Nous l’avons approchée par courriel avec une question : Comment l’université peut-elle contribuer au mouvement vert au-delà de l’installation de bacs de recyclage dans ses locaux ? Et elle nous a répondu par un cas pratique : l’ILP (Initiative Législative Populaire) qui est maintenant en cours et qui vise à donner une personnalité juridique à la lagune de Mar Menor et à son bassin est apparue dans l’un de ses cours.

Nous parlons de Teresa Vicente Giménez, professeure de philosophie du droit et directrice de la chaire des droits humains et des droits de la nature à l’université de Murcie. Cette enseignante universitaire incarne la relation ultime entre l’université et l’environnement : depuis ses études universitaires, elle est liée au mouvement environnemental – sa thèse de doctorat portait sur « Justice et droit de l’environnement : pour un modèle de justice écologique » ; aujourd’hui, elle parle lors des différentes éditions de la COP (Conférence des Nations unies sur le changement climatique) et d’autres réunions internationales sur le climat, elle donne des conférences dans les universités et conseille sur les questions environnementales.

L’initiative législative populaire sur laquelle elle travaille depuis des années a une histoire qui reflète l’importance de l’université, non seulement au moment de donner un cadre théorique à une question d’actualité, mais aussi dans son rôle de catalyseur de processus qui finissent par rendre une idée tangible dans tout un mouvement qui est appelé à être une référence mondiale.

Ainsi, nous avons demandé à Teresa Vicente, lors d’un appel téléphonique ultérieur, de nous décrire le processus pour que nous puissions réfléchir ou être inspirés. « Teresa, comment a-t-il été possible qu’une initiative que des étudiants de l’Université de Murcie ont lancée a déjà obtenu plus de 615 000 signatures et va être défendue devant le Congrès des députés le 15 mars face à la Commission de la transition écologique » ? Et ceci nous a été envoyé. Merci.

Dans le but de promouvoir la conscience écologique afin de reconnaître la valeur de la nature, l’Assemblée générale des Nations unies, réunie le 20 décembre 2013, a décidé de proclamer le 3 mars Journée mondiale de la nature. Le Conseil des écoles supérieures universitaires d’Espagne (Consejo de Colegios Mayores Universitarios de España) a choisi ce jour pour vous proposer un article sur la lutte de l’humanité pour la reconnaissance des droits de la Nature. Merci pour votre choix, du fond du cœur.

Au cours de l’année universitaire 2019/2020, la Clinique Juridique de la Faculté de droit de l’Université de Murcie a commencé une étude sur la possibilité de donner à la lagune de Mar Menor une personnalité juridique et des droits propres, étude qui s’est achevée en mai 2020 et a été publiée dans le journal La opinión de Murcia. À partir de ce moment, on a mis en pratique le mécanisme pour passer une initiative législative populaire ILP municipale ; cette ILP a été acceptée en juillet à la mairie de Los Alcázares mais n’a pas été admise à être traitée par l’Assemblée régionale de Murcie. Au cours du même mois de juillet, l’initiative législative populaire nationale a été lancée, et elle se trouve maintenant au Parlement national pour être discutée et approuvée dans les mois à venir.

Ce sont les étudiants de l’université qui ont proposé de réaliser une étude pour pouvoir donner à notre lagune mortellement blessée son droit à la vie, à la récupération, à la protection, à la conservation et à la résilience. En octobre 2019, le cri de suicide de milliers de poissons et de crustacés sautant à terre parce que l’eau de la lagune était devenue irrespirable est devenu le cri de citoyens ayant une forte conscience écologique réclamant des droits pour la lagune de Mar Menor ; une seconde hécatombe a pris place en août 2021, et cela a été le moment où l’initiative législative populaire a dépassé le nombre de signatures dont elle avait besoin pour pouvoir atteindre le Congrès des députés.

