Par : Zenaida Espinosa et Jorge Escobar Banderas

Près de quatre ans se sont écoulés après la signature de l’accord de paix entre le gouvernement colombien et l’ex guérilla des FARC. Dans ce processus, il y a eu un certain nombre de transformations qui ont été réalisées, cependant, il y a encore beaucoup de dettes à régler, car à ce jour seuls 25% des progrès réalisés ont été enregistrés jusqu’à présent.

Le suivi des différents engagements pris a été une tâche complexe, dans le cadre de l’Institut Kroc pour les études internationales de la paix de l’Université de Notre-Dame, qui a récemment publié le rapport qui analyse les progrès de l’accord entre décembre 2018 et novembre 2019, dans le cadre de la mission de la Commission de suivi, de promotion et de vérification de la mise en œuvre (CSIVI).

Le rapport « Trois ans après la signature de l’Accord final de Colombie : vers la transformation territoriale » comprend divers articles de presse, des rapports d’entités étatiques, d’ONG, de centres de réflexion et d’organisations internationales, contrastant avec le témoignage de membres de la société civile et du gouvernement.

Comment se déroule la mise œuvre de l’accord ?

Selon les révélations de l’Institut kroc, l’accord est dans un processus de mise en œuvre et de rapprochement territorial dans lequel il est nécessaire de s’appuyer sur les progrès réalisés au cours des années précédentes, en vue de réduire les écarts socio-économiques entre les zones les plus touchées par le conflit.

Le premier point de l’accord concerne une réforme rurale globale. Ici, les spécialistes disent qu’il y a des progrès dans les programmes de développement avec une approche territoriale (PDET) et dans le cadastre polyvalent (1), ainsi que la mise en évidence – comme l’une des principales réalisations dans cette période – de son inclusion dans le Plan national de développement. Cependant, avec le point sur la drogue, ce sont ceux qui présentent le moins d’avancées, un sujet de préoccupation parce que ce sont deux des éléments nodaux autour desquels les causes du conflit ont tourné : la propriété foncière et le trafic de drogue.

L’une des tâches à accomplir pour la mise en œuvre est l’inclusion des communautés pour générer des pratiques fiables et transparentes, qui a été frappée par le meurtre constant de dirigeants et de dirigeantes dans les territoires, car la confiance a été perdue avec le processus, sur lequel le rapport attire l’attention. La Colombie a consenti un prêt de la Banque mondiale dans le but de renforcer le cadastre polyvalent et d’établir des critères sur la propriété foncière dans les zones les plus touchées par le conflit ; ce n’est qu’ainsi que l’on pourra progresser dans l’amélioration des processus de planification et augmenter le recouvrement des impôts avec un sentiment d’équité et de redistribution. Toutefois, le gouvernement doit redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de sécurité de la population dans les territoires, dans le cas des demandeurs fonciers et de toutes sortes de dirigeants qui plaident pour la qualité de vie et la dignité des habitants.

Le deuxième point des accords de paix est la participation politique des secteurs touchés par le conflit armé. Le rapport de l’Institut Kroc souligne que l’une des questions qui ont affecté le progrès est liée au refus du Congrès d’approuver les circonscriptions transitoires spéciales de paix, qui permettrait aux victimes de participer.

En ce qui concerne la réforme politique, il a été constaté que les dispositions avaient fait très peu de progrès au cours de l’année écoulée. Le projet de loi final a fait l’objet de vives critiques au sein du Congrès, tandis que le gouvernement du président Ivan Duque a choisi de retirer le projet d’acte législatif après l’exclusion des listes fermées et de la parité entre les sexes.

De même, les recommandations de la Mission électorale spéciale (MEE), qui a donné une plus grande autonomie au Conseil national électoral (CNE) et au financement des campagnes et des partis politiques, n’ont pas non plus été prises en compte.

Pendant ce temps, les ajustements réglementaires pour assurer la mobilisation et les manifestations pacifiques ont également stagné au cours de l’année écoulée. Selon le rapport, il est nécessaire de promouvoir les consensus nécessaires à son approbation au Congrès de la République.

En même temps, il est demandé aux Conseils territoriaux de paix, de Réconciliation et de Cohabitation (2) de jouer un rôle proactif dans la mise en œuvre territoriale de l’accord, en favorisant l’inclusion de leurs communautés dans les différentes discussions et espaces d’incidence, car il s’agit d’un moment de mise en œuvre qui nécessite de grands efforts au niveau local, afin d’atteindre les objectifs à moyen et long terme. Une grande partie du pourcentage des progrès est donnée par des objectifs à court terme, qui avaient à voir avec la démobilisation, l’abandon des armes à feu et la réintégration.

Sommes-nous près de la fin du conflit ?

La « fin du conflit » est présentée à la section numéro trois. En premier lieu, des progrès ont été réalisés dans la réintégration socio-économique de certains groupes d’anciens combattants qui, par leur disposition, ont accédé aux garanties octroyées par le gouvernement, sous la supervision de la communauté internationale.

De même, plusieurs projets productifs ont été approuvés par le Conseil national de la Réincorporation, cependant 3159 anciens membres des FARC ont été inclus, soit environ 24% de cette population. Autre tâche en suspens, la recherche de solutions permanentes pour les espaces de réintégration, dont les baux ont expiré en août 2019. En fait, certains ex-combattants ont été contraints de quitter les espaces territoriaux en raison du manque de garanties sur la sécurité.

