Préambule

Cet article a pour objectif de montrer le clivage croissant au sein de la population bolivienne et le lien avec l’éducation, en s’appuyant sur un fait récent, la tentative de renversement d’une autorité élue, le maire de Samaipata, Flavio Lopez Escalera. Le même phénomène de clivage culturel a conduit au renversement du président Evo Morales en novembre 2019. Ce problème d’éducation est également à l’origine de la dualité que nous vivons actuellement au niveau international, avec une partie du monde qui semble devoir lutter contre l’autre partie.

Le contexte

Partout en Bolivie, des populations mécontentes du régime en place depuis les élections nationales contestées de novembre 2019, réclament de nouvelles élections présidentielles. Celles-ci ont été plusieurs fois reportées, notamment en raison de la situation sanitaire. Début août 2020, un nouveau report des élections est annoncé, rendant inaccomplie la loi qui prévoyait le recours aux urnes le 6 septembre 2020. Cela provoque une forte réaction d’insatisfaction dans le pays. La Confédération Ouvrière de Bolivie, qui rassemble plus de 3 millions de travailleurs, et le Movimiento Al Socialismo (MAS), fondé par Evo Morales en 1987, appellent à la mobilisation générale1.

Crédits photo : Radio fides

L’habitude prise dans le pays depuis l’époque de la lutte syndicale menée par Evo Morales est de manifester son mécontentement en bloquant les routes à des endroits stratégiques. L’un d’eux est un étranglement sur l’ancienne route qui relie les villes de Santa Cruz et Cochabamba, au niveau du pont qui traverse la rivière descendant en cascade depuis « El Fuerte », un site archéologique localisé sur la commune de Samaipata et classé patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO2.

Les faits

Mardi 4 août 2020

Un groupe de « bloqueadores » se rend au pont de El Fuerte. Se sont essentiellement des hommes et femmes de basses couches sociales, sympathisants du MAS, pour la plupart non issus de la commune bien qu’il y en ait.

Une partie de la population de la petite ville de Samaipata (5 000 habitants) n’est pas d’accord avec cette manière de bloquer les routes. Cela nuit à la vie locale et aux déplacements/transports.

Aussi, certains se mobilisent pour aller déloger les manifestants en leur lançant des cailloux. À leur tête se trouvent les membres du comité civique de Samaipata3.

L’un des manifestants, issu d’une communauté locale, sera blessé. Peu nombreux face à la mobilisation populaire locale, ils fuient et se réfugient dans la montagne.

Crédits photos : à gauche capture de vidéo d’un manifestant témoin, à droite capture de vidéo mise sur Facebook

Afin de menacer les fuyards, le feu est mis aux broussailles. Il s’étendra rapidement du fait des vents violents, brûlant une partie de la montagne proche du site archéologique de El Fuerte.

La responsabilité incombe au président du comité civique que l’on entend sur une vidéo inciter à mettre le feu4.

Ces faits seront relatés auprès de la population locale et dans les média, mais bien souvent de manière erronée. Par exemple, les manifestants sont accusés d’avoir causé l’incendie5 et le maire, issu du MAS, d’avoir incité au renforcement du bloqueo6, alors qu’il s’agit d’un mouvement d’envergure nationale qui sort de son champ de compétence.

Vendredi 7 et samedi 8 août 2020

La contestation nationale se poursuit. Le mouvement de bloqueo au niveau du passage de El Fuerte prend de l’ampleur et se durcit. Des manifestants arrivent de plus loin ainsi que des secteurs ruraux de la commune chez qui ils trouvent un appui. Il est clair dans l’esprit des manifestants qu’ils ne veulent pas que soient reportées les élections. « Ceux qui ont manifesté se sont auto-mobilisés, cela signifie qu’ils ont décidé individuellement de manifester leur soutien à ce que les élections se tiennent conformément à la loi (promulguée le 21 juin 2020) et que celle-ci ne soit pas violée. » 7.

