Nous sommes encore confinés, à peu près partout sur la planète, vivant une expérience unique sans bien en comprendre ni les tenants, ni les aboutissants, sans donnée fiable, sans explication intelligente, sans direction claire. On nous parle de crise, sanitaire, économique, politique, sociale… et quid de la crise psychologique et spirituelle ? Ces deux dimensions auxquelles pourtant sont confrontées toutes les personnes et que l’on relègue au simple champ des conséquences ou des compensations.

On nous parle aussi, de plus en plus fréquemment, de la « fin de la crise », de « l’après »…

Les spécialistes semblent présenter les perspectives de manière un peu catégorique et drastique : les options seraient soit des États plus autoritaires et brutaux, soit une reconstruction radicale de la société avec des termes plus humains. Les deux ne sont-ils pas déjà en train de se produire ?

D’autres, aux analyses plus fines, alertent sur des dangers graves et imminents. (Voir article de Monsieur Chomsky https://www.pressenza.com/fr/2020/03/noam-chomsky-nous-allons-surmonter-la-crise-du-coronavirus-mais-nous-avons-des-crises-plus-graves-devant-nous/)

Enfin, nombre de sociologues avertissent que nous sommes maintenant dans une situation de réel isolement social. Il faut la surmonter en recréant des liens sociaux de quelque manière que ce soit, quel que soit le type d’aide que l’on puisse apporter aux personnes dans le besoin. Ce qui est aussi en train de se produire mais avec des groupes entiers de personnes laissées pour compte (réfugiés, peuples autochtones, étrangers sans-papiers…)

Les analyses sont nombreuses, parfois superficielles, parfois fondées d’arguments et appuyées sur des faits, parfois naïves et fantaisistes et manquant sérieusement de vision en (large) processus. Il nous faudra bien, pourtant, approfondir l’analyse, mais pour cela il faudra du temps et une direction claire, car l’empire des circonstances et la complexité du monde humain (externe et interne) est immense.

S’il est vrai que l’Humanisme (c’est-à-dire le Nouvel Humanisme : authentique dans ses valeurs, intentionnel, construit en processus, véritable boussole du futur), serait le seul vaccin contre le choléra de l’égoïsme et la peste néolibérale, l’action sociale, politique, économique, seule ne suffira pas. L’être humain est conscience-monde, l’être humain est un être intérieur immense et sa conscience n’est pas le simple et pâle reflet des conditions extérieures. Sa conscience est créatrice. Sa conscience est productrice d’images qui guident l’action et meuvent les individus et les peuples. Par conséquent, c’est l’être humain qui doit opérer un changement, un changement profond et essentiel, qui se reflétera dans ses actions dans le monde qui ne seront plus dictées par la peur ou le désir, qui changera aussi son rapport à sa propre finitude en ayant grandi et découvert de nouveaux horizons dans sa quête de sens.

Oui, l’être humain, pour survivre, puis pour se développer, a dû s’adapter… Mais aujourd’hui, sur quel type d’adaptation nous engage-t-on ?

Adaptation décroissante

Lorsque l’individu se voit obligé d’assister à une détérioration lente et désormais accélérée de sa planète, au nom de sacro-saintes « lois » de marché, et comme s’il s’agissait d’un processus incontournable ; lorsqu’on éduque la personne humaine à se croire impuissante face à l’ampleur d’un système mis en place au fil des siècles ; lorsqu’en conséquence, elle doit accepter, sans beaucoup questionner, des conditions de vie ou de travail qu’elle n’a pas choisies ; lorsqu’elle doit se satisfaire pour elle et ses proches d’un système de santé transformé en marché (l’un des plus rentables !) qui laisse la plus grande partie de la population de côté et oblige l’autre partie à obéir aux consignes sanitaires parfois totalement insatisfaisantes, ou de se plier à une vaccination ou à des soins non choisis, lorsqu’on restreint ses choix et ses horizons, lorsqu’on limite ses apprentissages, lorsqu’on lui répète depuis l’enfance et jusqu’à son vieil âge « qu’il n’y a pas le choix »  et « qu’il faut bien s’adapter », lorsqu’il n’y a plus d’alternative à une vie où l’on court, l’on se fâche, l’on se bat, pour gagner de l’argent et accumuler des biens, lorsqu’il s’agit de « s’adapter » à une vie si absurde que chaque année nos propres records de suicides sont dépassés… il s’agit alors d’adaptation DECROISSANTE. Celle dans laquelle l’individu est nié dans sa quête de bien-être, de dépassement de la souffrance et de sens. Celle dans laquelle l’individu gagne en obéissance plus ou moins aveugle et perd peu à peu en sens critique, en discernement, en réversibilité, finalement en intelligence. Celle dans laquelle l’horizon de l’individu se restreint. Celle dans laquelle nos ressources individuelles et collectives diminuent peu à peu… entraînant également la destruction de nos ressources naturelles les plus précieuses. Celle dans laquelle il n’y a pas de véritable « monde d’après ».

Désadaptation

Certains croient alors trouver dans un rejet systématique « de la modernité » ou de « certains autres boucs émissaires ou prétendus responsables » une issue possible. On voit se produire de nombreuses attitudes et courants rejetant le progrès (pour tous), la technologie est présentée comme nuisible (sans comprendre que c’est la direction dans laquelle elle est utilisée qui apporte sa validité), la médecine pensée comme une menace, la justice comme définitivement perdue, la politique comme forcément corrompue, le service public comme non nécessaire, la mondialisation comme une damnation, les différences comme quelque chose à combattre. Le rejet s’étendra bien entendu sur les possibilités de changement, sur l’intentionnalité et la liberté humaine, et finalement sur l’humain lui-même et ses capacités. On finira même par entendre « qu’il y a trop d’humains » ou que « l’humain est en trop ». Et ainsi la désadaptation aux temps nouveaux apportera bien plus de préjudices que de bienfaits. Elle contribuera à la destruction du tissu social, des groupes et des communautés, des convergences culturelles et de leurs enrichissements mutuels, et collaborera à l’isolement et à un profond sentiment de solitude des individus.

