L’une des plus importantes questions ouvertes en sciences est de savoir comment notre conscience est fondée. Dans les années 1990, bien avant de recevoir le prix Nobel de physique en 2020 pour sa prédiction des trous noirs, le physicien Roger Penrose faisait équipe avec l’anesthésiste Stuart Hameroff pour proposer une réponse ambitieuse.

Ils affirmèrent que le système neuronal du cerveau forme un réseau complexe et que la conscience qu’il produit devrait obéir aux règles de la mécanique quantique – la théorie qui détermine comment de minuscules particules comme les électrons se déplacent. Selon eux, cela pourrait expliquer la mystérieuse complexité de la conscience humaine.

Penrose et Hameroff ont été accueillis avec incrédulité. Les lois de la physique quantique ne s’appliquent généralement qu’à de très basses températures. Les ordinateurs quantiques, par exemple, fonctionnent actuellement à environ -272°C. À des températures plus élevées, la physique classique prend le dessus. Comme notre corps fonctionne à température ambiante, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit régi par les lois classiques de la physique. C’est pourquoi la théorie de la conscience quantique a été rejetée d’emblée par de nombreux scientifiques – bien que d’autres en soient des partisans convaincus.

Au lieu d’entrer dans ce débat, j’ai décidé d’unir mes forces à celles de mes collègues chinois, dirigés par le professeur Xian-Min Jin de l’université Jiaotong de Shanghai, et de tester certains des principes qui sous-tendent la théorie quantique de la conscience.

Dans notre nouvel article, nous avons étudié comment les particules quantiques pouvaient se déplacer dans une structure complexe comme le cerveau, mais en laboratoire. Si nos résultats peuvent un jour être comparés à l’activité mesurée dans le cerveau, nous pourrions nous rapprocher de la validation ou du rejet de la théorie controversée de Penrose et Hameroff.

Cerveau et fractales

Notre cerveau est composé de cellules appelées neurones, et leur activité combinée est censée générer la conscience. Chaque neurone contient des microtubules, qui transportent des substances vers différentes parties de la cellule. La théorie de la conscience quantique de Penrose-Hameroff soutient que les microtubules sont structurés selon un modèle fractal qui permettrait aux processus quantiques de se produire.

Les fractales sont des structures qui ne sont ni bidimensionnelles ni tridimensionnelles, mais qui ont une valeur fractionnaire entre les deux. En mathématiques, les fractales apparaissent comme de magnifiques motifs qui se répètent à l’infini, générant ce qui semble impossible : une structure dont la surface est finie, mais le périmètre infini.

Pour voir la vidéo ( 4′ 13′′ ) avec les sous-titres en français sur un ordinateur : 1. Cliquez sur l’icône Sous-titres (rectangle blanc en bas à droite de la fenêtre du lecteur vidéo).   2. Cliquez sur l’icône Paramètres (roue dentée en bas à droite), puis cliquez successivement sur Sous-titres, puis sur Traduire automatiquement.    3. Dans la fenêtre qui s’ouvre, faites défiler la liste des langues et cliquez sur Français.


À lire aussi :
Explainer: what are fractals?
(en Anglais)


Cela peut sembler impossible à visualiser, mais les fractales sont en fait fréquentes dans la nature. Si vous observez attentivement les fleurons d’un chou-fleur ou les branches d’une fougère, vous verrez qu’ils sont tous deux constitués de la même forme de base qui se répète sans cesse, mais à des échelles de plus en plus petites. C’est l’une des principales caractéristiques des fractales.

Il en va de même si vous regardez à l’intérieur de votre propre corps : la structure de vos poumons, par exemple, est fractale, tout comme les vaisseaux sanguins de votre système circulatoire. Les fractales sont également présentes dans les œuvres d’art répétitives et enchanteresses de MC Escher et Jackson Pollock, et elles sont utilisées depuis des décennies dans la technologie, notamment pour la conception d’antennes. Tous ces exemples sont des exemples de fractales classiques – des fractales qui respectent les lois de la physique classique plutôt que celles de la physique quantique.

A fractal Escher artwork
Cette extension du Circle Limit III d’Escher montre sa nature fractale et répétitive.
Vladimir-Bulatov/Deviantart, CC BY-NC-SA

Il est facile de comprendre pourquoi les fractales ont été utilisées pour expliquer la complexité de la conscience humaine. Parce qu’elles sont infiniment complexes et permettent à la complexité d’émerger de simples motifs répétés, elles pourraient être les structures qui soutiennent les profondeurs mystérieuses de notre esprit.

