En Europe, « nous donnons de l’argent à la Turquie pour que les réfugiés ne nous apportent pas d’ennui », dénonce un Cardinal.
Par Cameron Doody
Points clé
– « Je ne vois aucune différence avec le mur que Trump est en train de faire construire à la frontière mexicaine »
– « Les gens critiquent l’utilisation par la Turquie des réfugiés comme instrument politique, mais nous l’avons laissé faire »
– La menace du COVID-19 est encore plus importante dans les camps de réfugiés, qui « vivent comme des cochons dans une ferme »
– « Je ne vois aucune différence avec le mur que Trump est en train de construire à la frontière mexicaine »
Le Cardinal Jean-Claude Hollerich, Archevêque du Luxembourg et Président du COMECE, la Commission des Épiscopats de la Communauté Européenne, donnait un entretien au journal archidiocésain madrilène Alfa y Omega, publié le 26 mars.
Hollerich clame que la manière dont l’Union Européenne traite les réfugiés dans les camps de migrants des îles grecques est un « scandale et une honte pour l’Europe. » 42 000 demandeurs d’asile y sont « piégés » dans des conditions de vie et de santé « horribles ». C’est aussi ce qu’ont dénoncé l’Eglise et les ONG civiles cette semaine.
« Il n’y a aucune installation adéquate, pas assez de médecin », selon le Cardinal.
« Je suis profondément choqué que l’UE donne de l’argent immédiatement pour protéger ses frontières, mais qu’elle ne puisse rien faire pour ces gens. Cela va à l’encontre des valeurs européennes dont on entend régulièrement parler.
Hollerich deplore « Je ne vois aucune différence avec le mur que Trump est en train de faire construire à la frontière mexicaine ».
– « les gouvernements n’ont pas une attitude positive envers le fait de laisser entrer des gens parce que l’Eglise l’a demandé.
L’archevêque Luxembourgeois est l’un des trois cardinaux qui ont, en février, lancé un appel urgent aux gouvernements et aux évêchés européens pour prendre en charge les réfugiés qui sont « coincés de manière indéfinie » sur les îles de la Mer Egée.
Hollerich dénonce que dans le mois qui a suivi cet appel : « quelques évêques m’ont dit qu’ils aimeraient pouvoir faire quelque chose, mais que les gouvernements de leur pays n’avaient pas une attitude positive envers le fait de laisser entrer des gens… juste parce que l’Eglise l’avait demandé ».
« J’ai peur que maintenant, avec le COVID-19, il ne soit que très difficile pour les évêques de discuter avec les politiques à ce sujet », se lamente l’archevêque.
– « Les gens critiquent l’utilisation par la Turquie des réfugiés comme instrument politique, mais nous l’avons laissé faire ».
Pour Hollerich, la cause racine de cette attitude honteuse envers les réfugiés qui arrivent sur les îles grecques ou dans les eaux territoriales grecques tient dans le contrat conclu en 2016 entre l’UE et la Turquie pour bloquer les arrivées en Europe et l’octroi de milliards d’euros d’aide à Ankara.
Le Cardinal dénonce : « Cet accord, c’est comme lorsque des parents donnent de l’argent à leurs enfants pour qu’ils ne les embêtent pas ».
« Nous donnons de l’argent à la Turquie pour que les réfugiés ne nous apportent pas d’ennuis ».
« Cela ne peut pas se faire dans des relations humaines. Les parents pourraient même découvrir que cette solution peut mener à des catastrophes. »
« Je comprends qu’on doit contrôler les entrées en Europe, et que ces gens peuvent se retrouver en Turquie pendant un moment, c’est toujours mieux qu’en Libye ».
« Mais c’est une erreur monumentale de penser qu’un réfugié est un problème, ou une cause de problème, alors que c’est un être humain qui demande de l’aide… »
« Les gens critiquent l’utilisation par la Turquie des réfugiés comme instrument politique, mais nous, l’Europe, nous l’avons laissé faire. Nous devons nous rendre compte que nous sommes responsables », alerte Hollerich.
– La menace du COVID-19 est encore plus importante pour les réfugiés dans les camps qui « vivent comme des cochons dans une ferme ».
Quant à la menace du COVID-19, qui pose un danger tout particulier pour les réfugiés sur les îles grecques qui vivent les uns sur les autres, dans des conditions sanitaires non sécuritaires, Hollerich reconnaît que les migrants « ont peur», surtout en raison des « rumeurs » qui courent, des informations non objectives qu’ils entendent au sujet du virus et surtout du manque de médicaments.
« Il va être très difficile de combattre la peur et le manque de ressources s’ils sont malades », nous alerte le Cardinal.
« Surtout lorsqu’on voit comment ils vivent, comme des cochons dans une ferme. La maladie peut se propager de manière terrible », ajoute-t-il.
« Cette maladie devrait nous rendre solidaire envers tous ceux qui souffrent. Mais parfois notre propre misère nous isole et nous ne voyons plus qu’il y a des gens en plus grand danger et plus grande misère que nous ».
« J’espère et je prie pour que beaucoup de gens en Europe ouvrent leur cœur aux personnes qui souffrent dans les camps de réfugiés grecs. Mais je crains que la réalité ne soit beaucoup plus dure. Nous devons rester vigilant et dénoncer ce qui se passe ».
Pour le cardinal, la vraie solution morale à long-terme pour les réfugiés sur les Îles grecques est la mise en place de « corridors humanitaires » vers des endroits plus sûrs en Europe.
Cameron Doody : Titulaire d’un doctorat en Histoire ancienne de la Judaïté et Chrétienté et en Philosophie. Maître de conférence en Éthique à l’Université Loyola du Maryland sur le campus de Alcalá de Henares (Espagne). 4 ans d’expérience en journalisme religieux.
Traduction de l’anglais, Frédérique Drouet