de 15 enfants. J’ai été élevé en mi’gmaq. Je suis allé à l’école ici. Je suis resté à Gesgapegiag jusqu’à l’âge de 17 ans, puis je suis parti travailler au Massachusetts. À cette époque, quand tu étais assez vieux pour travailler, il fallait y aller. J’ai travaillé pour un oncle en construction pendant trois ans d’affilée, avec des interruptions pendant les années suivantes. Je suis revenu à Gesgapegiag en 1972 », raconte-t-il.

Il avait alors 30 ans. Il montrera un intérêt marqué pour la tradition à l’aube de la quarantaine.

« Je pense que mon intérêt a toujours été là mais on ne se posait pas nécessairement de questions. Dans cet ‘‘ancien temps’’ tout le savoir traditionnel était appris automatiquement. Nous devions vivre des ressources du territoire. Nous apprenions des aînés », dit M. Jerome.

Avant ses 40 ans, il avait peu de connaissances en histoire, avoue-t-il.

« Ce qu’on avait appris en histoire à l’école n’était pas très positif pour nous, Autochtones. Notre histoire n’existait pas, officiellement. On ne pouvait l’apprendre en grandissant. Au cours de mon enfance, il y avait un agent fédéral pour administrer la réserve, qui s’occupait de faire respecter certains règlements contraignants. Ça ne m’empêchait pas d’être fier de qui j’étais. À 40 ans je n’avais juste pas la base historique pour savoir à quoi c’était lié », raconte Pn’nal, mot que les enseignants catholiques ont remplacé par « Bernard ».

« En lisant, j’ai commencé à comprendre pourquoi nous sommes si résilients. En apprenant l’histoire des Mi’gmaq, ça m’a rendu plus fort. Notre langue est basée sur les verbes, qui sont des mots d’action. Nous nous sommes faits dire si souvent que nous n’avions pas d’histoire. Pourtant, nos ancêtres ont signé des traités. Ils avaient une bonne connaissance des mots! En pêcheries, nous avons signé un traité en 1752. Nous n’avons jamais abandonné ces droits. Ce ne sont pas tous les Autochtones au Canada qui ont signé des traités », poursuit M. Jerome.

Le traité de 1752 et les traités suivants ont été déterminants en 1999 quand la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la requête de Donald Marshall, un Mi’gmaq de Nouvelle Écosse soutenant que sa pêche à l’anguille était légale. En Gaspésie, les pêches commerciales rapportent maintenant des dizaines de millions de dollars par an, sans que les pêches allochtones en aient souffert.

« Auparavant, l’interprétation des traités nous étaient défavorables. Le gouvernement disait : “Voici ce que ça veut dire”. Nous répondions. “Voici ce que nous voulions dire”. Ça peut mener à des impasses. Dans les faits, nous ne faisions qu’exercer nos droits. C’est pourquoi nous avons installé des filets sur la rivière Cascapédia en 1975. C’est comme ça que le mouvement de reconnaissance de nos droits a débuté. C’est comme ça que les pêches, sur la rivière et en mer, représentent maintenant une bonne partie de notre économie. Nous avons pas mal de monde qui travaille sur la rivière, le long de nos côtes et en mer maintenant. Nous avons été les premiers à gérer une rivière conjointement avec les non-Autochtones », explique Bernard Jerome.

Sa curiosité l’a amené à rencontrer des aînés de Gesgapegiag, mais aussi d’un peu partout dans l’est du pays, parce que les Mi’gmaq sont encore plus présents au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse qu’en Gaspésie. Certaines communautés se trouvent aussi à l’Île-du-Prince-Édouard et au Maine.

« Je disais tantôt que l’étude de notre histoire nous donne des armes pour l’avancement de nos droits. Les échanges avec les autres Premières Nations, la participation à des conférences, les échanges d’idées avec nos voisins de Listuguj, de qui nous sommes proches, avec les autres communautés autochtones du Québec, tout ça nous a donné de l’information utile. Maintenant, nous avons en plus accès aux archives universitaires. Il est certain que nous bénéficions énormément de ces sources de renseignements », affirme Pn’nal.

Ses connaissances sont reconnues au-delà des frontières gaspésiennes. Il a d’ailleurs vécu au Maine entre 1996 et 2006, à la demande des communautés autochtones de Passamaquoddy et de Penobscot, qui cherchaient à se réapproprier une partie de leur culture.

Photo : Gilles Gagné, Jeannette « Maltan » Martin et Bernard « Pn’nal » Jerome à l’embouchure de la rivière Cascapédia, une déformation de Gesgapegiag, qui veut dire « là où la rivière s’élargit ». Maltan est le nom original de Martin. Il a été changé par des non-Autochtones. 

Une préoccupation, la langue mi’gmaq

Il se définit comme un homme « pas entièrement inquiet, juste préoccupé » par l’état de la langue mi’gmaq.

« Il y a une possibilité de voir une relance. C’est l’âme de la communauté. Nous sommes maintenant responsables de l’état de la langue. C’est notre tâche de la protéger. Elle est utilisée à l’école, mais pas suffisamment. La stratégie idéale serait de l’enseigner aux adultes, qui la pratiqueraient avec leurs enfants. Nous devons être fiers de notre langue. Ça devrait commencer le matin avec un “bonjour” en mi’gmaq, mais ça prend davantage. La culture peut évoluer sans la langue, mais parler notre langue est une façon de protéger notre culture. Environ 33% de notre population parle encore le mi’gmaq, mais il faudrait que ce soit entre 90 et 100% », dit M. Jerome, sur un ton plus grave.

« Mes enfants la parlent encore couramment. Mes petits-enfants l’apprennent. Nous avons progressé en offrant de l’aide aux gens qui veulent l’apprendre. C’est en train de revenir et nous voulons encourager ça. Nous avons la technologie et les moyens pour y arriver. C’est maintenant aux gens d’agir. Je ne veux pas utiliser le mot publiciser, mais disons que nous devons promouvoir la grande valeur et la fierté rattachées à notre langue », conclut l’érudit.

Gilles Gagné

L’article original est accessible ici