1ère partie de l’entretien avec Valérie Murat sur l’utilisation des pesticides dans le milieu viticole bordelais, suite à la projection du film « Le Grain et l’ivraie », du cinéaste Fernando Solanas.

Alerte sur les pesticides

Valérie Murat : « Je suis porte-parole d’une association qui s’appelle Alerte aux toxiques, qui est une association d’information sur les pesticides, sur leurs dangers et sur les pratiques des firmes de l’industrie chimique, et aussi sur les freins qu’il y a ici, dans la viticulture bordelaise, pour faire avancer la viticulture, pour qu’elle devienne propre, respectueuse de la santé de l’homme et de l’environnement ».

 

Dégager les responsabilités

Valérie Murat : « Et si j’en suis arrivée là, c’est parce que j’ai perdu mon père en 2012 d’un cancer broncho-pulmonaire, qui a été reconnu en lien avec une exposition à l’arsénite de sodium, de 1958 à 2000. Mon père voulait, juste avant de décéder, rencontrer un avocat pour savoir si on pouvait engager une procédure, pour dégager les responsabilités dans sa maladie et dans sa mort.

Procédure judiciaire à Bordeaux

Il n’a pas eu le temps et donc moi je lui ai promis que j’engagerais cette procédure pour lui, si cela s’avérait possible, ce qui a bien été le cas puisque j’en ai engagé une à Bordeaux pour qu’il soit reconnu victime de l’industrie chimique, et une seconde à Paris, cela fera quatre ans dans quelques jours, au pénal, à Paris, au Pôle de Santé publique, pour que les responsabilités de Bayer et des services de l’état dans sa maladie et dans sa mort soient dégagées, parce que la question de la responsabilité pénale elle a une importance aussi pour moi. »

 

OGM et pesticides : le couple indissociable

Valérie Murat : « Les OGM et les pesticides : cela va forcément ensemble et le rachat de Monsanto par Bayer en est la plus belle preuve. Ils cherchent à avoir la main mise des deux côtés, à avoir beaucoup de demandeurs avec en fait une seule ou deux entreprises qui tiennent le monopole, et les semences OGM et les pesticides de l’autre côté.

 

Donc ici on n’a pas d’OGM, certes, mais on est aussi dans une viticulture qui repose sur la chimie.

Ici dans le Bordelais, on est une des régions les plus en retard sur la transition vers le bio ou la biodynamie, par rapport au territoire national, et on est aussi dans une viticulture qui est extrêmement consommatrice de chimie de synthèse.

Les analyses qu’on fait réaliser depuis un an et demi avec ma camarade du Médoc, mes camarades du Blayais, le montrent : on est dans une utilisation quasi-systématique des pesticides les plus dangereux, les Cancérogènes Mutagènes Reprotoxiques (CMR*). Il y a des perturbateurs endocriniens, il y a des pesticides SDHI* aussi, qui est une nouvelle variété de pesticides qui vient d’être détectée par des chercheurs de l’INSERM, l’année dernière, qui ont produit une alerte en expliquant que ces pesticides qui tuent les mitochondries des plantes, en les empêchant de respirer, tuent aussi les mitochondries humaines et ont des effets irréversibles sur certains organes des êtres humains.

Ici en Gironde dans toutes les analyses qu’on a faites, on a retrouvé des CMR, on a retrouvé des perturbateurs endocriniens, et on retrouve des SDHI aussi. Et on le sait, on l’a vu à plusieurs reprises dans les cash investigations : en Gironde on est une des régions les plus consommatrices des pesticides les plus dangereux, ces fameux CMR, cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques.

Donc on n’est pas dans un niveau d’exposition qui est aussi élevé que celui qui l’est en Argentine, qu’on voit dans le film de Solanas (Le Grain et l’ivraie), puisque là-bas les épandages aériens n’ont toujours pas été interdits, et on est dans une espèce de toute puissance et d’impunité. De toute façon, ce sont des peuples de bidonville donc les firmes de l’agro-industrie n’ont strictement rien à faire de leur vie, rien.