Du côté de la population urbaine de Samaipata et du mouvement civique, un groupe de défense s’organise pour aller disperser les manifestants. Ils n’y parviennent pas, mais attrapent deux manifestants qui sont pris en otages8.

Vers 11 heures du matin, un journaliste local se rend au lieu du bloqueo (à l’est de Samaipata, 1 sur la carte ci-dessous) pour pouvoir rendre compte de la situation. À l’approche du bloqueo, il se fait agresser par des jeunes cagoulés et vêtus de ponchos noirs sortis du fourré. Ils lui lanceront des pierres et le blesseront dans le dos9.  D’autres journalistes locaux subiront également le même sort10.

Pendant ce temps, à l’autre entrée de Samaipata (2 sur la carte ci-dessous), un groupe de manifestants arrivent de Mairana, pour se joindre au groupe déjà à El Fuerte avec un camion de ravitaillement. Ils sont stoppés et dispersés par le groupe de défense civique11.

Crédits photo : A gauche camion de ravitaillement pour les manifestants en provenance de Mairana, partagé par un témoin ; à droite photo satellite annotée de Samaipata prise sur Google Earth 

C’est pourquoi en fin de journée, les bloqueadores mécontents de ces sabotages et agressions entrent dans le village. Ils arrivent par l’est (1 sur la carte). Ils sont plusieurs centaines.

Crédits : photo extraite de la vidéo référencée en note 12  

Ils se dirigent d’abord vers le local du parti politique de Camacho dont une vitre sera brisée et font la pression pour libérer leurs compagnons pris en otage comme cela s’entend sur une vidéo12.

Entrée de Samaipata, à gauche (flèche) le local de campagne du parti de Camacho ; à droite détail de la façade. Crédit photos : C. Ranque

A gauche, vitrine du local du parti politique de Camacho avec en rouge l’impact de la pierre et souligné en bleu on devine la vitre brisée mais restée en place (verre feuilleté) – C. Ranque ; à droite les otages libérés – photo transmise par un manifestant.

Puis ils partent à la poursuite des assaillants et capturent à leur tour plusieurs otages13. Ensuite ils se rassemblent pour rejoindre l’autre groupe qui a été dispersé près de l’autre entrée à l’ouest (2 sur la carte), en longeant la route nationale Nº714.

La population locale est terrorisée. On sonne les cloches de l’église pour appeler à la mobilisation populaire. Les habitants se rassemblent à la nuit pour organiser une vigile. On fait appel aux forces de police de Santa Cruz15.

Le maire de Samaipata explique lors d’une conférence de presse que les manifestants sont venus de loin (pour la plupart)16. Tout comme la population locale, iI désapprouve le bloquage de route comme moyen de faire entendre son mécontentement et appelle au dialogue. Il dénonce également tout comportement incitant à la violence. Il demande au comité de bloqueo de lever le barrage et publie un communiqué sur le sujet.

Crédits : page Facebook de la Mairie, @gamsamaipata

Mais dans les médias et au sein de la population de Samaipata, le maire est tenu pour responsable de la situation17.

Les médias reporte une irruption des manifestants dans l’hôpital et l’agression du personnel médical18.

Mais plusieurs personnes travaillant dans l’hôpital et interrogées indépendamment me diront qu’il s’agit d’un mensonge.

Il faudra attendre l’intervention d’un contingent de la police venu de Santa Cruz (près de 100 policiers) pour que soit levé le barrage et que stoppent les affrontements, avec l’arrestation de près de 50 manifestants19.

Vendredi 21 août

Un groupe de résidents de Samaipata prend la décision de fermer les locaux de la municipalité, pour motif que le maire ne s’est pas présenté aux réunions auxquelles il avait été convoqué pour rendre des comptes à propos des bloqueos et des agressions à la population locale. Les portes sont fermées et des cadenas apposés ainsi qu’un message dénonçant les malversations du maire, différents griefs à son encontre20.

