L’esclavage continue d’exister en Mauritanie. Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette situation d’un autre âge et identifier les pistes pour un réel respect des droits humains, Hamady Lehbous, Chargé de communication de IRA Mauritanie, nous apporte des éléments précieux sur l’histoire de son pays.

Hamady Lehbous

Malgré la volonté des gouvernants de moderniser l’économie mauritanienne, celle-ci reste simple, largement traditionnelle et structurée d’un côté, l’économie traditionnelle basée sur le travail familial, l’esclavage et différents liens de type féodal et d’un autre côté, l’économie moderne basée sur le travail salarié, artisanal, la coopération agricole, en vue de la production marchande. Cette seconde économie se développe grâce à des capitaux pour l’essentiel issus de la coopération multilatérale ou bilatérale avec l’Union européenne, en particulier avec la France, l’Allemagne, l’Espagne à travers leurs agences de coopération mais aussi avec les USA, le système des Nations unies… Certains capitaux privés qui proviennent des pays arabes.

A première vue on peut juger que le système d’exploitation est plutôt moderne mais cette modernisation traine à cause des habitudes, des techniques utilisées, du mode de production, de commercialisation … qui restent peu développés et même archaïques. Aujourd’hui, la majorité de la population est rurale à plus de 80 % (jusqu’à la grande sécheresse qui frappa le Sahel à partir de 1968, 85 % de la population mauritanienne vivait de l’élevage, de l’agriculture et de la pêche traditionnelle).

 

Le désert Mauritanien

La Mauritanie dispose d’un potentiel foncier énorme en comparaison de la taille de sa population. Dans la vallée du fleuve Sénégal, les terres sont fertiles et irrigables mais très peu exploitées à l’image de celles du centre et de l’est du pays. Ce sont les esclaves et anciens esclaves, de génération en génération, qui sont très souvent chargés de l’exploitation des terres appartenant aux maîtres et anciens maîtres ; en contrepartie, ils versent une dime aux maîtres. Cette tenure[1] traditionnelle des terres a été bouleversée – conséquence de la sécheresse des années 70 qui a décimé et appauvri le cheptel, provoquant le départ massif des populations rurales vers les villes. Involontairement, sans que cela soit acté, la plupart des esclaves et anciens esclaves se sont retrouvés seuls sur les terres qu’ils ont continué à travailler malgré leur faible productivité. Des décennies sont passées.

Ceci explique que ceux qui exploitent la terre aujourd’hui sont chargés des idées abolitionnistes et revendiquent la propriété de ces terres que leurs arrière-grands parents ont exploitées. La nouvelle ambition des populations serviles ou anciennement serviles se heurte à la volonté des maîtres et anciens maîtres de les maintenir sous leur domination ; la terre, ressource essentielle de production est ici utilisée comme moyen de chantage. Dans ce face-à-face, les administrateurs, la police judiciaire et les tribunaux locaux prennent toujours part pour les groupes dominants, en violation totale des lois. En effet, en Mauritanie, la Chari’a est la source principale de jurisprudence et décrète que « la terre appartient à celui qui la fait vivre » ; la loi en vigueur régissant le foncier stipule tout autant que «la terre appartient à celui qui la met en valeur ».

 

Si les actions d’IRA – Mauritanie ont permis de protéger quelques victimes de spoliation de terre,  force est de constater que de nombreux esclaves et anciens esclaves ont été chassés des terres qu’ils exploitaient par leurs maîtres ou anciens maîtres, avec la bénédiction des autorités. Dans ce contexte, il est bien difficile de comprendre les autorités prônant officiellement différents programmes de lutte, soi-disant, contre les séquelles de l’esclavage, ciblant en particulier les adwaba (villages et campements au Sud de la Mauritanies, habités par les communautés haratines, anciens esclaves).

Les autorités mauritaniennes manquent de volonté politique pour régler définitivement la problématique de la propriété foncière dont dépendrait fortement la paix civile qui rendrait possible le lancement des jalons d’un développement agricole harmonieux porteur de développement socio-économique partagé.

En effet, le règlement de la problématique du foncier en Mauritanie est intimement lié à l’éradication totale des pratiques esclavagistes et de leurs séquelles ; il s’agira de :

  1. Appliquer l’ensemble des dispositions de la loi 0048-2007 incriminant et sanctionnant les pratiques de l’esclavage, notamment, l’article 12 qui stipule d’emprisonner et d’amender les walis, hakems [2], chefs d’arrondissements, officiers ou agents de police judiciaire ne donnant pas suite aux dénonciations portées à leurs connaissance ;
  2. Créer, comme prévu lors de la promulgation de loi 0048-2007, un office national, parmi d’autres mesures d’accompagnements suggérées, pour assister les victimes, les prendre en charge, leur accorder des formations professionnelles et les subventionner, aux fins de l’autonomie individuelle ;
  3. Déconstruire la tenure tribale et féodale de la terre, vecteur de faiblesse de l’autorité publique où s’ancre l’hégémonie sur les populations serviles Haratines qui se retrouvent alors privées de la jouissance de la propriété – l’un des droits fondamentaux de l’Homme. Il n’est pas un moindre paradoxe que les agriculteurs, réels bâtisseurs et artisans manuels de la Mauritanie, ne possèdent pas de champ en propre et se retrouvent à devoir engraisser d’abord, le maitre – d’hier et d’aujourd’hui – avant de pouvoir se nourrir ! Et ce, malgré une réforme foncière et domaniale promulguée en 1983, sur le principe de l’appropriation individuelle et définitive du sol.
  4. Organiser une campagne médiatique sur les lois réprimant les pratiques esclavagistes, avec une formation annuelle, à tous les niveaux de l’enseignement primaire et secondaire, sanctionnée par des prix et autres gratifications substantielles, de nature à nourrir, dans la société, la sève du volontarisme et une meilleure conscience de la valeur humaine.

On ne peut terminer cette description sans remettre en question la véritable nature des investissements réalisés par les puissances étrangères, semblant se soucier surtout de maintenir les régimes politiques qui leur permettent de mieux profiter des richesses naturelles du pays en terme de fer, d’or, de pétrole, de poisson. Ce ne sont donc pas eux qui seront les plus motivés à changer le système archaïque (esclavage) en place.

Par contre, relevons l’association IRA  – Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste-  présidée par Biram Dah Abeid qui mène un combat sans relâche contre l’esclavagisme en Mauritanie et pour le respect des droits humains. Cette lutte citoyenne et politique est celle de chaque être humain sur la planète, soucieux de justice et de paix.

L’Ira est active dans de nombreux pays européens, dont la Belgique.

Parce que nous sommes tous concernés. 

IRA Mauritanie en Belgique

[1] relation de dépendance de type féodal

[2] La Mauritanie est divisée en 13 wilayas (régions) avec à leur tête un gouverneur (wali), 53 moughataas (départements) dirigés par un préfet (hakem) source : www.bibliomonde.com