Les raisons qui ont poussé les citoyens espagnols à proposer une loi reconnaissant la personnalité juridique de la lagune de Mar Menor et de son bassin pour lui conférer des droits propres, sont les graves dommages écologiques qu’elle a subis, l’inefficacité des réglementations juridiques actuelles qui ont essayé de la protéger et la responsabilisation de la société civile pour rendre effective la participation au questions environnementales.

L’urgence écologique à laquelle nous sommes confrontés et l’échec des solutions politico-juridiques adoptées jusqu’à présent exigent une révision de la structure du système et des modèles normatifs, ainsi qu’un processus de transformation qui abandonne l’hypothèse du modèle anthropocentrique, centré sur l’être humain, et progresse vers une nouvelle perspective écocentrique, qui reconnaisse l’interrelation entre les êtres humains et la nature dont nous faisons partie. C’est le changement dont nous avons besoin et les droits de la nature contribuent à faire passer le paradigme de la domination humaine à un paradigme écologique centré sur les écosystèmes et le lien entre la culture et la nature.

Texte sur l’image : La lagune de Mar Menor peut-elle avoir des droits comme les personnes ? Embrassons Mar Menor

Quand la loi est en “harmonie avec la nature”

En Espagne, comme dans d’autres pays d’Europe et du monde, nous sommes confrontés à des risques écologiques et sociaux majeurs qui constituent une menace pour notre planète et pour l’humanité, et les solutions pour faire face à ce problème ne sont pas efficaces. Depuis que le Sommet de la Terre de 1992 a lancé la Convention sur la diversité biologique, la Convention – cadre sur les changements climatiques et la Convention sur la lutte contre la désertification, l’aggravation de la situation planétaire par la perte de biodiversité, le réchauffement climatique et l’augmentation de la désertification, année après année, met en évidence l’échec et l’inefficacité de cette protection juridique. L’accord de Paris de 2015 n’a pas non plus réussi à atteindre ses objectifs de prévention de la hausse de la température mondiale, comme en témoigne le diagnostic du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat GIEC (acronyme anglais IPCC) de 2021, voir le Résumé pour les créateurs de politiques (Groupe de travail/contribution au sixième rapport d’évaluation du groupe intergouvernemental) Summary for the policymakers (Working Group/Contribution to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental).

Les mesures de protection et les instruments régulateurs qui ont été mis en place au cours des vingt-cinq dernières années pour protéger la lagune de Mar Menor ont été insuffisants et inefficaces, bien qu’ils aient servi à confirmer l’importance de la valeur écologique de la lagune :

  1. Sur le plan International : reconnaissance en tant que zone humide Ramsar (NdT. : Ramsar est une ville en Iran où la convention a été signée) (zones humides d’importance internationale, notamment comme habitat pour les oiseaux aquatiques), ZEPIM (zone de protection spéciale d’importance méditerranéenne. Convention de Barcelone.) (Zona de Especial Protección de Importancia para el Mediterráneo. Convenio de Barcelona) ;
  2. Sur le plan Européen : réseau Natura 2000, ZPS (zone spéciale de conservation pour les oiseaux) (NdT : l’acronyme vient de Zone de protection spéciale) et ZSC (zones spéciales de conservation) ;
  3. Sur le plan National : Parc régional des Salinas de San Pedro et paysages protégés des espaces ouverts et des îles de la Mar Menor ; zone de protection de la faune.

Le mouvement social qui est parvenu à dépasser le minimum de 500 000 signatures, requis par l’initiative législative populaire reconnue par la constitution espagnole (article 87.3) par rapport à la loi administrative 3/1984, dans un contexte d’isolement dû à la pandémie du Covid, rejoint le mouvement social et juridique le plus important du XXIe siècle pour la défense des droits de la Nature.

Traduction texte : Collecte des signatures. Compte à rebours depuis la fin du délai. Jours heures minutes secondes. Le délai a expiré le 28/10/2021. Actuellement, après avoir recueilli plus de 615 000 signatures (dépassant ainsi les 500 000 nécessaires), l’initiative est au Parlement espagnol.