Lundi 24 à vendredi 28 août 2020

Au cours de la semaine, de jeunes délinquants occupent la place centrale du village. Ils font exploser de gros pétards de jour comme de nuit. La plupart ont le visage masqué, masque de biosécurité et foulard. Ils demandent le renoncement du maire. Leur identité n’est pas clairement établie21.

Samedi 29 août 2020

Un grand rassemblement populaire nommé Cabildo est organisé sur la place centrale de Samaipata, de 15h à tard dans la nuit. Il est demandé aux participants d’approuver la destitution du maire. Le conseil municipal choisira un nouveau maire par intérim parmi ses membres. La conseillère Mary Elena Toledo sera retenue. L’acte de changement de maire sera enregistré auprès du notaire22.

Crédits : invitation au Cabildo circulant dans les réseaux sociaux – capture d’écran ; à droite la maire « élue » – capture d’écran.

Analyse du processus

Depuis avant même l’élection de Evo Morales, des forces opposée à son projet politique socialiste ont cherché à l’écarter du pouvoir, par tous les moyens.

L’erreur commise de n’avoir pas tenu compte du référendum de 2016 et de s’être représenté aux élections de 2019 avait ouvert une brèche, celle de créer la confusion au sein d’une partie de la population entre stabilité politique et dictature.

Par ailleurs, des insatisfactions croissantes dans le pays sur la politique menée, notamment le manque de concertation ou les choix environnementaux, sont venues s’ajouter aux histoires (fausses évidemment, mais tel n’est pas le sujet de l’article) reportées sur sa personne dans tous les domaines (narcotrafic, corruption, détournement de fonds, vie privée, …).

On assistait ainsi depuis plusieurs années à la construction dans les médias et les réseaux sociaux d’une image négative de Evo Morales et de ses sympathisants du MAS ou non affiliés.

Le recours aux bloqueos était devenu un acte de non respect du droit à la libre circulation, pour les personnes affectées, notamment les transporteurs de marchandises et passagers, et pour les riverains.

Une partie de la population n’avait plus à l’esprit la raison fondamentale de ces actions de revendication populaire : le respect des lois.

C’est le non respect de la loi convoquant aux élections présidentielles en septembre qui avait provoqué le mouvement national de bloqueo, plus de 150 dans tout le pays, du jamais vu auparavant23.

La raison invoquée de la pandémie ne faisait pas le poids pour des personnes qui depuis des mois s’étaient habituées à porter le masque, respecter la distance sociale, utiliser le gel alcoolique, pour aller à la banque ou au marché. Cela devenait même un prétexte pour ceux qui savait que le covid-19 se soignait avec les plantes locales utilisées traditionnellement pour les rhumes et grippes: matico, eucalyptus, vira-vira24.

Mais pour ceux qui suivaient l’actualité sur les écrans de télévision, médias et réseau sociaux virtuels, le MAS était devenu le fléau à éliminer après Evo.

Evo Morales avait été le premier à ne pas respecter la Constitution et son parti avait « forcé » pour qu’il se représente aux élections de octobre 2019. Lui et son parti n’étaient donc plus crédibles aux yeux de près de la moitié de la population.

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C’est donc dans cet état d’esprit que se sont passés les événements des 7 et 8 août à Samaipata.

Pour éliminer le « mal » tout devient donc permis.

On bombarde les manifestants de pierres, on met le feu aux fourrés, on les accuse de tous les maux, on en prend en otage, on leur envoie la police, on les arrête.

On accuse le maire d’être responsable. On ferme les locaux de la mairie. On destitue le maire par une assemblée de citoyens (le cabildo), à laquelle on attribue un pouvoir qu’elle n’a pas. On force le conseil municipal à élire un nouveau maire.

L’ensemble des faits est assez bien présenté dans un article de presse de El Deber, qui exprime honnêtement les deux points de vue, celui des défenseurs du maire élu et celui des opposants qui veulent le destituer25.