Adaptation croissante

Pourtant, il s’agit bien une fois de plus que l’être humain s’adapte. Notre époque l’exige (voir le très bon article de Pia Figueroa https://www.pressenza.com/fr/2020/04/notre-epoque/). Mais les temps nouveaux exigent qu’il s’adapte de manière croissante, c’est-à-dire que grandissent pour l’individu et les peuples les possibilités de dépassement, d’apprentissage, d’action transpersonnelle et transcendante. Ainsi grandira la civilisation humaine. Pour ce faire, il faudra apprendre à faire des distinctions et à refuser ce qui brise et fait reculer et œuvrer pour ce qui construit et fait avancer, tant pour soi-même que pour TOUS les autres.

Il nous faudra être résolus dans le non et refuser :

  • Tous types de violence : physique, économique, psychologique, raciale, de genre, sexuelle
  • Toute discrimination
  • Toute vision à court terme et toute menace à court moyen et long terme
  • Toute limitation de droits et de libertés
  • Ce qui nie l’intention, l’aspiration de l’autre, ce qui compromet son futur
  • Toute conscience magique et croyances moyenâgeuses.

Il nous faudra être résolu dans le oui et promouvoir

  • Le nouveau et l’inconnu
  • Le dialogue, les rencontres, les convergences, le lien entre les personnes et les peuples
  • L’apprentissage individuel et collectif
  • Les priorisations très claires sur la santé, l’éducation, le mieux vivre dans son corps pour plus d’énergie consacrée à l’essentiel
  • La technologie et la Science au service de l’humain
  • La justice et l’égalité des opportunités pour tous (et toutes !)
  • La responsabilité que nous avons sur le monde naturel qui nous héberge
  • Les quêtes personnelles et collectives vers une spiritualité vivante et profonde.

Il nous faudra contribuer à installer une structuration de conscience non-violente comme une conquête culturelle profonde, comme une configuration de conscience avancée dans laquelle tout type de violence provoque de la répugnance.

L’adaptation croissante sera de se rendre compte que nous avons besoin de mieux connaître ce qui fait de nous des humains, comment fonctionne l’appareil du psychisme (allié et complément incontournable du corps) dont nous avons été dotés à la naissance qui nous permet de percevoir le monde, de nous souvenir, de nous représenter le monde et les choses, et de répondre aux exigences et aux demandes de la vie elle-même… Mais ce psychisme nous constitue AUSSI dans cette liberté de diriger notre attention, d’ordonner notre mémoire, de nous représenter les choses nouvellement, de donner des réponses choisies, d’user de notre INTENTIONNALITÉ. En somme, il s’agira d’être conscient du fonctionnement de notre conscience.

L’adaptation croissante consistera à se rendre compte que l’être humain, individuellement et collectivement, a le choix. Nous avons fait des choix, nous faisons des choix à chaque instant, nous ferons d’autres choix demain. Ils sont tous porteurs de conséquences. Il s’agira désormais d’en être plus conscients, individuellement et collectivement. Et de reconnaître, avec humilité et sans culpabilité, les erreurs commises, les mésestimations des conséquences, les échecs. Et ainsi de pouvoir réparer et d’emprunter d’autres chemins. Pas seulement du point de vue externe (économico-politico-social) mais aussi intérieurs (la réconciliation plutôt que la vengeance, l’humour plutôt que la dramatisation, https://www.pressenza.com/fr/2020/04/on-a-un-virus-dans-le-corps/)

L’adaptation croissante signifiera de se rendre compte et de sentir en profondeur cette autre dimension au fond de la conscience humaine, qui fait vibrer les âmes et les cœurs, qui apporte le soupçon du sens de la vie, qui illumine tous les chemins pour peu qu’on la laisse s’exprimer et se développer. Cette dimension spirituelle, que Viktor Frankl nommait la dimension noétique, s’est souvent au cours de l’histoire retrouvée recouverte d’un voile d’obscurantisme, prisonnière d’une morale ou d’une structure religieuse. Mais cette Espérance, cet élan vers un futur que pas même la mort ne peut arrêter, cette voix qui fait se rebeller contre l’absurde finalité, ce murmure qui révèle parfois l’illusion, cette source intarissable au fond du cœur humain, n’a jamais été tarie et n’a jamais cessé d’inspirer l’amour et la compassion.

C’est « l’Humain d’après », parce qu’il sera un peu plus conscient et un peu plus profond, qui fera « le monde d’après ».

André Malraux n’a jamais dit « Le XXIe siècle sera religieux ou spirituel », mais il a dit « Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux. Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas. »

Et Silo, en 2004, de manière très universelle, nous invitant à approfondir en nous, nous rappelait sans recours à aucune métaphore, ni à aucun dieu, ni prophète :

« Le Sacré est en nous et rien de mal ne peut arriver dans cette quête du Profond et de l’Innommable. Je crois que quelque chose de très bon arrivera quand les êtres humains trouveront le Sens tant de fois perdu et tant de fois retrouvé dans les tournants de l’Histoire. »