La transition culturelle importante en Europe a eu lieu plus tôt que ce qui a été supposé jusqu’ici. 

Une équipe de chercheurs internationale a publié des résultats sur de nouveaux fossiles d’Homo sapiens découverts dans la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie. Ils dateraient d’environ 45 000 ans. Ils ont été trouvés avec  des outils faits en pierre et en os,  des ossements d’animaux chassés et des ornements personnels. Ces nouvelles découvertes documentent ce qu’on connaissait auparavant des Homo sapiens au paléolithique supérieur et fait remonter dans le passé le début de cette transition culturelle significative en Europe. Les outils en fer exhumés font le lien entre la grotte de Bacho Kiro et des découvertes faites en Eurasie et jusqu’en Mongolie à l’Est. 

Deux articles décrivent les nouveaux fossiles d’Homo sapiens découverts dans la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie. « La grotte de Bacho Kiro livre ainsi des preuves de la première progression de l’Homo sapiens dans les latitudes moyennes eurasiennes. Les premiers pionniers ont apporté de nouvelles pratiques en Europe et ont interagi avec les hommes de Néandertal locaux. Cette première vague de migration devait mener 8 000 ans plus tard à l’extinction définitive des Néandertaliens », explique Jean-Jacques Hublin, directeur à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig (MPI-EVA).

En 2015, de nouvelles fouilles ont été lancées dans la grotte de Bacho Kiro par une équipe internationale de chercheurs sous la direction de Jean-Jacques Hublin, Tsenka Tsanova et Shannon McPherron de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste et de Nikolay Sivakov et Svoboda Sirakova de l’Institut National d’Archéologie et musée de l’académie bulgare des sciences basé à Sofia en Bulgarie. La découverte la plus spectaculaire vient d’une strate riche et sombre située à la base des sédiments. L’équipe y a découvert des milliers d’ossements d’animaux, des outils faits de pierre et d’os, des perles et des colliers, et les ossements de cinq fossiles humains.

Analyse de protéines

A l’exception d’une dent humaine, les fossiles humains étaient trop fragmentés pour qu’on puisse les identifier en fonction de leur apparence physique. Il a donc fallu analyser la séquence de protéines pour les identifier. « La plupart des os du Pléistocène sont trop fragmentés, nous n’avons pas pu identifier à l’œil nu à quel animal ils appartenaient. Les protéines sont différentes d’un animal à un autre en raison de la séquence de leurs acides aminés faibles. Avec l’aide de la spectrométrie de masse des protéines, nous avons rapidement pu identifier les fragments d’os qui n’auraient autrement pas pu être identifiés comme des ossements humains », explique Frido Walker, chercheur post doctorant à l’Université de Copenhague et chercheur associé à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste.

Afin de déterminer l’âge des fossiles et des sédiments dans la grotte de Bacho Kiro, l’équipe a travaillé en étroite collaboration avec Lukas Wacker de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (ETH). Un spectromètre de masse accélérateur a été utilisé afin d’estimer avec une plus grande précision que d’habitude l’âge des fossiles et de dater immédiatement les ossements humains.

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Steinartefakte aus dem frühen Jungpaläolithikum (IUP) aus der Bacho-Kiro-Höhle: 1-3, 5-7 spitze Klingen und Fragmente aus Schicht I; 4 Sandsteinperle, deren Gestalt Knochenperlen ähnelt; 8 die längste vollständige Klinge. / Foto: © Tsenka Tsanova, Lizenz: CC-BY-SA 2.0
Objets en pierre du paléolithique supérieur de la grotte de Bacho Kiro : 1-3, 5-7 Lames pointues et fragments de strate I; 4 perle de grès dont la forme s’apparente à une perle en os ; 8 la plus longue lame entière. / Photo: © Tsenka Tsanova, Licence: CC-BY-SA 2.0

« La plupart des ossement d’animaux que nous avons pu dater de cette strate sombre et marquante montrent des preuves de l’influence humaine sur les surfaces des os. Par exemple des traces d’incisions. Cela et les datations exactes des ossements humains nous livrent une chronologie vraiment précise du moment où l’Homo sapiens a habité cette grotte pour la première fois : il y a entre 45 820 et 43 650 ans, et peut-être même déjà il y a 46 940 ans», indique Helen Fewlass de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste. « La datation par le radiocarbone de la grotte de Bacho Kiro n’est pas seulement le plus gros jeu de données d’un site paléolithique qui n’ait jamais été réalisé par une équipe de chercheurs, mais c’est aussi le plus précis en terme de marge d’erreur », disent Sahra Talamo de l’Université de Bologne et Bernd Kromer de l’Institus Max Planck.