Le congrès a prolongé le délai de dépôt des signatures de trois mois supplémentaires, du 28 octobre 2021 au 28 janvier 2022. Le délai supplémentaire n’a pas été utilisé, car les pétitions comportant plus que les 500 000 signatures requises (celle pour la Mar Menor en comportait plus de 615 000) ont été soumises le 27 octobre 2021.

L’initiative législative visant à accorder des droits à la lagune de Mar Menor a été incluse dans le dixième rapport du Secrétaire général des Nations unies sur l’harmonie avec la nature (A/75/266) (Secretario General de las nacional Unidas sobre Armonía con la Naturaleza). Ce dernier rapport du 28 juillet 2020 précise que « La reconnaissance de la nature comme sujet de droits contraste fortement avec les lois actuelles de protection de l’environnement, qui sont anthropocentriques. » « L’une des raisons fondamentales pour lesquelles le droit de l’environnement n’est pas efficace pour protéger la nature est le fait qu’il n’a jamais remplacé l’idée d’exploitation illimitée de la planète, promue par le droit privé moderne, par le concept de durabilité. » « Au cours des 50 dernières années, malgré la reconnaissance croissante du lien entre les droits humains et l’environnement dans lequel nous vivons, la plupart des lois environnementales n’ont pas réussi à réduire la pollution et à empêcher la disparition des espèces et des habitats dont dépendent les êtres humains. » « La reconnaissance des droits de la nature dans le droit comble cette lacune et complète les droits humains ».

La reconnaissance des droits de la nature est un mandat international. La mise en œuvre du programme “Harmonie avec la nature” par l’Assemblée générale met particulièrement l’accent sur la promotion de nouveaux outils et concepts juridiques comme la Jurisprudence de la Terre et l’Impératif écologique, dans le but de créer un système de justice de la Terre qui reconnaisse et protège les droits de la Terre et de toutes ses espèces en tant que réalité vivante, démontrant encore plus l’engagement en faveur d’un changement de paradigme, d’une société centrée sur l’être humain vers une société centrée sur la Terre, dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.

Si le riz avait des droits

Les droits de la nature sont déjà une réalité dans plusieurs des systèmes juridiques du monde ; ils font partie de l’avant-garde juridique internationale et le processus est irrépressible. Sur différents continents, il existe des exemples de reconnaissance de droits pour des écosystèmes écologiquement précieux et menacés. Au XXIe siècle, plusieurs pays ont reconnu les droits de la nature (DdN) (en anglais Rights of Nature RoN) dans leurs cadres juridiques ou jurisprudentiels. Aux États-Unis, plus de 30 municipalités dans les États de Pennsylvanie, d’Ohio, du Wisconsin, d’Oklahoma, d’Oregon, de Californie, de Virginie, du New Hampshire, du Maine, de Floride et du Maryland ont adopté des lois qui confèrent aux communautés et écosystèmes locaux un statut juridique et aux individus le droit de les défendre devant les tribunaux, l’approche reposant sur l’idée que les individus peuvent défendre les droits des écosystèmes.

Au Canada, la rivière Magpie, au Québec, a une personnalité juridique. En Amérique du Nord, le peuple Ojibwe, l’une des plus grandes tribus d’Amérindiens vivant aux États-Unis et au Canada, a reconnu les droits du riz sauvage de White Earth (NdT. : White Earth – Terre Blanche – est une réserve des indigènes dans le Minnesota) « parce qu’il est devenu nécessaire de fournir une base juridique pour protéger, pour les générations futures, le riz sauvage et les ressources en eau douce dans le cadre de notre traité principal. » Les droits du Manoomin ou riz sauvage suivent le modèle des droits de la nature adopté au niveau international au cours des dernières décennies : « Il possède des droits inhérents à l’existence, à l’épanouissement, à la régénération et à l’évolution, ainsi que des droits inhérents à la restauration, à la récupération et à la préservation. »

