Dans ce moment si particulier que nous vivons, tellement extra-ordinaire, plus de 2 milliards d’êtres humains confinés sont en train de vivre une même expérience commune, ce qui est probablement une première dans l’histoire de l’humanité.

Une épreuve douloureuse, tragique qui bouleverse notre monde intérieur, notre quotidien, nos habitudes, nos relations, notre mode de vivre, nos croyances, nos acquis, nos corps, nos pensées, nos âmes, et aussi le temps, et l’espace.

Dedans, dehors, plus rien n’est à sa place ! Avec ce bouleversement presque total, il m’est apparu que nous tous, nous les 2 milliards, sommes probablement en train de partager les mêmes émotions. Alors j’ai demandé à quelques ami.e.s qui me sont chèr.e.s de témoigner de ces émotions importantes. Pas un simple témoignage mais un chemin de compréhension partagée qui puisse nous permettre de sortir d’une crise émotionnelle.

 

Riccarda Montenero est une artiste interdisciplinaire, elle travaille la photographie, la sculpture, l’art numérique et le film, et se positionne dans une démarche humaniste.

Voici son témoignage

Pressenza: Riccarda, avant le confinement tu étais en train de travailler sur le thème de la peur, et là il y a une coïncidence avec l’arrivée de ce virus qui crée beaucoup de peurs. Peux-tu nous parler de ce travail?

La peur est un thème fort en raison de sa puissante capacité à façonner les comportements, à conditionner notre vie. Elle ne nous quitte jamais : nous sommes habités par la Peur.

Le projet photographique « Habité par la peur », à propos duquel tu me questionnes, est né en 2019 (je l’exposerai en Italie d’ici la fin de l’année et à Paris au printemps prochain). Ce sont les peurs ataviques que je regarde principalement, et actuellement les sollicitations qui me viennent de ce confinement par les coronavirus me donnent l’image d’un monde claustrophobe dont je parle dans mon travail.

Pressenza : Comment vis-tu et comprends-tu ce confinement ?

Nous sommes mondialement confinés. La menace de contagion du coronavirus nous pousse  à rester chez nous et d’attendre. L’endroit qui doit nous protéger, la maison, se transforme, devient de plus en plus une cage. Je pense à des situations diversement problématiques, à des cohabitations difficiles, à des relations violentes. Des cages explosives depuis toujours. Et je pense au drame de ceux qui n’ont pas cette place, aux répercussions sur le budget économique de ceux qui perdent leur emploi et de ceux qui ne peuvent pas le retrouver.

En ce qui me concerne, l’enfermement imposé est toujours une condition qui peut être tolérée. Je travaille sur le projet « Habité par la peur » et pour moi la solitude est une condition extrêmement nécessaire et productive. L’auto-isolement fait également partie de mon processus de création, mais cette fois-ci, un virus impose des temps et des manières.

Je pense qu’il est inacceptable que de cette expérience dramatique ne naisse pas une conscience collective forte, exigeant du système politique un “changement de cap” sur des questions telles que : l’environnement, la santé, l’éducation, la culture, la technologie et le travail.

Ce dernier est à la base de la dignité humaine et du bien-être profond car il crée l’appartenance et contribue à donner un sens à sa vie. Mais le système politique a une vision différente et globale du monde et répondra par des petits ajustements aux grandes questions critiques qui ont émergé. Les nouvelles réponses devront attendre une rébellion mondiale pour un renversement total du système mondial : Il faut attendre la révolution.

Pressenza: Comment faire avec les peurs ?

Il y a des grandes et petites peurs. Il faut prendre ses distances avec la peur, la regarder en face, la connaître et identifier les outils et les stratégies pour la surmonter.

L’enfermement nous éloigne des autres et réduit nos espaces de liberté ; il nous impose un temps neuf, différent, dans un espace qui pourrait progressivement devenir étouffant. Les fragilités et les peurs peuvent émerger : le sentiment du poids de la solitude, l’intolérance pour l’espace partagé sans interruption, le sentiment d’inadéquation, la peur de retourner à l’extérieur, etc.

Nous avons une grande opportunité : transformer notre négatif en positif. Il sera très intéressant d’entendre comment nous nous ré-ouvrirons au monde lorsque nous respirerons à nouveau à l’extérieur. Maintenant, nous devons respirer en nous-même.

Aujourd’hui domine la douleur pour le nombre considérable de décès ; le désarroi et la douleur inconsolable des familles cruellement privées des êtres chers, sans un dernier regard, sans une dernière caresse.

Pressenza: Comment vois-tu la fin de la crise ?

Cette crise nous donne un grand potentiel de changement dans la réalité, et cela dépend beaucoup de l’engagement et de la volonté de s’impliquer : du discernement des valeurs de sens à la mise en place d’outils et de stratégies pour s’accrocher au bonheur.

Le confinement a mis en évidence – parmi les différentes critiques sociales – la disparité d’accès aux technologies numériques par les couches les moins favorisées : l’institution éducative est à la base de la formation de l’individu, et il est donc essentiel de rendre la formation des jeunes plus actuelle et démocratique par l’utilisation des outils numériques, dont le potentiel rendrait plus stimulante et plus créative la relation élève/enseignant.

Dans cette situation dramatique qui nous est tombée dessus si nous voulons avoir un regard positif alors c’est la question de la vie et du sens de la vie qui va se poser.

C’est ça que je vais travailler une sorte de photographie dans le temps que nous traversons avec cette question.

Pressenza: peux-tu nous expliquer comment et où vas-tu chercher cette “image” de la peur?

Elle s’obtient en pensant à la nature humaine, fragile et forte ; en observant la force créatrice du manque, de la séparation, de la distance ; en regardant à l’intérieur et à l’extérieur de soi-même pour stimuler l’imagination et nourrir la forme.

Pressenza: Est-ce que la peur actuelle modifie, amplifie, nourrit ta création ou non ? Et pourquoi ?

Les résultats de l’expérience dramatique sur les coronavirus sont déjà présents dans le projet « Habité par la peur », lancé l’année dernière : les concepts, les sentiments et les émotions ont déjà leur propre physionomie, le projet étant à un stade avancé.

 

Riccarda Montenero est diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Lecce et a obtenu un diplôme d’architecte à l’Université de Turin. Dans les jardins du Palais Royal de la même ville, on trouve deux grandes œuvres de sa main. En plus d’exposer et de participer à des expositions et des événements culturels en Italie et à l’étranger, ainsi qu’à des festivals de cinéma-vidéo, elle collabore avec des artistes et des intellectuels, ce qui se traduit par des publications éditoriales et des performances interdisciplinaires. En 2011, elle a participé à l’édition internationale 54ᵅ de la Biennale de Venise, Pavillon italien (Piémont), sous la direction de Vittorio Sgarbi. En 2018, elle a fondé « Liberté ». « Femmes magiques », le duo artistique né d’une association avec Faé A. Djéraba. Elle vit entre Turin et Paris.

Lien vers le site : https://riccardamontenero.com

 

Précédents témoignages :

 

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