Séquenciation ADN

Bien que quelques chercheurs supposent que l’Homo sapiens était déjà venu occasionnellement en Europe, on attribuait typiquement des fossiles de cet âge aux hommes de Néandertal. Afin de savoir quel groupe de personnes était présent dans la grotte de Bach Kiro, Mateja Hajdinjak et Matthias Meyer ont séquencé l’ADN des fragments d’ossements fossiles, sous la direction de Svante Pääbo du Département de la Génétique Évolutionniste de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste.

« En raison de l’extraordinaire conservation de l’ADN dans les fragments de dents et d’os humains qui ont été identifiés avec la spectrométrie de masse des protéines, nous avons pu reconstituer le génome complet mitochondrial de six des sept échantillons, et ordonnancer les séquences ADN mitochondriales ainsi obtenues des sept échantillons de l’homme moderne. Il est intéressant de constater que l’ADNmt (génome mitochondrial) se trouve dans la strate I, lorsqu’on la met en relation avec la séquence ADNmt d’autres gens anciens et modernes, il est très proche de l’origine des trois macrohaplogroupes principaux des hommes qui vivent aujourd’hui en dehors de l’Afrique Subsaharienne. De plus, les données génétiques concordent parfaitement avec la datation par le radiocarbone. » dit Mateja Hajdinjak, chercheuse post doctorante à l’Institut Francis Crick de Londres et chercheuse associée à l’Institut Max Planck de Leipzig.

Eine der Grabungsleiterinnen, Tsenka Tsanova aus der Abteilung für Humanevolution am MPI-EVA, entnimmt Sedimentproben für die DNA-Analyse. Foto: © Nikolay Zahariev, Lizenz: CC-BY-SA 2.0
L’une des directrices des fouilles, Tsenka Tsanova, du Département pour l’évolution humaine au MPI-EVA récupère un échantillon de sédiments pour l’analyse ADN. Photo : © Nikolay Zahariev, Licence : CC-BY-SA 2.0

Les résultats révèlent que l’Homo sapiens est venu en Europe il y a quelques 45 000 ans, et peut-être même plus tôt, et a commencé à influencer les néandertaliens. Ils ont apporté de sources situées à plus de 180 km du lieu de découverte des pierres à feu de grande qualité vers la grotte de Bacho Kiro, ils en ont fabriqué des outils comme des lames pointues, qu’ils ont très probablement utilisé pour la chasse et pour désosser les animaux attrapés dont les ossements ont été découverts dans la grotte.

« Les ossements animaux trouvés sur le site illustrent un mélange où régnait l’adaptation aux conditions climatiques froides et chaudes, l’arrivée le plus souvent de bisons et de cervidés », dit Roten Spasov, paléontologue à la Nouvelle Université de Bulgarie. Ils ont été très souvent abattus, mais également utilisés comme source de matières premières. « La collection complète d’outils faits en ossements et d’ornements personnels est particulièrement remarquable », indique Geoff Smith, archéozoologue à l’Institut Max Planck. Les dents d’ours des cavernes ont été transformées en colliers, qui ressemblent ostensiblement aux ornements fabriqués un peu plus tard par les néandertaliens en Europe de l’Ouest.

L’Homo sapiens remplace l’homme de Néandertal 

Les fossiles de la grotte de Bacho Kiro documentent globalement la période de temps en Europe pendant laquelle le néandertalien du paléolithique moyen a été remplacé par l’Homo sapiens du paléolithique supérieur, aussi connue sous période de transition, et les premiers Homo sapiens sont ce que les archéologues décrivent comme IUP, la paléontologie supérieure initiale. « Jusqu’ici la période aurignacienne était vue comme le début du paléolithique supérieur en Europe, mais l’IUP de la grotte de Bacho Kiro s’ajoute à d’autres sites en Eurasie de l’Ouest où il y a eu une présence de l’Homo sapiens encore plus ancienne », remarque Nikolay Sirakov de l’Institut National d’Archéologie et musée de l’académie bulgare des sciences.

« L’IUP dans la grotte de Bacho Kiro est le paléolithique supérieur le plus ancien en Europe. C’est une nouvelle manière de fabriquer des outils de pierre, de nouveaux modes de fonctionnement, incluant la fabrication d’ornements personnels, et cela diffère de ce que nous connaissions avec les néandertaliens », dit Tsenka Tsanova, chercheuse au Département pour l’évolution humaine au MPI-EVA. « L’IUP tient probablement ses origines dans le sud ouest asiatique et se répand rapidement de la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie jusque sur des sites en Mongolie, puisque l’Homo sapiens s’est rapidement répandu en Eurasie après avoir rencontré des populations archaïques existantes d’hommes de Néandertal et d’hommes de Denisova qu’il a influencé puis finalement remplacé » (SJ/mpg)

 

Traduction de l’allemand, Frédérique Drouet

L’article original est accessible ici