Et ici en Gironde, on voit aussi les ravages que cela a sur la population d’ouvriers agricoles. On commence à voir les cas se multiplier aussi chez les ouvriers agricoles, et de plus en plus de problèmes sont remontés aussi par les riverains, par les parents d’enfants qui sont dans des écoles enclavées par les vignes. Donc on n’est peut-être pas au même niveau d’exposition mais il y a aussi un sentiment de toute puissance de la part des grands châteaux, la viticulture luxueuse, prestigieuse qui est aussi soutenue par les institutions locales de la viticulture, qui ne sont intéressées que par les bouteilles à trois chiffres, qui s’exportent. »

Estimations départementales d’incidence et de mortalité par cancers en France,2007-2016 (format pdf)

« La grande époque du Bordelais, c’est terminé ! »

Valérie Murat : Ici, l’image du Bordeaux « est » désastreuse depuis plusieurs années déjà, et la question des pesticides dans les vins de Bordeaux est au cœur de cette image parce qu’aujourd’hui plus personne ne veut boire d’un vin qui a empoisonné un vigneron, des ouvriers agricoles, des enfants dans une école enclavée dans les vignes ou bien des femmes enceintes, ou des joggeurs qui viennent régulièrement courir dans les vignes.

Plus personne n’a envie de boire de ce vin-là et les gens de la société civile se désintéressent et tournent leurs regards, leurs désirs sur le vin – parce qu’en plus, un produit de plaisir, on n’en a pas besoin pour l’alimentation – ils se tournent de plus en plus vers le bio, et tant mieux ! Et tant mieux !

C’est très significatif de ce qu’ils veulent et c’est très significatif de leur volonté de reprendre le contrôle sur leur santé aussi.

Et très clairement à Bordeaux, depuis toutes ces années où on rame avec Marilice, où on rame aujourd’hui avec d’autres collectifs très divers de nos associations, de nos organisations, comme des syndicats de professionnels de la viticulture, comme des syndicats de professionnels de l’éducation nationale, des associations de médecins, des associations de parents d’élèves aussi, on a réussi à installer une véritable diversité, une véritable synergie entre nous.

Et nous tous, on le voit : la société civile est très clairement de notre côté, la presse est de notre côté, les chercheurs sont de notre côté, l’information a circulé et les gens veulent reprendre le contrôle sur leur santé, sur ce qu’ils ont dans leur assiette, sur ce qu’on donne à manger à leurs enfants à la cantine, et ils ont envie de soutenir une agriculture qui soit du côté de la vie, et pas la « morticulture ».

Note Importante
Depuis l’interview de Valérie Murat, le gouvernement à mis en consultation jusqu’au 4 octobre 2019, un nouveau « dispositif de protection des riverains » qui ramène les distances  à « 10 mètres minimum pour l’épandage des substances les plus dangereuses » … « avec la possibilité d’adapter ces distances minimales » … « après échanges entre les agriculteurs, les riverains et les élus. Ces distances minimales pourront être ramenées à 3m pour les cultures basses et la viticulture … ».
https://agriculture.gouv.fr/produits-phytosanitaires-mise-en-consultation-dun-nouveau-dispositif-de-protection-des-riverains

Autres Références :

Alerte aux toxiques : https://alerteauxtoxiques.com/
CMR : https://fr.wikipedia.org/wiki/Canc%C3%A9rog%C3%A8ne,_mutag%C3%A8ne_et_reprotoxique
SDHI : https://fr.wikipedia.org/wiki/SDHI
Estimations départementales d’incidence et de mortalité par cancers en France,2007-2016
https://alerteauxtoxiques.files.wordpress.com/2019/01/rapport-estimations-regionales-departementales-incidence-mortalite-cancers-france-2007-2016-nouvelle-aquitaine.pdf

 

Nous remercions chaleureusement Valérie Murat pour sa disponibilité et sa patience.