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Voir : Les réincorporés quitteront ETCR de Ituango en raison d’un prétendu plan d’extermination

En fait, le rapport souligne que 2019 a été l’année la plus meurtrière pour les anciens et anciennes combattant(e)s de la guérilla, puisqu’un total de 77 ex-combattant(e)s ont été tué(e)s et, outre les assassinats de dirigeants, de dirigeantes, il a eu un effet dévastateur sur la mise en œuvre de l’accord final et sa perception par la société et la communauté internationale. De ce fait, un appel est lancé pour revoir les garanties de sécurité dans les territoires, pour protéger la vie de ceux qui restent engagés, et pour parvenir à la durabilité du processus.

Malgré cela, le gouvernement continue d’avoir une attitude négative, puisque le conseiller présidentiel pour la stabilisation a déclaré à la radio nationale colombienne que « le bureau du procureur général soutient que ces assassinats ont eu lieu en raison de conflits liés au trafic de drogue et non pas en raison du statut des ex-combattants », ce qui ignore les conditions des territoires et, en outre, stigmatise la majeure partie des ex-combattants qui sont maintenant engagés dans le processus de réincorporation.

Voir : Le gouvernement s’exprime sur le rapport de l’Institut Kroc

Malgré cela, le rapport souligne que l’Unité spéciale d’enquête du Bureau du Procureur et du Corps d’élite de la police ont fait des progrès dans la clarification de certains homicides, mais cela n’a pas été suffisant face à une alarme croissante. Entre-temps, le manque de participation de la société à la Commission des garanties de sécurité nationale n’a pas permis de promouvoir des politiques de protection adéquates dans ce domaine.

Le quatrième point vise à trouver une solution au problème découlant de la consommation de drogues illicites, mais des retards dans le Programme national global de substitution des cultures à usage illicite (PNIS) ont été causés parce que le gouvernement a procédé à des révisions pendant six mois et, les changements apportés, ont suscité la méfiance de la population. Il y a des progrès dans les projets de sécurité alimentaire, mais le meurtre de certains participants crée à nouveau une grande peur dans les communautés.

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Le cinquième point concerne l’accord sur les victimes du conflit. Selon les évaluations, le rapport a enregistré les progrès les plus importants en 2019. Le succès est dû au fonctionnement d’entités appartenant au Système intégral de vérité, de justice, de réparation et de non-répétition, qui ont suscité la participation et le débat public. Il convient de noter qu’il s’agit d’institutions qui, en raison de leur nature juridique, sont indépendantes du gouvernement, de sorte que l’avancement de leurs travaux n’est pas attribuable à la volonté de l’exécutif. La Commission Vérité, devra remettre son rapport en décembre 2021, tandis que la Juridiction spéciale pour la paix (JEP) et l’Unité de recherche des personnes disparues ont une prolongation de leur action d’au moins 20 ans.

Le déploiement territorial de l’inclusion des victimes a également été renforcé là où la participation des femmes, de la communauté LGBTI et des communautés ethniques lui a donné une plus grande légitimité, mais des appels à approfondir davantage ces points ont également été lancés, car il s’agissait de populations ayant les niveaux les plus élevés de violation dans le contexte des conflits armés et, par conséquent, des progrès doivent être réalisés dans les processus de réparation collective où aucun progrès significatif n’a été réalisé.

Le sixième point est la mise en œuvre, la vérification et l’approbation. 2019 a été une année dont les progrès ont été minimes dans ce secteur. Un programme commun entre l’État et d’anciens membres des FARC traitant des questions législatives et de sécurité n’a pas été établi.

La signature de cet accord est un processus qui, au cours des prochaines années, nécessitera la compréhension de divers domaines de la société, dans le but de réaliser des propositions et des plans qui permettent la croissance de ces populations qui, pendant des années, ont été victimes de violence. L’Institut Kroc affirme qu’au moins 10 ans de progrès soutenus sont nécessaires pour atteindre les objectifs.

A l’horizon 2020, la pandémie causée par le Covid-19 obligera à réaliser des ajustements sur différents fronts. Toutefois, la participation active des citoyens et des communautés sera essentielle pour garantir que les initiatives de paix soient renforcées et ne deviennent l’affaire en suspens de tout un pays.

 

Notes

(1) Cadastre polyvalent. Il fait partie des engagements de l’Accord de paix et bénéficie aux municipalités pour la perception des impôts, car sur les 17’128.662 que compte la Colombie, seuls 5’380.575 sont à jour. Selon la revue Dinero, « le cadastre polyvalent servira à disposer d’informations précises et à jour sur le territoire pour la conception de meilleures politiques publiques, et à accroître l’accès et le droit à la propriété de la population, ce qui lui permettra d’être dans la légalité et d’avoir accès aux services financiers de l’état » (Dinero, 19 juillet 2019).

(2) Conseils territoriaux pour la Paix, la Réconciliation et la Cohabitation. Il s’agit d’organes consultatifs des gouvernements territoriaux (mairies ou gouvernorats), dont le but est de promouvoir l’obtention et le maintien de la paix, de faciliter la collaboration harmonieuse des entités et organes de l’État, et de favoriser une culture de réconciliation et de non-stigmatisation (Voir plus dans Viva la Ciudadanía)

 

Traduction de l’espagnol, Ginette Baudelet