TRAFFIC est le réseau de surveillance du commerce des animaux et plantes sauvages, c’est la principale organisation non-gouvernementale qui s’occupe au plan mondial des espèces animales et végétales sauvages. TRAFFIC est une alliance stratégique du Fond mondial pour la nature (WWF) et de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

Dans un contexte marqué d’une part par la surexploitation des ressources fauniques qui entraîne le déséquilibre dans le cycle de reproduction d’animaux sauvages et d’autres part, la conservation de la biodiversité, le Directeur du Programme Afrique Centrale de TRAFFIC basé à Yaoundé au Cameroun livre les stratégies de protection de la faune et les pistes nécessaires à la conservation et à l’utilisation durable des produits de la faune.

Denis Mahonghol, avant d’arriver au poste qu’il occupe aujourd’hui, a été tour à tour, Chargé Programme Forêts et commerce ; Expert Forêts, Point Focal REDD+ et Expert Associé, Foresterie Communautaire en République Démocratique du Congo (RDC).

François TEKAM : Qui entretient les filières internationales de l’ivoire ?

Denis Mahonghol : Des consommateurs dont la demande alimente lesdites filières.

FT : L’éléphant est, depuis des décennies, l’animal phare de la CITES(*). Pourquoi ?

DM : L’éléphant est emblématique du commerce international d’un produit de la faune sauvage, l’ivoire. Et c’est une espèce emblématique reconnue dans le monde entier. C’est également le logo de la CITES.

FT : Pourquoi le commerce de l’ivoire même contrôlé et limité au maximum ouvre immanquablement les vannes du braconnage ?

DM : Il y a eu jusqu’à ce jour deux ventes légales « ponctuelles » et expérimentales de l’ivoire en 1999 et 2008. Le lien entre les deux ventes légales « ponctuelles » et expérimentales autorisées par la CITES et le braconnage est loin d’être confirmé, il est trop simpliste de dire que les ventes ont entraîné une augmentation du braconnage : l’augmentation de la richesse des consommateurs et la demande continue dans les pays consommateurs – notamment la Chine – sont des facteurs plus critiques qui alimentent le braconnage.

FT : Il y a deux décennies des voix se levaient pour demander la levée de l’interdiction du commerce de l’ivoire par la CITES. Raisons évoquées, les éléphants étaient trop nombreux dans certains pays d’Afrique au point où l’abattage de quelques milliers d’entre eux était même incontournable. Quelle est la situation de cette espèce aujourd’hui ?

DM : On pourrait dire qu’il y a trop d’éléphants dans certains pays d’Afrique australe et que les populations sont en pleine capacité de charge, ce qui entraîne une augmentation des cas de conflits Homme-Eléphant. Cependant, ces pays ont bien protégé leurs éléphants et n’ont pas connu de niveaux élevés de braconnage. La question de savoir s’il faut autoriser le commerce de l’ivoire a profondément divisé les pays africains – en gros, une division entre les pays du Sud qui sont favorables et les pays du Nord et de l’Est qui sont contre.

FT : Les instruments juridiques nationaux et internationaux suffisent-ils pour garantir une protection maximale aux animaux ?

DM : Il y a beaucoup de réglementations en vigueur, même si, bien sûr, des améliorations de la législation sont toujours nécessaires. Cependant, la qualité de la législation dépend de la façon dont elle est appliquée, ne l’oublions pas.

FT : Quelles analyses faites-vous des enjeux autour de la protection des espèces fauniques ?

DM : En ce qui concerne les éléphants en particulier, nous gérons la base de données ETIS – Elephant Trade Information System (Le Système d’Information sur le commerce des produits d’Eléphant) au nom des parties à la CITES. Cependant, nous opérons dans toute la chaîne de traçabilité du commerce des espèces sauvages.

FT : Durant ces deux dernières décennies, plusieurs pays au monde ont brûlé leur stock d’ivoire. Le feu suffit-il ?

DM : On ne sait toujours pas quels sont les effets de la combustion/mise à feu des stocks d’ivoire : elle met certainement l’ivoire hors de circulation, mais TRAFFIC considérerait comme condition préalable à toute destruction de ce type, la réalisation d’un audit complet et transparent, non défendu, de ce qui est/doit être détruit. De plus, l’ivoire n’est pas facile à brûler : il faut vérifier que ce qui a été brûlé est hors d’usage. En attendant, les signaux que cela envoie aux consommateurs existants ou potentiels ne sont pas clairs : en effet, cela ne fait-il que rendre l’ivoire plus rare, et donc faire monter les prix et le rendre plus désirable ? telles sont des questions qu’on devrait se poser.

FT : Comment mettre les coutumes et les traditions des communautés au service de la gestion des espèces protégées ?

DM : Les communautés locales ont un rôle essentiel à jouer dans les efforts de conservation sur le terrain. Sans leur appui et/ou soutien ces efforts sont condamnés à l’échec.

FT : Depuis la tenue du Forum mondial de La Haye en 2007, l’Afrique est en ordre de bataille contre le braconnage. Quelle est la perception de l’IFAW sur ce déploiement continental ?

DM : Je suppose que cela fait référence à la réunion de la CITES où la décision d’autoriser la vente unique d’ivoire a été approuvée ? Voir ci-dessus comment cela a conduit à un continent profondément divisé (référence faite aux ventes légales « ponctuelles » et expérimentales).

FT : Comme l’IFAW beaucoup d’ONG, Organismes et institutions sont au chevet des espèces fauniques protégées. À quand la protection ultime ?

DM : À quand la protection ultime, mais tout simplement le jour où l’Homme pourra vivre en harmonie avec la nature : en utilisant la faune sauvage, mais de manière durable et en respectant la législation en vigueur.

 

* CITES : Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction