Il y a seulement deux semaines, l’État était synonyme de bureaucratie, d’inefficacité et de corruption. La perte de confiance dans la classe politique était totale, en raison de l’emprisonnement, la détention à domicile, l’ordre d’extradition ou le suicide d’ex-présidents. L’année dernière, la population réclamait la fermeture d’un congrès qui s’opposait à toute mesure, pensant ainsi tirer profit en vue des prochaines élections. La fermeture du congrès a été largement applaudie. On n’attendait de la police que de l’arbitraire et de la corruption.

« Seule l’entreprise privée sauvera le Pérou », était le slogan tacite en lequel on croyait et chacun vivait dans son propre rêve de réussite individuelle.

Que s’est-il passé au cours des dix derniers jours ?

Le premier cas d’infection à coronavirus a été diagnostiqué. Le 11 mars, on a suspendu les cours dans les écoles, les collèges et les universités. Le lendemain, on a fermé les frontières, puis on a annoncé la fermeture des transports aériens, maritimes et terrestres dans tout le pays. Chaque jour, de nouvelles mesures étaient prises. La situation s’accélérait rapidement. Tout d’abord, on a interdit tout rassemblement de plus de 300 personnes et, une semaine plus tard, nous sommes en confinement social obligatoire et couvre-feu de 20 h à 17 h. Tous les établissements ont été fermés, à l’exception des hôpitaux, des pharmacies, des médias et des centres d’approvisionnement. Un état d’urgence a été déclaré, avec suspension des garanties constitutionnelles, et des policiers et des militaires patrouillent les routes et sont chargés d’appliquer les mesures du gouvernement.

Dix jours plus tard, le président a l’appui de 87 % de la population et la grande majorité des Péruviens sont en faveur de la direction qu’il prend. Qu’est-ce qui a produit cela en si peu de temps ?

Nous avons senti que l’État a réorienté soudainement ses priorités et ses ressources sur la protection de sa population. Par exemple, trois millions de familles vivant dans la pauvreté ou dans une extrême pauvreté recevront une allocation de 120 $US, et celle-ci sera remise au moyen du système bancaire à partir d’aujourd’hui, le lundi 23 mars. Fait étonnant, un membre de chaque famille est autorisé à percevoir l’allocation. L’allocation sera versée aux femmes, et s’il n’y a aucune femme dans la famille, elle sera versée à un homme. Aujourd’hui, on a annoncé que les personnes qui dépendent d’un revenu quotidien et sont dans l’impossibilité d’aller travailler recevront une allocation.

Dans toutes les régions, les ressources ont été réorientées vers le secteur de la santé. À Lima, un hôpital qui devait être inauguré dans quelques mois est maintenant réservé aux patients atteints de la COVID-19, et le complexe sportif des Jeux panaméricains était prêt en quelques jours pour accueillir les malades. Le ministère de la Santé a appelé les cliniques privées à se joindre à lui sous sa coordination. On a mis en place 80 000 lignes téléphoniques pour tout type de soins médicaux.

Le gouvernement a également prévu le rééchelonnement des paiements d’hypothèques, de cartes de crédit et de tous les types de dettes envers le système financier, sans aucun arriéré ni pénalité.

La rapidité de réaction du pouvoir exécutif est surprenante. Le ministre de l’Éducation a annoncé pour cette semaine la mise en place de programmes d’éducation préscolaire, primaire et secondaire sur ses plateformes virtuelles, la chaîne de télévision d’État et la radio nationale en espagnol, quechua, aymara et 14 langues amazoniennes. Comme l’a dit le ministre : « Nous allons essayer de profiter de cette situation difficile pour repenser notre façon d’éduquer. »

Chaque jour, le président et ses ministres donnent une conférence de presse télévisée pour recueillir les préoccupations de la population. « Monsieur le Président, les marchés spéculent sur les prix des denrées alimentaires. » Le lendemain, le président explique qu’ils sont en train d’élaborer une disposition pour contrôler et empêcher la spéculation, qui inclura le crime de spéculation. La loi de l’offre et de la demande et du libre-échange a été laissée de côté. Grâce aux applications « Agrochatea » et « Mi Caserita », le ministère de l’Agriculture tient tous les jours la population au courant des prix sur les marchés.

La police et l’armée ont pour instruction claire d’éviter tout coût social. Même lorsqu’ils sont attaqués par un groupe de personnes désespérées, ils doivent réagir calmement et prudemment, en leur donnant des explications et en les soutenant.

Dans ses messages quotidiens, le président appelle la population à être solidaires, à penser à autrui et à prendre soin les uns des autres. Il dénonce également les comportements négatifs, comme le profit aux dépends d’autrui, l’exploitation, l’irresponsabilité, et souligne les conséquences négatives pour tous. Et, assez curieusement, beaucoup de gens cessent d’agir de façon compulsive et se joignent à cette vague de sentiments envers la collectivité.

Le premier cas de coronavirus nous a surpris au Pérou, alors qu’il y a trois millions de familles en état de pauvreté et d’extrême pauvreté, trois millions de personnes dans les zones périphériques de Lima sans accès à l’eau potable, un système de santé pauvre et surpeuplé, des communautés oubliées et des personnes qui jouent des coudes pour avancer. Seulement dix jours se sont écoulés. Rien ne sera plus comme avant. Chacun est important et chacun peut contribuer au bien commun.

Par Madeleine John

 

Traduction de l’espagnol, Silvia Benítez