Le peuple autochtone des Yurok a également reconnu la personnalité juridique et les droits inhérents de la rivière Klamth, qui traverse les États de l’Oregon et de la Californie pour se jeter dans le Pacifique. En Amérique du Sud, certains pays ont des lois similaires : l’Équateur (constitution de 2008, rivière Vilcabamba), la Bolivie (loi sur les droits de la Terre Mère du 21 décembre 2010, loi nº 071), Colombie (rivières Atrato, Coelho, Combeina et Cocora, Amazonie colombienne, parc de l’île de Salamanca). En Océanie, en Nouvelle-Zélande (rivière Whanganui). En Inde (Ganges et Yamuna). En Afrique (l’Ouganda, à la mi-2019, a inscrit les droits de la nature dans la loi nationale sur l’environnement.)

En Europe, le mouvement Droits de la Nature DdN (En anglais Rights of Nature RoN) est plus récent mais suscite un intérêt croissant parmi les citoyens et les représentants locaux. Plusieurs initiatives se distinguent en Suède, en Irlande du Nord, en France (le Rhône et le fleuve Tavignanu en Corse), en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark (Mer du Nord, Mer des Wadden) et surtout en Espagne, qui est le pays le plus avancé, avec l’initiative législative populaire pour la lagune de Mar Menor.

Dans l’Union européenne, bien que la majorité des systèmes juridiques et des lois modernes sur l’environnement traitent la nature comme un objet ou une ressource à gérer au profit de l’être humain, le Comité économique et social dispose d’un projet de Charte des droits fondamentaux de la nature, et il est proposé d’annoncer au Parlement européen les initiatives en cours dans les différents pays, initiatives qui visent à reconnaître les droits de leurs écosystèmes ; parmi ces initiatives, l’initiative législative populaire pour la lagune de Mar Menor occupera une place importante en tant que premier écosystème doté de droits propres en Europe. Dans ce sens, l’initiative législative populaire pour la lagune de Mar Menor a été le protagoniste invité à la présentation, le 2 février à Amsterdam, du compendium « Droits de la nature. Études de cas venant de six continents » (Rights of Nature. Case-Studies from Six Continents), un événement organisé par l’Ambassade de la Mer du Nord.

COP. L’arrivée au sommet… et le désappointement face à la vue

Les droits de la nature ont été présents lors du dernier sommet des Nations unies COP 26 qui s’est tenu à Glasgow, au Royaume-Uni ; ils faisaient partie du langage et du discours du groupe des Femmes pour la justice climatique Gender CC – Women for Climate justice – (NdT : Ce réseau a pour but d’intégrer la justice pour le genre dans les politiques pour le changement climatique) – l’organisation avec laquelle j’ai été désignée par les Nations unies pour participer au Sommet. Le cas de l’initiative législative populaire visant à reconnaître les droits de la lagune de Mar Menor a fait l’objet d’une session spéciale lors du Sommet des peuples de la COP 26, People Summit; la session a eu lieu le 9 novembre au Glasgow Film Theatre.

Participants lors de la COP 26 en novembre 2021 UNFCCC COP 26 4 nov 21. Actions des sociétés civiles KiaraWorth 9. (N.d.T : les notes vont de A à F ; A est la meilleure, F est l’échec. WIM (Warsaw International Mechanism for Loss and Damage – Le mécanisme international de Varsovie pour les pertes et dommages s’occupe des dommages associés avec le changement climatique dans les pays en voie de développement particulièrement vulnérables au changement climatique.)

Le sommet sur le climat de cette année s’est clôturé sur un nouveau sentiment d’échec de la part des scientifiques et des sociétés civiles. GenderCC – Women for Climate Justice – a exprimé son inquiétude quant au fait que la COP de cette année a encore davantage exclu les voix des personnes les plus vulnérables, en particulier celles des sociétés civiles du Sud Global. Les droits humains et les droits de la nature ont été affaiblis face aux droits des entreprises et du marché ; en ce qui concerne l’échange des droits d’émission, les droits humains ont été dilués, tandis que ceux qui croient au marché ont obtenu ce qu’ils voulaient en introduisant des crédits qui n’ont besoin de répondre à aucun critère de durabilité et de droits humains.