Mais qui est ce « on » ? Quelle est sa légitimité ? Ce sont, je crois, les questions à ce poser

Je dirai que ce « on » est un collectif, un ensemble de personnes. Il ne représente pas la majorité qui a élu l’autorité au suffrage universel démocratique, un homme – une voix, mais une minorité qui partage des valeurs communes et veut les imposer par la force. Il a un comportement anarchique, violent, qui ne respecte pas les lois. Il agit et crée du chaos, du désordre institutionnel. Il s’accapare le « pouvoir », la position qui semble le lieu de décision, en l’occurrence ici celle du maire de la municipalité.

La population de la commune de Samaipata se retrouve ainsi divisée, le maire élu critiqué et théâtralement destitué puis « remplacé » sous l’autorité de ce « on » qui n’a rien de démocratique ou légal.

Comment en est-on arrivé là ?

À première vue, on pourrait dire que cela provient de ce que Jean-Jacques Crève-Coeur appelle la manipulation des masses.

Je vous donne un exemple. Un travailleur indépendant de Samaipata a l’habitude d’écouter la radio pendant qu’il s’occupe de ses clients. La fréquence qu’il a choisi lui apprend les dernières nouvelles sur les méfaits du MAS et de Evo Morales. Au fil du temps, l’information imprime son esprit. Cela devient sa réalité. Il le tient pour vrai.

Éventuellement, il va pouvoir en parler avec d’autres personnes qui ont la même information ou apprendre par une autre source la même chose. Cela devient sa vérité confirmée.

C’est cela qu’on appelle la manipulation des masses, une guerre de l’information. Goebbels en était l’expert sous le régime nazi. La propagande, comme on doit la nommer, crée un groupe de personnes qui se retrouvent avoir les mêmes repères, les mêmes croyances.

Cette approche donne ainsi une explication au conflit généré au sein de la population: on peut dire qu’il y a deux groupes qui n’ont pas les mêmes croyances.

Il y a ceux qui se sont mobilisés POUR Evo Morales et ce qu’il représente et porte comme vision et réalité du Vivre Bien, ceux qui ont pu sentir leur vie s’améliorer, comme le montrent aussi les macro-indicateurs tels que le PIB ou l’IDH26. Ils sont plutôt indifférenciés. Ils agissent ensemble, un peu comme des abeilles, en essaim. S’ils se sentent menacés pour leur survie, ils se regroupent, attaquent et piquent.

De l’autre côté, il y a ceux qui se mobilisent CONTRE la « dictature », les « mensonges », la « corruption », le « terrorisme »… Ils sont plus individualisés, menant leur vie chacun à sa manière. Mais ils savent aussi se rassembler derrière les mêmes valeurs27 et sont capables de se mobiliser ensemble, pour les défendre.

Alors où est la vérité et quelle solution pourrait être pacifiante et unifiante ?

Je me suis efforcé ici de rassembler des éléments permettant d’établir les faits. Et bien que cela reste partiel, on arrive tout de même à bien comprendre que le « coup de mairie » n’est pas seulement une opération de récupération du « pouvoir » par une minorité opportuniste (à l’occasion de la manifestation d’insatisfaction nationale) et manipulatrice (par le recours au mensonge – accusations portées au maire, à la violence – contre les manifestants ainsi que contre le personnel de mairie28, et à l’argent – pour payer les délinquants, organiser le Cabildo).

Il existe réellement un clivage culturel au sein de la population locale, clivage avec lequel d’ailleurs le maire cherche à composer29.

Qu’est-ce qui est réellement à l’origine de ce clivage ?

Selon moi, ce n’est pas seulement une histoire de désinformation. C’est beaucoup plus profond que cela. L’origine de la crise est à rechercher dans le processus-même qui a construit chez ces différentes personnes des « vérités » ou représentations de la « réalité » différentes: leur éducation 30.

