Même au Tibet et dans l’Antarctique, les scientifiques de l’EPFZ (Zurich) et de l’Université de Stockholm ont découvert des produit toxiques de la famille des PFAS.

Daniela Gschweng pour le journal en ligne INFOsperber

Les composés per- et polyfluoroalkylés (PFAS, de l’anglais per- and polyfluoroalkyl substances) sont connus pour être des substances chimiques toxiques pour la santé et difficilement dégradables. Il a été prouvé que les plus connus comme le PFOA (acide perfluorooctanoïque), peuvent occasionner des lésions du foie et affecter la reproduction.

Comme ils ont une très longue durée de vie, les PFAS sont de plus en plus fréquents dans l’environnement. Une équipe de chercheurs de l’EPFZ et de l’Université de Stockholm vient d’expliquer à quelle fréquence on les y retrouve.

Les chercheurs ont cherché pendant dix ans quatre des PFAS les plus connus dans l’eau de pluie, les sols et les eaux de surface du monde entier. Même dans des endroits isolés comme sur le haut plateau tibétain, la concentration était si élevée dans l’eau de pluie qu’elle ne peut plus être considérée comme inoffensive.

Les produits chimiques à longue durée de vie sont parvenus jusque dans le cycle hydrologique

Les résultats des analyses de l’équipe de chercheurs de Stockholm et de Zürich, qui ont été publiés début août dans Environmental Science & Technology constituent un fait nouveau et malheureusement préoccupant.

Jusqu’ici, la science partait du principe que les PFAS dansle cycle naturel arrivaient à long terme dans l’eau de mer où ils se diluaient fortement, ne représentant plus qu’un faible danger. Les retrouver dans l’eau de pluie signifie qu’ils ont pénétré le cycle hydrologique.

Et cela ne changera pas de sitôt, les PFAS étant considérés comme des « produits chimiques éternels ». Dans des conditions naturelles, ils ne se décomposent pratiquement pas, ce qui signifie qu’ils continuent à s’accumuler. La concentration de certains PFAS dans l’eau de pluie est, à certains endroits, plus élevée que la valeur limite pour l’eau potable dans les pays industrialisés.

« L’extrême persistance et le cycle global continu de certains PFAS feront que les directives susmentionnées continueront d’être dépassées », explique Martin Scheringer, un des co-auteurs de l’étude, qui travaille à l’EPFZ et à l’Université Masaryk en République tchèque.

Les chercheurs n’étaient que sur la piste de quatre des PFAS les plus connus, à savoir l’acide perfluorooctane sulfonique (PFOS), l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), l’acide perfluorohexane sulfonique (PFHxS) et l’acide perfluorononanoïque (PFNA). À tous les points de mesure, même au Tibet et en Antarctique, la concentration de PFOA dans l’eau de pluie était supérieure à la limite actuelle pour l’eau potable de l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA).

Boire de l’eau de pluie, selon les normes américaines, constitue un danger pour la santé

« Cela signifie que selon les normes de l’EPA, boire de l’eau de pluie n’est pas sûr », a déclaré à l’AFP Ian Cousins, l’auteur principal de l’étude, en allant droit au but. D’autres critères utilisés par les chercheurs, comme les valeurs limites de l’UE ou les directives danoises sur l’eau potable, sont moins stricts, mais ont également été dépassés à de nombreux endroits.

L’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) a renforcé ses valeurs limites à plusieurs reprises depuis que la dangerosité des PFAS a été reconnue. Un nouveau durcissement est attendu à l’automne. En juin 2022, l’EPA a présenté des recommandations sanitaires non règlementaires, fixant une limite d’absorption à vie de quatre picogrammes (billionième de gramme) par litre pour le PFOA et de 20 picogrammes par litre pour le PFOS. Auparavant, celle-ci était de 70 picogrammes par litre pour les deux substances combinées.

L’EPA, justement, a souvent été critiquée pour avoir tardé à mettre en place une réglementation efficace sur les PFAS et pour ne pas prendre suffisamment au sérieux le danger que représentent les produits chimiques éternels. L’avocat américain Rob Billot a joué un rôle important dans la reconnaissance des PFAS comme toxiques et cancérigènes. Après des années de lutte, il a obtenu que le PFOA soit réglementé. Depuis que l’on sait que les PFAS réduisent la réponse immunitaire des enfants aux vaccins (Infosperber en a parlé), l’EPA prend la pollution encore plus au sérieux, suppose Cousins.

Les PFAS – une famille de substances aux multiples inconnues

Pour les PFAS, utilisés depuis les années 1940, il existe une multitude d’applications allant des cordes de guitare aux mousses anti-incendie en passant par les poêles en téflon. L’ensemble de la famille de substances des PFAS comprend entre 4 500 et 5 000 composés différents, dont seuls quelques-uns ont été étudiés en détail. Et de nouveaux PFAS apparaissent en permanence. Souvent, ils sont introduits pour remplacer des substances désormais réglementées.

Leur remplacement n’est souvent pas moins nocif. Les produits chimiques dits GenX, censés remplacer le PFOA, ont par exemple été classés comme « particulièrement préoccupants » par la Cour de justice européenne (Infosperber en a parlé). La chimiste environnementale Hanna Joerss du centre allemand Helmholtz, parle de « substituts regrettables ».

Les PFAS sont utilisés partout où un produit doit être ignifuge, hydrofuge, dégraissant ou particulièrement glissant, par exemple dans le fart de ski, les vêtements de plein air et les mousses anti-incendie. Bien que la production de PFAS, connus pour leur dangerosité pour la santé, soit en baisse, leur quantité dans l’environnement ne diminue pas.

Certaines sources n’ont même pas encore été recensées ou trouvées, comme les anciens terrains d’entraînement des pompiers, les sites industriels désaffectés ou les aéroports où des mousses anti-incendie contenant des PFAS ont été utilisées.

Certains des effets nocifs des PFAS sur la santé n’ont probablement pas encore été étudiés et ne sont pas connus. Les « effets cocktails » qui se superposent n’ont guère été pris en compte jusqu’à présent. En résumé, il existe encore de grandes lacunes dans les données. Celles-ci doivent absolument être comblées dans la mesure du possible, écrivent les auteurs de l’étude.

La quantité de PFAS dans le monde a peut-être déjà dépassé les limites planétaires

C’est plus ou moins le cas pour toutes les substances artificielles produites par l’homme qui ne disparaissent pas de l’environnement après une courte période. Au printemps 2022, des chercheurs du Stockholm Resilience Centre (SRC) ont averti que les limites de la planète étaient peut-être déjà dépassées (Infosperber a rapporté).

C’est également l’avis des scientifiques de l’EPFZ et de l’université de Stockholm en ce qui concerne les PFAS. Ils affirment que la limite planétaire, c’est-à-dire la quantité de PFAS que l’écosystème de la Terre peut supporter à long terme, est ric-rac ou déjà dépassée.