Selon la cosmogonie Wichí[1], les femmes ne sont pas nées de la Terre comme les hommes, mais à l’époque de la jeune montagne, elles y descendaient le long de cordes de lumière pour cueillir des fruits et des graines. Un jour, les hommes de la tribu les ont découvertes, ont coupé les cordes et elles n’ont jamais pu revenir, bien qu’elles aient partagé leur sagesse avec le peuple et qu’elles l’aient aimé comme le leur. Dans cette coexistence parmi des équilibres tendus ou parmi des forces qui s’affrontent vivent aussi les Nepantleras[2], des femmes indigènes mexicaines qui se balancent entre les frontières d’un état de pré-guerre, alors que leurs maisons ne sont jamais en lieu sûr. Comme les personnes homosexuelles ou bisexuelles vivant dans le monde hétérosexuel, ou comme les ruraux vivant dans les villes, pris entre les mailles du filet de leur foyer et d’autres cultures. C’est ainsi que les Wichi et les Nepantleras continuent de vivre: entre les fissures, dans des mondes qui ne sont pas connus du reste du peuple.

Je me demande toujours : comment passer du plan magique au plan rationnel quand on habite les deux mondes ? Ce rond-point où s’entremêlent les sensations de deux univers parallèles : celui de l’inspiration, de la création, et celui du quotidien, concret, palpable où nous avons parfois tant de mal. C’est dans ce lieu allégorique où se déroule la rencontre avec des femmes puissantes que j’ai été amenée à penser qu’un monde sans violence peut se développer.

Qui sont celles que j’appelle « femmes puissantes » ? Ce sont celles qui, avec leurs paroles s’introduisent dans ma tête, m’aident à modifier mes pensées, mes croyances, et à découvrir mes compulsions[3]. Elles m’accompagnent afin que je regarde ma vie d’un point de vue différent ou pour que mon cœur s’adoucisse. Ce sont elles qui ajoutent de la magie, qui aident à ouvrir les mondes avec leurs initiatives, et qui m’inspirent souvent.

Je leur ai donné des surnoms. Chacun d’eux est lié aux commentaires qu’elles m’ont faits pour élargir ma conscience. Elles les ont faits sans se rendre compte du volcan interne qu’elles créaient en moi. Chacune d’elles a un attribut, une qualité qui m’amène à un certain endroit où je peux rire et les apprécier.

Ce mécanisme est l’âme de l’action, l’authenticité, la sincérité, l’honnêteté avec ce que je ressens et ce qui m’arrive ; avec ce que je fais, avec ce que je dis, avec ce que je pense. Depuis cet endroit, ce mécanisme me permet d’être honnête pour faciliter la transformation de la violence. Il me permet de reconnaître les impressions de souffrance dans mon monde, non seulement celles que j’ai construites, mais aussi celles qui proviennent d’un certain endroit de ma lignée.

Ce sont ces femmes qui, au cours des ans, ont eu un fort effet sur ma conscience, sur mes transformations, sur la réalisation de quand je suis moi et quand je suis la compulsion. Cette compulsion qui me mène à la violence la plus flagrante (avec moi-même, dans ma réalité intérieure, ou avec le monde qui m’entoure). C’est l’endroit où les impressions de la violence historique prennent forme.

Certaines de ces femmes le savent, d’autres pas. Je n’ose même pas leur dire car elles sont si humbles qu’elles ne le croiraient pas. Elles peuvent être proches de moi, ou parfois pas si proches. Mes camarades de lutte, mes professeurs, mes filles, mes voisines, même celles qui ne sont pas des amies, qui ne pensent pas de la même façon. Pourtant, ces mêmes femmes sont inondées par mes larmes, se livrent dans leurs commentaires aux miens.

Les femmes militantes, les mobilisatrices d’espaces sociaux et historiques, celles qui contribuent par leurs actions à tout modifier de notre quotidien à nos lois ; celles qui sont attentives lorsque nos droits sont bafoués. Je rencontre aussi des femmes puissantes dans mes lectures. En elles, j’ai rencontré des femmes qui éclairent, qui montrent des chemins, qui décrivent ce qui a été naturalisé, qui donnent des exemples et qui racontent comment l’histoire violente a été construite.

En elles il y a un monde nouveau que je sens de plus en plus proche et que je peux enrichir.

Dans le monde rationnel, les autres et nous-mêmes exerçons de la violence à notre égard. Avec elles, les femmes puissantes, nous pouvons traverser d’autres espaces et là, tout s’élargit, nous entrons en contact avec nos meilleures qualités et, par conséquent, de nouvelles consciences.

Je peux maintenant remercier les paroles, les voix, les histoires, les récits de ces femmes puissantes car, à ce contact, la violence disparaît. Pas seulement la mienne, mais celle de nous toutes, dans son ensemble. Les femmes de ma vie sont des ponts qui unissent les réalités et les magies transformatrices.

 

Notes

1 Je me réfère à Octorina Zamora, considérée comme ‘femme étoile’, Niyat, autorité du peuple Wichi, qui fut une guerrière pour défendre ses sœurs et frères indigènes soumis à la discrimination, au pillage et au génocide créole.

 2 Cet extrait est inspiré du livre “Lumière dans l’obscurité” (“Luz en lo Oscuro”) de l’écrivaine, poète, et militante lesbienne et chicana, Gloria E. Anzaldúa. (pp 127-131)

3 Je parle de ‘compulsion” en tant qu’un terme que le siloïsme emprunte à la psychologie traditionnelle: trait d’une personne qui présente un comportement addictif ou obsessionnel, irrésistible face à une situation donnée.

 

Traduit de l’espagnol par Evelyn Tischer