Mais si tel est le cas, cela ne peut se produire qu’au niveau quantique, avec de minuscules particules se déplaçant selon des schémas fractals à l’intérieur des neurones du cerveau. C’est pourquoi la proposition de Penrose et Hameroff est appelée théorie de la « conscience quantique ».

La conscience quantique

Nous ne sommes pas encore capables de mesurer le comportement des fractales quantiques dans le cerveau – si tant est qu’elles existent. Mais grâce aux progrès technologiques, nous pouvons désormais mesurer les fractales quantiques en laboratoire. Dans le cadre de recherches récentes impliquant un microscope à effet tunnel (STM), mes collègues d’Utrecht et moi-même avons soigneusement disposé des électrons selon un modèle fractal, créant ainsi une fractale quantique.

Lorsque nous avons ensuite mesuré la fonction d’onde des électrons, qui décrit leur état quantique, nous avons constaté qu’ils vivaient également à la dimension fractale dictée par le modèle physique que nous avions créé. Dans ce cas, le modèle que nous avons utilisé à l’échelle quantique était le triangle de Sierpiński, qui est une forme qui se situe quelque part entre l’unidimensionnel et le bidimensionnel.

Pour voir la vidéo ( 5′ 40′′ ) avec les sous-titres en français sur un ordinateur : 1. Cliquez sur l’icône Sous-titres (rectangle blanc en bas à droite de la fenêtre du lecteur vidéo).   2. Cliquez sur l’icône Paramètres (roue dentée en bas à droite), puis cliquez successivement sur Sous-titres, puis sur Traduire automatiquement.    3. Dans la fenêtre qui s’ouvre, faites défiler la liste des langues et cliquez sur Français.

Il s’agit d’une découverte passionnante, mais les techniques STM ne permettent pas de sonder le mouvement des particules quantiques, ce qui nous permettrait d’en savoir plus sur la manière dont les processus quantiques peuvent se produire dans le cerveau. Dans nos dernières recherches, mes collègues de l’université Jiaotong de Shanghai et moi-même sommes allés un peu plus loin. Grâce à des expériences photoniques de pointe, nous avons pu révéler le mouvement quantique qui se produit au sein des fractales avec des détails sans précédent.

Nous y sommes parvenus en injectant des photons (particules de lumière) dans une puce artificielle qui a été minutieusement conçue sous la forme d’un minuscule triangle de Sierpiński. Nous avons injecté des photons à la pointe du triangle et observé comment ils se propageaient dans toute sa structure fractale au cours d’un processus appelé transport quantique. Nous avons ensuite répété cette expérience sur deux structures fractales différentes, toutes deux en forme de carrés plutôt que de triangles. Et dans chacune de ces structures, nous avons mené des centaines d’expériences.

A repeating square fractal

Nous avons également mené des expériences sur une fractale de forme carrée appelée le tapis de Sierpiński.
Johannes Rössel/wikimedia

Les observations que nous avons faites à partir de ces expériences révèlent que les fractales quantiques se comportent en fait d’une manière différente des fractales classiques. Plus précisément, nous avons constaté que la propagation de la lumière à travers une fractale est régie par des lois différentes dans le cas quantique par rapport au cas classique.

Cette nouvelle connaissance des fractales quantiques pourrait fournir aux scientifiques les bases nécessaires pour tester expérimentalement la théorie de la conscience quantique. Si des mesures quantiques sont un jour réalisées dans le cerveau humain, elles pourraient être comparées à nos résultats pour déterminer définitivement si la conscience est un phénomène classique ou quantique.

Notre travail pourrait également avoir de profondes implications dans d’autres domaines scientifiques. En étudiant le transport quantique dans nos structures fractales artificielles, nous avons peut-être fait les premiers petits pas vers l’unification de la physique, des mathématiques et de la biologie, ce qui pourrait considérablement enrichir notre compréhension du monde qui nous entoure ainsi que du monde qui existe dans notre tête.

 

Auteur

Cristiane de Morais Smith, Professor, Theoretical Physics, Utrecht University

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

Traduction de l’anglais, Valérie Egidi

L’article original est accessible ici