C’est ainsi que, schématiquement, Evo Morales et ses sympathisants ont grandi dans un monde dont le système de référence est la vie, les processus organiques, dans la nature (agriculture) et au sein de la société (organisations). Leurs valeurs tournent autour de l’autonomie, la solidarité et l’entraide, comme dans la nature (voir les symbioses ou la notion d’écosystème par exemple).

De leur côté, les opposants31 ont grandi dans un monde dont le système de références est le mental, les connaissances apprises. Leurs valeurs sont les relations humaines, la réussite personnelle, le pouvoir et l’argent (ce qui constitue en quelque sorte « l’écosystème urbain »).

Sans s’en rendre compte, ces deux mondes coexistent, mais ils ne fonctionnent pas de la même manière. Je dirai même que la crise de société qui est venue ébranler Samaipata est symptomatique d’un mal qui touche toute la Bolivie, et même le monde entier, parce qu’il a la même cause: la faille de l’éducation moderne.

La faille de l’éducation moderne

L’éducation moderne, c’est celle de l’école à partir de 6-7 ans pendant 10 ans. C’est celle du maître qui sait et de l’élève qui apprend. Cette méthode éducative exerce le mental, développe les connaissances intellectuelles et permet d’accroître la capacité de s’exprimer et de communiquer.

En Bolivie, l’éducation étaient basée jusqu’à encore récemment sur la copie et la répétition. Cela a permis, bien sûr, de construire un socle culturel commun au sein de l’état plurinational de Bolivie, riche de sa diversité culturelle et linguistique: lire, écrire, compter, acquérir de la discipline et des valeurs de respect, connaître l’histoire du pays et l’hymne national, acquérir des connaissances universitaires… Mais cela a également forgé une certaine manière d’apprendre: en imitant.

Pour les enfants des campagnes, l’éducation scolaire complète admirablement ce qu’ils apprennent en grandissant et vivant dans la réalité changeante du monde sensible: les repères que sont les saisons, la durée du jour, les variations climatiques, les rythmes de la nature, la nature de chaque chose et être vivant… Cela leur permet de s’ouvrir à d’autres savoirs que les leurs, mais aussi et surtout de pouvoir mieux communiquer aux autres les connaissances issues de leur expérience, ces savoirs-faire qui leur permettent de vivre, de produire leur nourriture, construire leur maison, conserver la santé… Comme ils savent aussi reconnaître les savoirs-faire des autres, ils sont en mesure de bien choisir leurs leaders, non pas sur la base de comment ils gouvernent mais de quel impact cela a sur leur vie.

Mais qu’en est-il pour les enfants des villes ?

En ville, l’éducation scolaire renforce l’importance des repères déjà prégnant dans la vie quotidienne, du fait du mode de vie: les liens sociaux et la place prépondérante du travail et de l’argent.

Le développement des capacités mentales est alors principalement orienté vers la finalité de subvenir à ses propres besoins (et ceux de sa famille) en exerçant une activité et en gagnant de l’argent. Mais comme le modèle d’apprentissage scolaire est basé sur la mémorisation-répétition, la faculté d’autonomie mentale (réflexion personnelle, esprit critique, évaluation indépendante, discernement…) et d’auto-entreprise (initiative économique) qui va avec se trouve limitée (à ce qui est acquis hors système scolaire, dans la famille ou ailleurs). La faculté de créer et gagner sa vie à partir de ses propres dons et aspirations est donc elle aussi limitée.

Dans ce contexte socio-éducatif, certains vont s’adapter, mais d’autres pas. Ceux qui s’adaptent sont ceux qui s’y retrouvent; ils apprennent un métier (comme le travailleur indépendant de Samaipata donné en exemple) et gagnent leur vie ainsi.

Mais d’autres personnes ne trouvent dans ce contexte ni le sens qu’a leur vie (du point de vue de l’âme, c’est-à-dire de ce qui les anime), ni les clés pour la construire à partir de leurs propres forces.

