Nous publions une série d’articles (lien pour pour voir tous les articles) que nous partagerons pendant plusieurs jours. Il s’agit d’une initiative colombienne pour la paix, que nous nous proposons de faire connaître et de diffuser.

Par Juan Fernando Cristo (*)

Le gouvernement a raison lorsqu’il affirme que les meurtres de dirigeants sociaux n’ont pas commencé le 7 août 2018. Depuis des décennies, les dirigeants des communautés paysannes, des réserves indigènes et des conseils communautaires afro-américains sont persécutés, leur seul péché étant de se battre pour la défense des leurs. Lorsqu’un leader social est assassiné, c’est l’espoir d’un avenir meilleur pour sa communauté qui est tué. Les fonctionnaires qui désignent le trafic de drogue et les mafias minières illégales comme responsables de ces crimes dans les territoires ont également raison. Mais ce n’est pas la seule raison. Les leaders sont également assassinés par les mafias qui s’opposent à la restitution des terres, les tuant pour des raisons politiques.

Le débat ne peut donc être orienté vers une discussion sur le nombre de dirigeants tués, et encore moins vers une comparaison entre différents gouvernements. Nous devons tous trouver un moyen de mettre fin à ces crimes. Il n’est pas juste que l’accord de paix ait sauvé la vie de milliers de soldats et de policiers, de guérilleros au combat, et que les leaders sociaux continuent de tomber. Et cela fait mal au cœur que le gouvernement refuse d’appliquer les moyens prévus dans l’accord de paix pour lutter contre cette violence. Ils ne se donnent même plus la peine d’émettre une déclaration formelle de condamnation pour chaque meurtre. Ils font preuve de frilosité, d’indolence et d’indifférence. Nous, les citoyens, nous nous sentons impuissants.

Michael Forst, rapporteur des Nations Unies, a déclaré en février de cette année que la Colombie est l’un des pays les plus dangereux au monde pour la défense des droits humains. Les chiffres seuls ne montrent pas la tragédie humaine qui se cache derrière chaque cas. C’est pourquoi un groupe de chroniqueurs a voulu retrouver les visages et les vies de certains des dirigeants assassinés et raconter l’histoire de trois d’entre eux.

Le 17 juillet 2017, des membres de la communauté de Filo Palo à El Carmen, au nord de Santander, ont découvert le corps du paysan et chef de la communauté Ezequiel Rangel. Défenseur enthousiaste de l’accord de paix avec les FARC, Ezequiel avait coordonné le comité de village de l’Association paysanne du Catatumbo (Ascamcat) dans cette municipalité. À El Carmen, la violence partisane était endémique et, ces derniers temps, sa population a souffert des guérillos et des groupes paramilitaires.

Argemiro López Pertuz était un leader de la lutte pour la substitution sociale des cultures à Tumaco, la municipalité qui compte le plus grand nombre d’hectares de culture de la coca dans le pays. Il avait travaillé avec le Gouvernorat de Nariño à Pnis. Dans la nuit du 17 mars 2019, il était chez lui, dans le village de La Guayacana, lorsque plusieurs hommes lui ont tiré dessus. Sa femme et sa mère ont été blessées lors de cette attaque. Comme Argemiro, des centaines de leaders de la substitution dans les zones de coca sont menacés par les organisations criminelles qui se livrent à cette activité. Malheureusement, le gouvernement affaiblit progressivement les programmes et laisse ses dirigeants abandonnés.

À Tuluá, Valle, un membre très actif de la commission municipale des victimes, José Arled Muñoz Giraldo, a été assassiné le 26 juin 2019, après avoir reçu des menaces pour le forcer à quitter la ville. Ce défenseur des droits humains a été abattu par deux tueurs à gages dans son magasin de quartier. Il était également directeur de la Fondation Afros Unidos del Pacífico et avait été déplacé suite aux violences de Belén en Ombrie en 2012.

Cette semaine célèbre les neuf ans de l’adoption de la loi sur les victimes et la restitution des terres, et nous devons reconnaître que les meurtres de leaders sociaux font désormais partie du paysage, tout comme le furent il y a une décennie, les enlèvements de populations, les séquestrations ou les meurtres de policiers. Nous ne pouvons pas rester impuissants, sans rien faire. Au milieu de la polarisation politique aiguë que nous connaissons, nous devrions au moins essayer de parvenir à un accord qui nous permette de mettre fin à ce massacre, par des actions concrètes et énergiques. Le leadership social dans les territoires de la Colombie est assassiné peu à peu. Ne pourrons-nous parvenir à un accord pour empêcher cela ?

 

(*) Avocat et homme politique, cofondateur du Mouvement pour la défense de la paix. Ancien sénateur de la République. Ancien ministre de l’Intérieur.

 

Traduction de l’espagnol par Ginette Baudelet