Pour les peuples autochtones et les communautés de première ligne, cela signifie faire face aux désastres climatiques sans soutien financier adéquat, alors que leurs droits fonciers risquent d’être affectés par les marchés mondiaux du carbone. Certains groupes ont aussi exprimé leur inquiétude quant à la manière dont l’énergie nucléaire a été présentée comme une solution à la transition énergétique lors de la COP 26. Et nous affirmons vigoureusement que l’énergie nucléaire n’est pas verte, qu’elle est dangereuse, coûteuse, qu’elle laisse de grandes quantités de déchets radioactifs, qu’elle pollue les terres et contamine les personnes, et qu’elle viole les droits humains et les droits des autochtones. L’extraction et le traitement de l’uranium consomment beaucoup d’énergie et génèrent de grandes quantités d’émissions de CO2. Les femmes sont plus susceptibles de souffrir et mourir de cancers radio-induits et ont mené la lutte contre l’énergie nucléaire dans le monde entier. Sans oublier l’interdépendance entre les industries nucléaires civiles et militaires. La crise en Russie et en Ukraine nous a fait prendre conscience une fois de plus de cette interdépendance alors que nous faisons face au risque d’une attaque nucléaire.

La personnalité juridique. Les conséquences réelles d’une fiction

La défense devant le Parlement espagnol de l’initiative législative populaire de la lagune de Mar Menor s’inscrit dans le cadre d’une démocratie sociale et participative, reconnue par la Constitution espagnole de 1978, dans laquelle il est déclaré que les citoyens doivent être informés des questions environnementales qui les concernent et peuvent participer à la prise de décisions concernant ces questions, comme le garantit la Convention d’Aarhus, à laquelle l’Espagne et l’Union Européenne sont parties.

Cette initiative législative défend les intérêts de la communauté, de ses êtres humains et non humains ; elle considère non seulement les personnes concernées, mais aussi les poissons, les crustacés, les plantes, la microfaune et les éléments divers qui composent et interagissent dans l’écosystème lagunaire menacé. La défense des droits propres de la lagune de Mar Menor nous fait réfléchir à ce qu’est la nature (le centre de la vie), à ce qu’est notre nature (biologique plutôt que technologique) et à la relation entre les êtres humains et les êtres non-humains (une relation de complémentarité et d’interaction).

L’initiative législative populaire visant à reconnaître une personnalité juridique et des droits propres à la lagune de la lagune de Mar Menor et à son bassin s’inscrit dans ce nouveau modèle écologique d’interdépendance avec la nature. La personnalité juridique est une fiction créée par la loi afin de pouvoir accorder des droits à une entité physique pour sa défense et sa protection. Il s’agit de progresser dans l’égalité et la distribution des droits, qui ne seront plus seulement détenus par les individus, les entreprises ou les entités commerciales, mais aussi par la nature et les écosystèmes en tant qu’unités de base de vie sur la Terre. La fiction de la personnalité juridique et des droits des entités et des entreprises, qui traitent la nourriture comme un produit et la nature comme un simple objet afin de maximiser les profits, doit être limitée par la reconnaissance de la personnalité juridique des écosystèmes afin de mettre un terme à l’exploitation effrénée de l’environnement naturel et d’empêcher la destruction des fondements écologiques de la vie.

« Il s’agit de progresser dans l’égalité et la répartition des droits, qui ne seront plus détenus uniquement par les individus, les entreprises ou les entités commerciales ».