Cela les conduit, selon leur caractère, soit à l’autodestruction (maladies, addictions dégénératives – tabac et alcool inclus), soit à la destruction (de la structure socio-économique en place, de ses règles et lois qui les entravent).

Pour échapper à l’écueil de l’autodestruction, une partie de la jeunesse urbaine de Santa Cruz se tourne vers le mouvement de jeunesse fasciste chrétienne, qui lui donne des repères spirituels et du sens à sa vie. On peut dire que ce mouvement est un produit du terreau mental développé par le modèle éducatif, un terreau favorable à l’endoctrinement religieux et idéologique32.

Pour contribuer à la destruction du système socio-économique qui les limite (par le modèle éducatif non créatif), certains individus vont outrepasser ses règles, en ayant recours aux repères culturels qui sont pertinents pour eux (les relations et l’argent) et aux forces développées grâce à leur éducation (l’intellect et la capacité à communiquer). Cette dernière n’ayant pas développé une « créativité institutionnalisée », ce qui va le mieux marcher pour eux, c’est une « créativité extra-institutionnelle »: communication créative (« mensonge » et « propagande »), relations complices (« corruption ») et renversement de l’ordre établi par la force (qui trouve un exutoire aux énergies non valorisées dans le cadre institutionnel).

Selon moi, ces individus ne peuvent pas vraiment faire autrement, parce qu’iIs n’ont pas appris les lois de la vie (qui incluent les dynamiques humaines, les dynamiques d’entreprise), celles qui permettent de construire des choses qui marchent, à partir des ressources de la planète et des libres volontés humaines.

Même s’ils le souhaitaient, ils ne pourraient pas réussir en construisant. Ils se retrouveraient frustrés par l’échec. Aussi, intelligemment, ont-ils réalisé que ce qui marche pour eux, c’est de « déconstruire », détourner ce qui est en place, à leur profit. Cela leur apporte ce qu’ils cherchent: la réussite et l’argent, qui dans ce modèle socio-économique urbain ouvre les portes à beaucoup de possibles, notamment s’accaparer des ressources et s’aliéner le travail d’autrui.

C’est tellement vrai que culturellement est admis à Santa Cruz, au sein de la population urbaine, que les dirigeants sont corrompus et profitent de leur position. C’est « normal »!33. C’est là encore une confirmation de ce clivage culturel.

Pour conclure, je dirai que le « coup de mairie » à Samaipata, sur fond de clivage social, illustre parfaitement la faille de l’éducation moderne qui a oublié que les « enfants des villes » n’ont pas les mêmes besoins éducatifs que les « enfants des champs ».

Pour retrouver une unité sociale, pour effacer le clivage culturel, une réforme de l’éducation moderne s’avère nécessaire, afin de permettre à tous les enfants de « co-naître à la planète et à eux-mêmes ». C’est ce que je vous expliquerai en détail dans un prochain article consacré à l’éducation naturelle.

Samaipata, 5 octobre 2020

 

Notes

7 D’après le témoignage direct d’un manifestant

8 D’après le témoignage direct d’un manifestant

9 D’après le journaliste lui-même sur sa page Facebook

12 sur la vidéo diffusée par Freddy Gamboa Orellana sur son Tweeter, à 53″, on voit le groupe se diriger vers la gauche où se situe le local de Camacho puis on entend « Donde estan nuestros compañeros? », ce qui signifie « où sont nos compagnons? »

13 sur la vidéo centrale de la page référencée dans la note 12, on peut voir une personne au volant d’une voiture; elle n’est pas menacée par les manifestants, pas plus que les passants; par contre le groupe aura attrapé un opposant. Nota. La vidéo a été supprimée de la page, elle est disponible ICI

14 D’après un témoin

16 voir ses paroles en milieu de vidéo https://www.youtube.com/watch?v=cwvR-wYepcE

17 voir note 10

L’article original est accessible ici