« Je sens une forte volonté d’appeler les choses par leur nom. Cette mobilisation dépasse les milieux féministes » juge Marie-Hélène Drivaud. (La Presse)

Selon Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale des Dictionnaires Le Robert, chaque année il y a des mots qui frappent l’imaginaire collectif. Ils sont davantage partagés à travers la population et, grâce aux réseaux sociaux, il devient possible de repérer les mots les plus fréquemment utilisés au cours de l’année. Ces mots sont chargés d’un ton émotif qui caractérise le moment. Ils correspondent à la sensibilité d’une époque et aux préoccupations de la population.

Par moment, certaines zones cachées se dévoilent et d’un seul coup une façon d’agir ou de dire les choses devient dépassée voire inacceptable. Prenons par exemple, « le drame conjugal, le drame familial ou le crime passionnel » jusqu’à tout récemment, on se limitait à ces expressions pour désigner la meurtre des femmes. Tandis qu’aujourd’hui les acteurs sociaux reconnaissent l’acte comme un féminicide.

« De nombreuses configurations diffèrent dans les deux expériences, non seulement dans la façon d’agir mais aussi dans la façon de penser et de sentir…Et ce qui, dans la relation sociale et dans le mode de production, fonctionnait à une époque, cesse de le faire lentement ou parfois de façon brutale…Ni cette action ni cette sensibilité ni cette idéologie ne coïncident avec le nouveau paysage qui est en train de s’imposer socialement.» (Silo, Lettres à mes Amis, p.30)

« Je sens une forte volonté d’appeler les choses par leur nom. Cette mobilisation dépasse les milieux féministes » juge Marie-Hélène Drivaud. Cette année les mots « autrice, climat, cyberdépendance, décryptage, inclusif, inspirant, planète, solidarité et trottinette » ont été retenus par les lexicographes du Petit Robert. Par conséquent, lorsqu’ils ont sollicité les internautes pour déterminer un mot marquant de l’année 2019, le choix s’est arrêté sur le mot « féminicide ». (La Presse)

En comparant tous ces mots, on ne peut s’empêcher d’observer les contrastes qui existent entre eux. Comme si l’année 2019 avait été teintée d’un ton clair-obscur. Entre les zones claires de l’inspiration et la solidarité et les zones sombres de la cyberdépendance, le décryptage jusqu’au féminicide, l’année 2019 nous a projetés vers des registres entre deux paysages. Un paysage obscur où résident la violence, la surveillance de masse. Et cet autre paysage plus lumineux où résident l’inspirant, la trotinette et la solidarité.

Du point de vue de l’art visuel, le clair-obscur est cette pratique où l’artiste propose des zones claires et de zones sombres. En fait, les œuvres clair-obscur suggèrent le relief en imitant l’effet de la lumière sur les volumes. Le procédé du clair-obscur était pratiqué dans la Grèce antique à la fin du IVe siècle avant notre ère, avec la peinture hellénistique. Si l’année 2019 était une oeuvre clair-obscur représentant une allégorie, laquelle serait-elle ?

De tous les œuvres clair-obscur que j’ai consulté, je crois que le rapt de Perséphone est l’allégorie qui peut très bien qualifier l’année clair-obscur 2019. En fait, nous pourrions dire que cette allégorie qualifie bien la deuxième décennie de l’an 2000 entre les avancées et puis certains reculs sur le plan social, environnemental et humain. Évidemment, il existe plusieurs interprétations de l’allégorie de Perséphone. Mais en règle générale on peut dire que cette allégorie est remplie de contrastes, entre l’été et l’hiver, entre le souterrain et le terrestre, entre l’abondance de la nature et la famine, entre le pouvoir et la solidarité des femmes, et de la domination du patriarcat. Dans son ouvrage Notes de psychologie, Silo explique les caractéristiques de l’allégorie et son rôle d’agglutination entre plusieurs contenus mentaux et sensations apparemment très différents.

« Les allégories sont des agglutinations de contenus divers en une seule représentation. Par les origines de chaque composant, les allégories sont comprises d’habitude comme des représentations d’êtres « imaginaires » ou fabuleux, comme un sphinx, par exemple. Ces images, même figées en une représentation, remplissent une fonction « narrative ». Si l’on dit à quelqu’un « la Justice », il est possible que cette expression ne provoque en lui aucun registre ; mais plusieurs significations peuvent également se présenter à lui en chaînes associatives. Si c’est le cas, il pourra se représenter « la Justice » comme une scène dans laquelle plusieurs personnes accomplissent des activités judiciaires, ou bien une femme avec les yeux bandés, une balance dans une main et une épée dans l’autre lui apparaîtra. Cette allégorie aura alors synthétisé des éléments divers en présentant une sorte de narration en une seule image. » (Silo, Notes de psychologie p.198)

Par exemple, la statue de liberté représente l’allégorie de la divinité des libertés sociales et individuelles.

« Une statue représentant la Liberté éclairant le monde, qui consiste, fondamentalement en un personnage féminin drapé, avec un bras levé, portant une torche, alors que l’autre tient une tablette gravée, et avec un diadème sur la tête, en substance comme indiqué plus avant ».(Wikipédia

Dans la mythologie grecque Perséphone est une des principales divinités, fille de Zeus et de Déméter et aussi épouse d’Hadès. Elle est d’abord connue sous le simple nom de Coré («la jeune fille »), ou encore « la fille », par opposition à Déméter, « la mère ». Le rapt de Perséphone est le récit de l’enlèvement de Coré. Hadès, dieu des Enfers et frère de Zeus, tombe amoureux de Coré. Il demande alors à son frère la permission de l’épouser. N’ignorant pas que Coré n’irait pas de son plein gré dans ce monde obscur, celui-ci ne se prononce pas, ce qu’Hadès interprète comme un consentement. (Wikipédia )

Suite au rapt de Perséphone, la souffrance et la colère occupe tout l’esprit de Déméter, sa mère. Trahie par sa famille et les siens, Déméter renonce à ses fonctions, les champs ne produisent plus aucun légume, les fruits pourrissent sur les arbres, la famine gagne les hommes, sur la terre c’est la folie. Alors Zeus envoie des émissaires auprès de Déméter pour la supplier de reprendre son service, mais sans sa fille elle renonce. Finalement Zeus envoie son fidèle Hermès aux Enfers pour négocier avec Hadès. Alors qu’on ne s’y attendait pas, le roi des Enfers se montre compréhensif et accepte de rendre Perséphone au monde des vivants.

Mais avant de partir Hadès donne à Perséphone un grain de grenade à manger afin qu’elle revienne six mois par année en enfers. Perséphone, déesse du monde souterrain (les enfers), est également associée au retour de la végétation lors du printemps dans la mesure où chaque année, elle revient six mois sur Terre puis six mois dans le royaume souterrain avec Hadès, notamment dans les mystères d’Éleusis. Elle est assimilée à Proserpine dans la mythologie romaine. 

Alors que l’année 2019 nous rappelle des anciennes allégories. Il se peut que l’an prochain soit différent. En fait, avec toutes ces manifestations de gens indignés un peu partout dans le monde, il se peut que de nouveaux changements sociaux s’annoncent et qu’au même moment des événements imprévus donnent vie à de nouveaux mots, de nouvelles histoires et allégories.