Les dommages causés à la lagune de Mar Menor sont liés à un modèle de développement basé sur l’exploitation et la domination de la lagune et de son bassin sans tenir compte de la nécessité d’une adaptation à l’époque et des besoins écologiques de l’écosystème. La pollution de la lagune de Mar Menor par les nitrates, qui a conduit à son effondrement imminent, après qu’elle ait subi depuis les années 1960 une hypertrophie économique non contrebalancée sur le plan environnemental, est en grande partie causée par l’activité agricole et l’élevage intensifs prenant place dans le bassin (400 hectares d’irrigation intensive et 5800 têtes de porcs) au cours des dernières décennies. Paradoxalement, “pouvoir nourrir les gens” est utilisé comme argument pour le modèle d’agriculture et l’élevage intensif, mais un système alimentaire qui détruit et pollue la nature ne peut pas constituer une base alimentaire sûre et durable.

Texte sur l’image : Cette situation affecte également le niveau psychologique avec le stress et la dépression.

L’agriculture et l’élevage intensifs dans le bassin de la lagune de Mar Menor ont dénaturé la campagne de Carthagène et ont précipité l’effondrement de la lagune. La tragédie écologique de la lagune de Mar Menor et de son bassin a eu un effet profond sur l’élevage extensif, car les sentiers traditionnels sur lesquels se déplaçaient les troupeaux transhumants de la Sierra del Segura ont disparu, et la libre circulation de la faune terrestre a été entravée. Les sentiers d’élevage jouent non seulement un rôle fondamental dans la connectivité des écosystèmes, mais représentent également un réservoir de biodiversité, et pourraient jouer un rôle important en tant que barrières naturelles pour retenir l’eau et les sédiments pollués par l’agriculture intensive, limitant ainsi leur déversement dans la lagune de Mar Menor. L’exploitation industrielle réduit la biodiversité présente dans l’agriculture (agrobiodiversité), dans la flore et la faune, et fait disparaître les pollinisateurs et les insectes utiles.

En plus, cette situation contribue à l’effet de serre et provoque un changement climatique, car une partie des émissions de gaz à effet de serre provient de l’utilisation de combustibles fossiles nécessaires au système agricole pour fabriquer des engrais, déplacer les machines agricoles, et transporter les aliments sur des milliers de kilomètres ; il ne faut pas oublier non plus l’énorme source de méthane, un autre produit toxique responsable du réchauffement de la planète.

Une autre façon de penser, d’être, et d’agir

Ce dont il s’agit avec la proposition de droits pour la lagune de Mar Menor et son bassin, c’est défendre un modèle écologique de respect et d’adaptation à la nature, à ses époques, à ses cycles, à sa diversité et à ses besoins afin de pouvoir produire plus d’aliments et des aliments meilleurs avec moins de ressources. Le modèle industriel est en conflit avec le modèle écologique quand il détruit la nature. À partir du nouveau modèle écologique de l’initiative législative populaire en cours, on aborde la défense des droits de l’écosystème de la lagune de Mar Menor à l’existence et à l’évolution naturelle, à la récupération, à la protection, à la conservation, à l’entretien et à la restauration pour permettre la résilience du bassin et de la lagune. Restaurer et renaturaliser le bassin signifie récupérer les caractéristiques naturelles de la campagne de Carthagène, ce qui comprend également la délimitation et la récupération de 43 sentiers d’élevage.

Tant la nouvelle science de l’écologie, qui s’est développée au cours du XXe siècle dernier, que la nouvelle ère de l’Anthropocène que connaît notre planète, mettent en évidence l’erreur ontologique et épistémologique consistant à considérer la culture et l’être humain comme séparés de la nature, et promeuvent une rationalité, une cosmologie, une ontologie et une épistémologie différentes dans la pensée occidentale ; ceci est accompli à partir d’une nouvelle perspective qui intègre nature et culture. Le modèle anthropocentrique, la séparation entre l’Homme et la Nature perdure dans les sphères juridiques, politiques, économiques et culturelles, car il est l’une des bases inventées et universalisées (depuis l’époque moderne) pour garantir le succès de la rationalité hégémonique d’une certaine logique économique qui continue à dominer le monde. Néanmoins, une autre façon de penser, d’être et d’agir est à la base des droits de la nature : l’interaction et l’intégrité systémique de toutes les formes de vie.

