Par Jean Bédard

Pour faire la guerre, il faut canaliser la haine, rassembler la cupidité et pervertir la transcendance, un travail de démon.

La haine. En organisant une société sur l’injustice, on engendre de multiples frustrations. Elles devraient normalement se diriger contre les responsables de ces injustices, elles seront redirigées vers des ennemis extérieurs et des boucs émissaires intérieurs sous forme de haine. Sans ce détournement d’énergie, on assisterait à une formidable transformation sociale, ce qu’il faut éviter à tout prix. La guerre est une révolution détournée.

La cupidité. Pour fonder une société sur l’injustice, chaque être doit perdre sa valeur irremplaçable (sa dignité d’être humain) pour recevoir une valeur d’échange (ses revenus et ses biens). La cupidité peut alors prendre prise. On réalise des échanges totalement injustes : par exemple, une heure paysanne pour un dixième de seconde du travail d’un PDG d’entreprise. Le mieux consiste à prendre toutes les ressources d’un pays par la force. La guerre est un pillage pur et simple.

La transcendance. La guerre est toujours une idée placée au-dessus des êtres vivants, tuer au nom d’une idéologie. Cela n’a rien à voir avec l’expérience de la transcendance, au contraire, c’est une perversion pure et simple de la transcendance. Car justement qui a fait une expérience de la transcendance a réalisé de façon intime et irréversible que la vie prime sur l’idée. La guerre est un ensemble de meurtres.

Pour faire la guerre, on doit créer, entretenir, catalyser et canaliser ces trois éléments. La guerre est forcément le fait d’une certaine tyrannie. Traiter celui qui défend sa maison sur le même pied d’égalité que celui qui attaque est sans doute la plus grande des injustices. La guerre est une guerre contre la démocratie, contre l’humanité (bienveillance et compassion pour autrui), le combat de l’inconscience contre la conscience, le résultat d’un processus de refoulement des ressentiments utilisés par des tyrans pour leur propre survie politique.

La paix ne peut être qu’un effort de la conscience afin d’éviter le refoulement en orientant les frustrations légitimes vers plus de justice. C’est pourquoi la prévention gagne la guerre alors que la passivité la perdra à tout coup.

Une fois la guerre commencée, la défense doit être immédiate et décisive. Nous n’avons pas le droit de laisser la victime à elle-même. Ce n’est pas une question de sécurité pour l’Europe, mais de sécurité pour l’humanité, ce n’est pas une question de solidarité dans l’OTAN, mais de solidarité humaine. Chacun d’entre nous est appelé à la défense de chaque Ukrainien et de chaque Russe refusant la tyrannie : qui, en relayant des images et des informations; qui, en arrêtant de consommer directement ou indirectement des produits de l’attaquant; qui, en méditant ou en priant; qui, par des dons; qui, en accueillant un réfugié; qui, par des cris d’espérance contre la militarisation du monde…

Et chacun poussant dans le dos des gouvernements pour les sortir de leur peur et de leur torpeur. Tous dans la rue. La nourriture du tyran, c’est celui qui ne veut rien perdre, garder tous ses privilèges, profiter des ressources du tyran, parler en refusant le moindre sacrifice.

Chaque petite complicité tue, chaque action de solidarité donne vie.

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