Par Laurence Wuillemin.   Si les coupes rases dans le Morvan sont spectaculaires, déboisant en peu de temps des hectares entiers de forêts centenaires d’années qui disparaissent à tout jamais, l’abattage d’arbres imposants à Paris (ou ailleurs) suscite tout autant d’émotion. 

En dernier ressort : une grève de la faim haut perchée

Pour détourner cette menace pesant sur des arbres bicentenaires aux alentours de la tour Eiffel, Thomas Brail, arboriste-grimpeur et fondateur du Groupe National de Surveillance des Arbres(GNSA[i]), n’a pas hésité avec un coéquipier à installer son campement dans l’un des platanes en question. Il n’est pas un néophyte en la matière puisqu’il renouvelle sa tentative de 2019, restée vaine, pour empêcher l’abattage d’arbres dans sa ville de Condom (Gers) : 28 jours perché dans un hamac face au ministère de la Transition écologique. Commencée il y a maintenant une semaine, sa tentative actuelle mérite la médiatisation qu’elle reçoit, face à l’inaction du gouvernement. Depuis sa tente dans les airs, Thomas Brail a adressé une courte vidéo[ii] à Élisabeth Borne, la Première ministre nouvellement nommée, qui est également chargée de la Planification écologique. Il lui annonce qu’en dernier ressort, il entame une grève de la faim dès samedi 4 juin 2022 pour faire avancer les choses, ayant constaté que ni les coupes rases ni les abattages déraisonnables en zone urbaine ne font l’objet d’une règlementation stricte et ceci, au détriment des générations à venir. Faisant appel au bon sens de la ministre, il espère qu’elle tiendra compte de ses « demandes, justes et simples ».

Protection d’un côté, abattage de l’autre

Pour protéger les arbres existants face à des projets en faveur du profit, il existe bel et bien un acte législatif, l’article L350-3 du Code l’Environnement, préconisant la protection des allées et des alignements. Il semble néanmoins être un poids plume dans la balance, puisque les investisseurs de tout poil qui flairent la bonne affaire ne sont pas sommés de respecter à la lettre les règlementations. Thomas Brail attend de la ministre qu’elle le fasse appliquer. En ce qui concerne la sylviculture, le gouvernement français ne change pas son fusil d’épaule et persiste à octroyer des subventions qui sont loin de servir la bonne cause et tiennent la porte ouverte au productivisme. Mis à part le fait que les forêts, ce creuset de notre imaginaire et de notre culture, jouent un rôle important dans notre bien-être (le « bain de forêt » est en vogue), il est essentiel de changer notre conception de leur exploitation industrielle, basée sur le profit. Leurs bienfaits ne sont pas mesurables à l’aune du PIB. Remplacer les feuillus par des monocultures de résineux fragiles, c’est non seulement détruire des écosystèmes dont nous ne commençons qu’à peine à soupçonner l’importance, et accélérer la perte de la biodiversité (faune et flore), mais aussi bouleverser en profondeur des sols quasiment intacts, dégrader la qualité de l’eau et de vie des populations environnantes, et c’est également supprimer nos grands alliés que sont les arbres anciens dans la séquestration des gaz à effets de serre (25 à 30%). Comment ne pas ressentir une terrible blessure au plus profond de nous-mêmes à la vue de ces forêts éventrées et de ces moignons d’arbres témoignant de leur grandeur anéantie ?

Appel à la mobilisation des consciences

Thomas Brail s’inscrit dans la longue lignée d’activistes, connus et moins connus, invisibles ou passés sous silence, qui défendent les arbres : Julia Butterfly Hill qui a, en Californie, à partir de 1997 passé 738 jours dans un séquoia (surnommé Luna) pour le préserver ; les populations indigènes au Brésil qui tentent de sauver leur habitat ; les jeunes Allemands qui ont occupé Hambi et Danni et plus récemment Karsti — comme les militants ont affectueusement surnommé les forêts de Hambach (Rhénanie-du-Nord-Westphalie), Dannenröder Forst (Hesse) et Forst Karsten (Bavière). Quant à la Roumanie, les coupes illégales du poumon vert européen étant à l’origine de nombreux assassinats et de graves agressions, le gouvernement s’est doté en juin 2020 d’une direction d’enquêtes contre les délits environnementaux : il reste à espérer qu’elle saura tenir tête à la corruption ambiante.

Comment ne pas se préoccuper de la disparition des plus grandes et plus anciennes forêts européennes en cette période de dérèglement climatique ? Si les mobilisations de multiples associations[iii] sont loin d’être négligeables, suffisent-elles à faire évoluer les politiques ? Ces actions et révoltes spectaculaires étant récurrentes, on est en droit de se poser la question. Toutefois, rendons-leur hommage pour leur courage et leur abnégation dans cette lutte pour le futur des générations à venir, et ne sous-estimons pas leur plus grand succès, qui est le réveil de nos consciences, impératif crucial s’il en est.

[i] https://gnsafrance.org/

[ii] https://www.youtube.com/watch?v=Vg9plHqrpUk

[iii] Pour n’en citer que quelques-unes : https://adretmorvan.org/

https://www.vieillesforets.com/

https://sosforetfrance.org/

https://www.canopee-asso.org/

http://sosforetbourgogne.org/

https://www.fern.org/fr/

https://www.robinwood.de/magazin/wilde-w%C3%A4lder-sch%C3%BCtzen