« L’erreur ontologique et épistémologique consistant à considérer la culture et les êtres humains comme séparés de la nature est révélée. »

Dans le domaine du droit, reconnaître et corriger l’erreur de l’anthropocentrisme et évoluer vers la nouvelle conception éco-centrique signifie passer de la justice sociale (la plus grande réalisation de la civilisation juridique occidentale) à la justice écologique, qui reconnaît l’interaction des êtres humains avec la nature. Le modèle de la justice écologique, la jurisprudence de la Terre ou le mandat écologique, offrent à la théorie du droit une nouvelle perspective juridique dans le contexte de la positivation, de l’interprétation et de l’application des droits, au-delà de la génération des droits économiques sociaux et culturels qui ont donné naissance à la justice sociale, pour avancer dans la reconnaissance d’une nouvelle génération de droits de la nature.

La reconnaissance des droits de la nature implique de profonds changements dans les concepts juridiques de la théorie juridique classique, comme le passage d’une relation juridique de réciprocité à une relation juridique de complémentarité avec l’environnement naturel, ainsi que l’élargissement des champs d’application spatiaux et temporels du droit pour inclure les générations futures et les implications planétaires des écosystèmes

Pour une évolution des droits de la nature

Le débat juridique sur les droits de la nature est relativement récent dans le monde occidental et a débuté dans le contexte du mouvement environnemental en plein essor dans les années 1970 en Amérique du Nord. En 1972, Christopher D. Stone, professeur de droit à l’université de Californie du Sud a évoqué la possibilité que la nature ait des droits à part entière dans un article intitulé “Les Arbres Devraient-ils Avoir Leur Propre Statut Juridique ?” (Should Trees Have Standing ?”), qui a ouvert un débat sur les droits juridiques de la nature ; ce débat a atteint la Cour suprême des États-Unis. Le professeur Stone a été suivi par d’autres, comme Roderick Nash, professeur à l’université de Californie (Santa Barbara) ; en 1984, il a publié un article intitulé “Les Roches Ont-elles des Droits ?” (Do Rocks Have Rights), où il a trouvé le fondement des idées d’Aldo Leopold sur l’éthique de la Terre ; et en 1989, il a publié son livre “Les Droits de la Nature : Une Histoire d’Éthique Environnementale” (The Rights of Nature : A History of Environmental Ethics), où il propose l’extension des droits de la nature comme étant l’évolution logique des droits.

Au XXIe siècle, le mouvement social et juridique pour la défense des droits de la nature est à l’avant-garde au niveau international, et l’initiative législative populaire visant à reconnaître la personnalité juridique de la lagune de la lagune de Mar Menor et de son bassin en fera le premier écosystème doté de ses droits propres en Europe. Comme l’a souligné l’Assemblée générale des Nations unies à l’occasion de la Journée mondiale de la nature, il est très important de renforcer la conscience écologique de l’humanité, et l’éducation, primaire, secondaire, et universitaire, constitue un mécanisme clé à cet égard. Enseignant pour l’Avenir (Teacher for Future) joue un rôle important dans les premières étapes de l’éducation avec les enfants et les adolescents, mais la formation universitaire dans le domaine interdisciplinaire de la science est également décisive pour faire face à la grave crise écologique et sociale que nous subissons, en utilisant de nouveaux modèles qui reconnaissent la valeur de la nature et de l’interaction entre l’humanité et la Terre et pour avancer avec espoir et efficacité vers un monde dans lequel tous les habitants pourront partager le droit de vivre et de se développer en accord à leur essence vitale et dans la PAIX.

 

Traduction de l’espagnol, Evelyn Tischer